« Arrêtez d’emmerder les gens ! », « On n’a pas confiance en vous ! » Voilà la tonalité des messages que certains riverains ont exprimé à la municipalité écologiste dans la soirée du mardi 12 juillet au foyer Saint-Paul dans le quartier de Koenigshoffen. Lors de cet « atelier participatif » organisé par la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg à propos de l’extension du tram F dans Koenigshoffen, jusqu’à Eckbolsheim puis Wolfisheim, l’ambiance était électrique.
Alors que la maire Jeanne Barseghian, Alain Jund (vice-président de l’Eurométropole en charge des mobilités) et Pierre Ozenne (adjoint référent du quartier Koenigshoffen) et les représentants du bureau d’études ont détaillé le projet, une bonne moitié de la centaine de personnes présentes a fait part de son mécontentement toute la soirée, par des interventions, des invectives et beaucoup, beaucoup de soupirs.
Relier Wolfisheim au centre-ville de Strasbourg
Qu’est-ce qui provoque tant d’exaspération ? En 2025, la ligne F du tram doit être prolongée au-delà de l’arrêt Comtes pour passer par le quartier du Hohberg, le quartier des Poteries, atteindre Eckbolsheim et se terminer à Wolfisheim, à l’entrée de la commune, au niveau du rond-point et non loin du Super U. Ce sont un peu moins de quatre kilomètres de ligne et huit stations supplémentaires pour un coût estimé à 80 millions d’euros.
Une concertation réglementaire a eu lieu en janvier-février 2021. Elle a abouti à un premier tracé (en jaune dans la carte ci-dessous) :
Puis le tracé a été modifié après des réunions de concertation qui ont eu lieu à l’automne 2021 et au printemps 2022. Objectif : faire baisser le trafic sur la route des Romains et inciter les habitants de l’ouest de Strasbourg à laisser leur voiture pour venir à la gare et au centre-ville en tram. Le projet inclut aussi divers aménagements pour sécuriser les trajets cyclistes et piétons, et prévoit de rénover certains espaces.
La crainte : des reports de trafic et un résultat nul
Mais certains riverains craignent les conséquences de ces aménagements. Rue des Capucins, une petite artère au sud de la route des Romains après le supermarché Auchan Koenigshoffen, une association de riverains fulmine de voir une partie de la route des Romains passer en sens unique (entre les rues Terence et César Julien) et une partie de la rue des Capucins changer de sens.
Ne pouvant plus aller vers l’ouest sur un tronçon de la route des Romains, les automobilistes prendront des voies alternatives, affirme Vincent Duval, président de l’association Les Capucins verts, rencontré en amont de la réunion publique :
« Automatiquement, les voitures passeront par la rue des Capucins. Nous craignons fortement une hausse de trafic dans notre petite rue qui est déjà dangereuse. Il y a une école, une maison de retraite et une maison d’enfants de la fondation d’Auteuil. Nous ne pouvons pas encaisser ce report de trafic. »
« Cette concertation ne sert à rien »
Selon les données de la Ville de Strasbourg, la route des Romains voit passer 11 200 voitures par jour. La rue des Capucins est empruntée par 1 500 véhicules quotidiens sur la portion actuellement en sens unique. Vincent dénonce une « fausse concertation » à propos des aménagements : « On nous a proposé une seule option et il n’y avait plus rien à faire ».
Pourtant, huit ateliers participatifs ont eu lieu entre septembre 2021 et mars 2022. Les élus présents mardi soir ont rappelé que les habitants avaient eu leur mot à dire et se sont réjouis de « la participation en hausse à ces moments d’échange » selon Alain Jund. Les Strasbourgeois ont pu également donner leur avis sur la plateforme dédiée participer.strasbourg.eu.
La plupart des riverains qui sont intervenus ont indiqué partager les objectifs de lutte contre le « tout-voiture » et de baisse de la pollution. Mais quand les flux changent juste devant chez eux, cela les inquiète.
Les projections : des baisses de trafic de 50%
À propos de la rue des Capucins, qui cristallise nombre de mécontentements exprimés, Jeanne Barseghian a répété que d’après les projections de la Ville, le trafic devrait baisser de manière globale. La maire a annoncé aussi que cette rue deviendra « rue-école », avec un accès des voitures limité aux heures d’entrée et de sortie d’école.
Selon les documents présentés, le trafic baisserait de 50% sur le tronçon Térence-Capucins et de 55% sur le tronçon Petites fermes – Schnokeloch. Sur le passage à sens unique de la route des Romains, la Ville envisage une charge de 4 900 voitures (au lieu de 9 770 à ce jour), et sur le tronçon suivant, maintenu à double sens, 7 300 véhicules par jour (au lieu de 11 000 à ce jour).
Les élus martèlent qu’une série d’aménagements amènera une baisse de trafic et un « report modal » (un changement dans le choix de son moyen de locomotion). Le développement du réseau express métropolitain et du réseau cyclable ainsi que la mise en place d’un « nœud multimodal des Forges, » au nord du quartier, doivent aussi aspirer une partie du trafic pouvant se rediriger sur tous les axes (nord, sud, est, ouest).
Manque de place, rodéo urbain et lignes de bus
D’autres prises de parole ont révélé un certain scepticisme sur les aménagements. C’est le cas pour la rue Virgile, une large artère qui sépare un quartier résidentiel de la cité du Hohberg. Une dame se demande comment la voie pourra accueillir un tram dans les deux sens, un trottoir et une piste cyclable ainsi que des arbres et « ce dont ils auront besoin de terre pour survivre ». Le représentant du bureau d’études lui assure que tout a été calculé et que six mètres d’emprise sont prévus pour les arbres.
Le président de l’association HK Virgile s’inquiète aussi d’une grande avenue qui offre déjà un « boulevard aux motos et autres rodéos urbains ». La dame « implore » de « casser cette grande ligne droite ». Alain Jund répond que la configuration de cette voie peut être « retravaillée ».
D’autres riverains essayent de comprendre comment les lignes de bus vont être « redéployées », pour emprunter les mots de la Ville. Certaines portions de bus (70, 50 et 4a) disparaissent au profit du tram.
Des Wolfisheimois moins remontés
Et puis il y a ceux du bout de la ligne : les Wolfisheimois sont moins remontés. Élise, enseignante et mère de famille du centre-village, jointe par téléphone, se réjouit de le voir arriver :
« Ce sera vraiment pratique pour mes filles d’être reliées à la ville. Et si on déménage, je me dis que ça apportera une plus-value à la maison… »
Élise ne s’est cependant pas rendue aux réunions publiques. Ce qui n’est pas le cas de Nicolas, qui habite au sud de Wolfisheim, à l’opposé de la future station. Il salue l’arrivée du tram :
« Je le prendrai s’il y a un parking relais tram, des emplacements pour les vélos etc. L’idéal, ce serait que les automobilistes du coin, notamment de Holtzheim, arrêtent de passer par Wolfisheim et prennent le tram. »
Les oubliés de la cité du Hohberg
Pourtant, il y a de grands absents lors de cette réunion publique. Concernés au premier chef, aucun riverain de la cité du Hohberg (les rues Tite-Live, Horace, Tacite…) ne semble présent ou n’a pris la parole.
Rencontré au pied des tours de la rue Virgile, sur la « rive » en face du centre socio-culturel, Samad, un jeune homme souriant explique qu’il n’était « pas du tout au courant » des concertations publiques à propos du tram. « De toute façon ce genre de trucs, ça a toujours lieu au centre-ville, ils devraient les faire au centre socio-culturel », lâche-t-il avant d’apprendre que des réunions ont justement eu lieu au CSC.
L’objectif présenté : créer des espaces « parvis ouvert », « square » et « jardin », favoriser la circulation des piétons entre les rues Marc Aurèle et Virgile et entre le parvis du CSC et celui de l’église St-Jean-Bosco (transformé en jardin), créer une voie mixte rue Virgile pour cyclistes, piétons et voiture, avec priorité des piétons sur les voitures.
« Depuis que j’ai le permis, je fais tout en voiture »
Mais peu importe, Samad ne se sent pas concerné par les transports en commun : « Depuis que j’ai le permis, je fais tout en voiture. Le tram, il y a trop de monde et moins de liberté ».
Son voisin Giovanni, grignotant des pistaches assis sur une chaise de camping, se demande un peu si la rue est assez large pour accueillir le tram. Il est sceptique sur les améliorations car « il y a déjà le bus 4 », mais attend de voir :
« Ça pourra être pratique de prendre le tram avec ma femme et mes enfants, et surtout, on sera sûr d’avoir les transports : quand le bus se fait caillasser, il ne passe plus chez nous pendant des semaines. C’est déjà arrivé, et ça nous oblige à pousser jusqu’à l’arrêt Poteries. Pour les mamans avec courses ou poussette, c’est compliqué. »
Sa femme Cynthia ne voit pas trop en quoi le tram serait mieux que le bus 4 et craint que les horaires étendus d’un tram par rapport au bus amène « plus de monde, plus de squatteurs » aux arrêts tard le soir. Elle n’a pas fait part de ses inquiétudes à la municipalité puisqu’elle n’avait pas connaissance des réunions de concertation.
Celles-ci étaient annoncées par des tracts dans les boîtes aux lettres, tout comme les premières informations sur le tram et les options de tracé. « Je pense que les gens jettent ça comme de la pub », estime Agnès, voisine de Cynthia. « Moi c’est grâce au courrier que j’étais au courant que le tram passerait bientôt par ici, mais je n’ai pas vu cette histoire de réunions ».
Entre Agnès et Cynthia, la doyenne Fresia pousse une exclamation en apprenant sur le moment que le tram F est étendu et passera dans sa rue : « Ah bon ? C’est plutôt une bonne nouvelle, à voir ce que ça donne », dit-elle du bout des lèvres.
Début des travaux en 2023
Plus loin, rue Engelbreit, où passera le futur tram avant de s’engager dans la rue Virgile, Aziz tient un salon de coiffure. Il suppose que cet aménagement sera « plutôt positif » pour son commerce mais il s’inquiète d’un manque de places de stationnement. Lui, c’est par les grands panneaux placés à chaque bout de la rue qu’il a appris l’extension de la ligne F. En revanche, il n’avait pas non plus connaissance des réunions et des concertations.
Les ateliers et les concertations se sont achevés avec cette dernière réunion publique du 12 juillet, qui se voulait « conclusive ». Prochaine étape : une enquête publique en novembre 2022, dont le contenu « est en cours d’instruction », indique la Ville. Il s’agit d’un stade réglementaire lors duquel le public est tout d’abord informé de cette enquête par annonces dans les journaux et affichages, et par tout autre moyen facultatif (internet, bulletins municipaux, panneaux lumineux). Il peut ensuite consulter le dossier en mairie et présenter des observations orales ou écrites, voire des suggestions ou contre-propositions.
Suivra alors une déclaration d’utilité publique et un début des travaux en 2023. L’information des citoyens doit se poursuivre avec notamment des « Stammtisch ». Les nouvelles stations devraient être mises en service en novembre 2025.
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