« Je n’ai plus rien qui prouve mon identité. » Djenabou Cissé a 24 ans. Mère de deux enfants scolarisés à l’école Saint-Jean, elle raconte l’épisode traumatisant qu’elle a vécu le 29 novembre 2024. « Je voulais rentrer chez mois avec mes enfants, mais la serrure avait été changée », retrace-t-elle. Elle ignore alors où sont ses affaires qui étaient dans la chambre de l’Hôtel le 21ème, au centre-ville, qui lui sert d’hébergement d’urgence depuis mi-septembre.
Le soir même, elle et ses deux enfants dorment dans la rue de la Petite-Course, quartier gare. « J’ai pu charger mon téléphone à la gare le 30 novembre. Je suis retournée à l’hôtel pour demander où étaient mes affaires et ils m’ont répondu qu’elles étaient devant la porte », retrace la mère de famille. Paniquée, elle ne trouve rien devant la porte de son ancien hébergement, mais juste quelques affaires de toilette dans le local poubelle de l’hôtel.
Elle interroge alors les gérants de l’hôtel, qui lui expliquent qu’ils n’ont pas touché ses affaires mais simplement mandaté un huissier car la prise en charge par l’État de son hébergement d’urgence prenait fin le 26 novembre. Quant à l’huissier, il rétorque qu’aucune affaire n’était dans la chambre lorsqu’il est arrivé pour sceller la porte. Face à ces réponses, Djenabou décide de porter plainte pour « vol simple » le 11 décembre au commissariat de Strasbourg :
« Ce n’est pas parce que je suis en attente de régularisation qu’on ne doit pas respecter mes droits. J’ai toujours suivi les règles, il est légitime que je fasse en sorte qu’on me respecte également. »
Depuis, la jeune maman est dans une situation extrêmement précaire. Heureusement, elle peut compter sur la solidarité de son entourage. « On a pu dormir chez des maitresses de l’école et des connaissances, mais ce n’est pas idéal », soupire-t-elle.
Et surtout, cela ne lui rendra pas les documents administratifs qu’elle gardait précieusement dans sa chambre et qui sont essentiels à sa demande de titre de séjour. « Les habits, peu importe, ça se trouve. Mais tout le reste est beaucoup plus compliqué, souffle-t-elle. L’hôtelier m’avait dit qu’on trouverait une solution, que je n’aurai pas à dormir dehors », se souvient la jeune femme, habituée à changer régulièrement d’hébergement d’urgence depuis son arrivée en France en 2018.
Prouver sa présence en France depuis cinq ans
Djenabou, originaire de Guinée Conakry, espère être régularisée rapidement. Mais il est désormais difficile pour elle d’envisager la suite de son parcours sans ses documents administratifs. « Si on me convoque à la préfecture, je n’ai rien à leur montrer, plus aucun original, pas de carte d’identité de mon pays d’origine, pas d’extrait de naissance, il faut que je recommence tout », déplore-t-elle.
Elle ne peut plus prouver qui elle est, ni depuis combien de temps elle habite en France. C’est justement sa présence sur le territoire depuis plus de cinq ans qui devrait lui permettre d’obtenir son titre de séjour. Et Djenabou n’a plus accès aux soins, parce que sa carte de bénéficiaire de l’aide médicale d’État a aussi disparu le 29 novembre.
Pendant plusieurs années, la Collectivité européenne d’Alsace a payé pour l’hébergement de la mère de famille, son plus jeune enfant ayant moins de trois ans. « Quand on m’a annoncé que je devais désormais appeler le 115 (numéro pour demander un hébergement d’urgence, NDLR) après l’anniversaire de mon fils, j’ai su que tout allait devenir compliqué », admet Djenabou.
Début septembre, l’État propose une place à l’hôtel du Forum à Schiltigheim à la mère de famille . « Mais tout le monde sait qu’il y a des punaises de lit là-bas, j’ai vu les photos des enfants à la peau gâtée par les piqures », explique-t-elle. Elle refuse donc de s’y rendre avec ses enfants de trois et six ans. Dès lors, le gestionnaire de l’hébergement d’urgence considère qu’elle n’est plus prioritaire pour être mise à l’abri (voir notre article). Elle a tout de même été hébergée dans la foulée mais temporairement, à l’Hôtel le 21ème.
Grâce à une association (ASF 67), elle est désormais à nouveau logée dans un appartement depuis le 19 décembre. Djenabou s’inquiète de l’impact de cette situation sur ses enfants de 4 et 7 ans. « Ils comprennent tout, mais là c’est vraiment difficile de leur expliquer pourquoi on n’a plus rien », soupire-t-elle.
Le rêve de devenir aide soignante
Avec son avocate, Maître Sandrine Chebbale, elle a entamé une démarche en référé auprès du tribunal administratif pour contraindre l’État à loger sa famille de trois personnes de manière pérenne et en urgence. Victorieuse en première instance en octobre, elle a perdu devant le Conseil d’État en novembre 2024.
Après son dépôt de plainte, Djenabou semble découragée. « J’ai peu d’espoir de retrouver mes papiers et la police n’a pas de solution pour moi », souligne-t-elle. Son rêve est pourtant simple : avoir des papiers pour enfin pouvoir travailler et avoir un salaire, plutôt que de faire du bénévolat, la seule chose qu’elle est autorisée à exercer pour le moment :
« J’aimerais devenir aide-soignante, prendre soin des personnes âgées et en situation de handicap. Pour le moment je n’ai pas le droit mais j’aimerais faire une formation dans ce domaine. »
Si Djenabou témoigne de la disparition de ses affaires, c’est également parce qu’elle ne veut pas que d’autres personnes subissent la même chose : « Quand vous n’êtes pas régularisés, certaines personnes abusent de vous », assène-t-elle.
Contactés, l’hôtelier qui hébergeait la famille et l’huissier qui a été mandaté n’ont pas donné suite aux questions de Rue89 Strasbourg au moment de publier cet article.
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