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L’exposition Regionale investit Aedaen, nouveau lieu d’art à Strasbourg

Ça bouge rue des Aveugles à Strasbourg, où depuis  septembre un nouvel établissement de restauration a ouvert. Sous le nom d’Aedaen Place, l’endroit est la première moitié d’un complexe dont le volet consacré à l’art se développe en face, au numéro 6. Le chantier de réhabilitation n’a pas encore commencé que l’espace accueille une première exposition, façon page blanche.

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L’exposition Regionale investit Aedaen, nouveau lieu d’art à Strasbourg

Entre la Grand Rue et la rue du 22 Novembre, c’est dans un ancien magasin de salles de bain que se prépare un nouveau lieu d’art au concept inédit à Strasbourg. Investi par Franck Meunier et Patrick Adler en même temps que les locaux du restaurant en face, l’espace révèle un volume et un charme industriel insoupçonnables depuis la rue. J’y retrouve Raphaël Charpentié qui y officie en tant que directeur artistique et consultant.

l'une des salles arrière, où l'on aperçoit les oeuvres de Daniela Caderas et de Jisook Min (photo David Betziznger)
L’une des salles arrière de Aedaen, où l’on aperçoit les oeuvres de Daniela Caderas et de Jisook Min (photo David Betzinger)

Ce plasticien strasbourgeois a rencontré Patrick Adler lors des Ateliers Ouverts 2016, où le projet d’Aedaen (acronyme pour Art Every Day And Every Night) a fait écho à sa vocation de conseiller, comme il l’explique :

« Patrick et Franck m’ont parlé de leur envie de faire revivre l’ambiance des cafés littéraires de la Belle Epoque, avec une symbiose entre un bar-restaurant et un espace d’exposition, mais leur discours sur l’art avait besoin de s’accorder avec celui des structures prescriptrices en la matière. Les codes de la grande distribution et de la décoration ne sont pas les mêmes que ceux de l’art contemporain. Ayant toujours été à la marge de plusieurs groupes, de plusieurs réseaux, j’ai souhaité mettre mon expérience à leur disposition. J’aime mettre les gens, les idées, les envies, en relation et essayer de les faire fonctionner ensemble. »

le lieu en cours d'aménagement pour l'expo Regionale (photo CM/Rue89Strasbourg)
Le lieu en cours d’aménagement pour l’expo Regionale (photo CM/Rue89Strasbourg)

Dépasser la frontière entre logiques publiques et privées

A ce premier défi de susciter une reconnaissance par le milieu de l’art contemporain, s’ajoute celui d’un modèle économique atypique : restaurant et galerie doivent fonctionner en vases communicants. Hormis les galeries classiques, les lieux d’art privés sont rares, et de nos jours l’expérience vaut la peine d’être tentée selon Raphaël :

« On sait que les subventions à la culture se tarissent, et il faut aller au delà de cette schizophrénie dont font souvent preuve les artistes en France face à l’argent du privé. En Allemagne, en Angleterre par exemple, il y a moins de réticences à « vendre » son travail. Cela participe aussi à rendre sensibles les acteurs de l’économie de l’art à des formes plus radicales. J’ai l’impression que les lieux et les époques qui ont vu s’épanouir des mouvements artistiques ont en commun une économie qui s’adapte aux pratiques des artistes, et non l’inverse. C’est dans cette direction que nous allons travailler avec Aedaen. »

Pour créer un point de rencontre entre les artistes et les acheteurs potentiels, un grand travail de médiation sera donc entrepris : d’un côté, la valorisation et la découverte du travail des artistes, de l’autre, l’encouragement en partie au moins d’une production « vendable » : éditions d’artistes, peinture, œuvres sur papier etc. Ce qui n’empêchera pas la présentation d’œuvres plus difficilement commercialisables, installations, vidéos ou performances par exemple.

Un prolongement sur internet et un ancrage dans la vie artistique locale

Le complexe Aedaen continue jusque sur le web avec Aedaen.com, un site de vente d’œuvres d’art en ligne. Raphaël y pré-sélectionne les artistes avant que leurs candidatures soient validées par le comité artistique composé de personnalités du monde de l’art. Quel sera le lien entre le site et la programmation du lieu ? Raphaël précise :

« Le site de vente est une entité à part entière, tout comme le restaurant. Ces trois entités s’alimenteront les unes et les autres, pas forcément de manière exclusive. J’ai aussi envie de créer des événements, de faire venir d’autres artistes et d’associer les structures culturelles existantes de la ville. »

Pour l’instant, la nébuleuse est donc en voie d’organisation. Des rencontres avec auteurs, artistes et galeriste ont déjà eu lieu dans la partie café littéraire, et Aedaen a présenté un stand à Str’Off – la foire off de St-art. En attendant son ouverture officielle après travaux vers mai 2017, l’espace d’art prépare sa première manifestation en accueillant Accélérateur de Particules qui y présente l’une des expositions de la manifestation transfrontalière Regionale.

 Kathrin Borer, Don’t Sell Me Fear (photo Andreas Hagenbach)
Dans l’une des salles arrière, Don’t Sell Me Fear de Kathrin Borer (photo Andreas Hagenbach)

Des artistes allemands, suisses et français dans toute la ville

Accélérateur de Particules aime à organiser des expositions dans des lieux atypiques, en devenir : on se souvient notamment de Thrill qui a occupé en 2012 les locaux de l’ancienne Douane avant qu’ils ne soient partiellement réhabilités en épicerie bio. L’association sert de relais strasbourgeois à Regionale, une coopération transfrontalière entre 19 lieux d’art français, suisses et allemands. Avec un système de sélection des artistes sur dossier, puis de répartition géographique par les différents commissaires d’exposition, Regionale crée la circulation et le dialogue. A Strasbourg, pas moins de cinq lieux exposent dans ce cadre.

Les pièces des 17 artistes invités à Aedaen s’articulent autour de la notion d’opportunisme. Connoté plutôt négativement dans son usage courant, ce terme évoque aussi la capacité à se saisir des circonstances pour les tourner à son avantage : en biologie, les espèces dites « opportunistes » s’adaptent mieux à leur environnement et assurent donc leur survie. En réagissant à l’actualité, en interprétant la société sous forme de productions, les artistes obéissent ainsi à ce principe d’opportunisme, parfois de façon ironique ou transgressive.

 Rona Kobel, Nechbet (photo Andreas Hagenbach)
Rona Kobel, Nechbet (photo Andreas Hagenbach)

Daniela Caderas se joue des procédés de séduction visuelle omniprésents dans nos vies avec un hameçon géant – et tranchant – orné de matériaux brillants, qui attrape à coup sûr le regard sans forcément transmettre de message profond. Marine Dominiczak monte en bijou des formes moulées sur des « déchets » corporels : lors d’un séjour en Corée du Sud, elle y a découvert la pratique de diminution maxillaire largement pratiquée par les femmes.

L’étrange statuette de Rona Kobel fusionne l’enfant africain affamé et le vautour de la célèbre photo de Kevin Carter. Cible de nombreuses accusations de non-assistance, le photographe s’est suicidé trois mois après le cliché. Rona Kobel transforme son image en statuette de la déesse égyptienne Nechbet, protectrice des voyageurs du désert, comme pour essayer de soulager notre impuissance à aider.

Regionale se déploie sur toute la ville, avec une soirée-marathon de vernissages échelonnés entre Artothèque, Chaufferie, Ceaac, Aedaen et Stimultania le samedi 3 décembre. L’expositions à Aedaen est visible jusqu’au 8 janvier, une bonne façon de se changer le regard au milieu des décorations de Noël.


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