Et si un fleuve avait la possibilité de s’exprimer et de défendre ses intérêts ? L’exposition Nebula Liger / Un fleuve à soi est une enquête menée par Benoit Pinero lors de ses marches près de la Loire, fleuve qui traverse Nantes, où l’artiste réside. En 2018, Benoit Pinero commence une immersion au travers d’une pratique photographique. L’artiste dit être « entré en paysage ». Avec la complicité du metteur en scène Hubert Jégat, il imagine un parcours immersif au sein duquel le brouillard tient une place importante. Présent dans la salle d’exposition, le brouillard aveugle le visiteur ou la visiteuse qui, de fait, doit réapprendre à voir pour « entrer en paysage » à son tour.
L’entrée de l’exposition se fait par un immense rideau noir qui fait référence à l’art du théâtre. En le traversant, les visiteurs plongent immédiatement dans une chambre de brouillard, où quatre petits projecteurs suspendus laissent apparaître des photographies de paysage.
Benoit Pinero marche le long de la Loire dans ce brouillard et ces trajets sont pour lui un moment où il se questionne sur l’actualité politique et écologique. Plus il avançait et moins il comprenait le monde. Il était dans un brouillage, un brouillard qu’il croise quotidiennement dans sa vie. Pour l’artiste, le brouillard matérialise la confusion intense de toutes ces questions qu’il se pose sans cesse. Les visiteurs se retrouvent placés dans la tête de l’artiste, ils ne sont pas de simples visiteurs mais interprètes.
L’importance de la mise en scène
En sortant de la chambre de brouillard, le visiteur est directement absorbé par des photographies de paysage illuminées par des cadres lumineux. Par sa mise en scène, l’artiste souhaite retrouver de la poésie et créer une sensation d’immersion dans les images.
Il va acquérir du matériel photographique utilisé dans les années 1940-1950 jusqu’aux années 1990-2000. Sur une table en métal, on retrouve des impressions sur des plaques de verre, des diapositives, des cadres rétro-éclairés et une table de visionnage suspendue. On croise également un certain nombre de systèmes de projection et de visionnages tels que des diaposcopes qui donnent une sensation de profondeur dans l’image ainsi que des visionneuses de diapositives.
Cette mise en scène reflète l’influence de Benoit Pinero pour le monde du spectacle vivant. Il souhaite inviter les visiteurs à devenir acteur en se réappropriant son paysage, son brouillard, et son fleuve, la Loire. Une part importante du patrimoine fluvial français, un des plus longs fleuves s’écoulant entièrement en France mais aussi une ressource importante menacée par le réchauffement climatique.
L’épreuve des cinq sens
Tout au long de l’exposition, le visiteur est en mouvement. Il arpente l’espace d’exposition comme une marche au bord du fleuve. Cette question de la marche est très présente dans sa pratique photographique. C’est pour lui un moment de réflexion, d’introspection et surtout une mise à distance avec la société.
Dans une pièce immersive, les spectateurs font face à de majestueux panoramas qui englobent la pièce. Un enregistrement audio laisse échapper des bruits d’oiseaux et de pas sur la neige.
Dans la salle d’exposition, la visibilité est réduite par le brouillard. Ce sont alors les autres sens qui viennent combler les manques. L’enregistrement fait appel à l’ouïe tandis que le froid émis par la sensation mentale du brouillard déclenche une impression haptique. Puis l’odorat et le goût s’activent à la dégustation d’une infusion d’herbes récoltées le long du fleuve et mise à disposition à la fin de la marche.
Focus sur un écosystème
Au fil du parcours, le brouillard s’évapore et met en lumière des détails de la nature. Le regard se focalise sur les différentes perspectives du fleuve. Ces détails sont bien présents dans les photographies précédentes puisqu’il s’agit du même sujet : la Loire.
Ce contraste brutal avec le reste de l’exposition, entre halo tamisé et lumière accentuée, dénote un abandon du vaporeux pour valoriser l’écosystème de la Loire. À la fin du parcours scénographique, l’artiste met en lumière quelque chose de plus foisonnant presque d’intime, comme des photographies de vase, végétaux et minerais. Ces photographies n’ont pas été prises à la même période puisque l’on peut voir la Loire asséchée, illuminée par un soleil de canicule. Toutes ces photographies composent un portrait du fleuve par la multiplicité de ce qu’il constitue et viennent mettre en valeur cette nature sauvage.
Pour l’artiste, le paysage n’est pas qu’un simple décor mais une entité vivante et puissante où plusieurs organismes vivants cohabitent. Les visiteurs finissent par « entrer en paysage ».
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