La mesure à Romans, le sol-violette à Toulouse, les lucioles en Ardèche méridionale, la sardine à Concarneau… et prochainement le stück (« un petit bout », « un morceau » en alsacien) à Strasbourg ? Une monnaie locale complémentaire est un moyen de paiement, sous forme de coupons ou de bons, qui permet d’effectuer des transactions entre des particuliers et des professionnels adhérents (commerces, entreprises, agriculteurs). Limitée géographiquement, cette monnaie sert à dynamiser l’économie locale en faisant participer des prestataires qui souscrivent à une charte éthique intégrant certains critères de consommation (respect de l’environnement, produits écologiques, économie sociale et solidaire…).
A Toulouse, le sol-violette fonctionne plutôt bien. Deux ans après sa création, 125 prestataires (épiceries, cafés, artisanat, services municipaux…) ont adhéré au réseau. Avec 47 948 sols en circulation fin 2013 (contre 28 000 en 2011 lors de son lancement), la monnaie progresse. Et sachant qu’elle circule quatre fois plus vite que l’euro, cela équivaut à un chiffre d’affaires d’environ 287 688 euros pour les prestataires. Pour convaincre ces derniers d’adhérer, les promoteurs mettent en avant la fidélisation des clients à un réseau, plus d’achats et un fonds de garantie en euros dans les banques partenaires.
Garder la valeur au même endroit
Pour les promoteurs du projet, créer une monnaie locale permet de créer plus de lien social, comme le détaille Serge Asencio, membre de l’association Eco-Quartier Strasbourg, à l’initiative du projet :
« Quand on paie en euros, on ne sait pas très bien où notre argent va. A l’inverse, une monnaie locale reste dans un cercle vertueux, elle est donnée à un prestataire qui participe à la même démarche citoyenne et solidaire, et ainsi de suite… La monnaie crée de l’activité au sein d’un réseau de partenaires locaux. On sait où va notre argent et ce qu’il devient. »
Seuls les habitants de Strasbourg (et de la CUS) pouvant dépenser des stücks, les promoteurs de cette monnaie pensent ainsi pouvoir freiner la mondialisation aux portes de cette micro-économie. Les revenus engendrés dans cette zone géographique devant ensuite être dépensés dans le même territoire.
La charte éthique du Stück
« 3% d’économie réelle, 97% de spéculation »
Il s’agit aussi d’inciter les utilisateurs à un autre type de consommation, plus « éthique », c’est-à-dire « réfléchie et choisie » selon Cécile Favé, chargée de mission du projet pour Eco-Quartier, qui explique :
« La démarche n’est pas seulement économique, elle permet d’impliquer les gens dans la relation commerciale. Quand on sait qu’il n’y a que 3% d’économie réelle pour 97% de spéculation sur les marchés financiers avec l’euro, on a envie de participer un peu et d’évoquer quelques pistes de solutions. L’idée n’est pas de faire du marketing, mais de pallier ce qui manque aujourd’hui, c’est-à-dire une gouvernance partagée [avec les citoyens], en prenant part à un projet et en donnant sa voix. »
Un nouveau jouet pour bobos ? Les promoteurs du projet s’en défendent. Loin d’eux l’idée de « jouer au Monopoly entre nous ». Une monnaie locale doit aussi servir à améliorer la vie des plus démunis, comme le souligne Serge Ascencio :
« Par exemple, on pourrait imaginer donner plus de monnaie locale que d’euros, une sorte de bonus comme c’est le cas à Toulouse où pour 20 euros on reçoit 21 Sols. »
La ville de Toulouse travaille d’ailleurs avec trois Maisons des chômeurs, des associations d’aide, pour intégrer des familles à la situation précaire dans le dispositif, en distribuant des prestations sociales en sol-violette. S’investir dans une démarche sociale et solidaire est « à la portée de tous » veut croire Cécile Favé, convaincue que chaque citoyen a la capacité de « se réapproprier l’économie ».
Avec une « monnaie fondante », pas de spéculation possible
Une monnaie locale complémentaire ne se substitue pas à l’euro, même si sa valeur d’échange y est adossée. Une unité de monnaie locale vaut un euro. Les monnaies locales sont dites « fondantes » car elles perdent de leur valeur avec le temps si elles ne sont pas utilisées. Ainsi à Toulouse, chaque sol-violette a une date d’émission et perd 2% de sa valeur après trois mois sans utilisation. Pour remettre le coupon-périmé dans le circuit, il faut payer auprès de la banque 2 centimes d’euros par sol-Violette.
L’objectif étant que cette monnaie circule rapidement, car plus l’argent circule vite, plus il crée de l’activité. Les partenaires et les particuliers peuvent reconvertir leur monnaie contre des euros, à condition toutefois de verser une commission de 3 à 5%. L’usager peut aussi payer avec un mix euro/stück, comme avec un ticket resto. A Strasbourg, les promoteurs n’ont pas encore choisi si la monnaie d’un paiement en stück pourra être rendue en euros, comme c’est le cas pour d’autres monnaies locales.
Pour les utilisateurs, il faudra adhérer à une structure – qui reste à définir- pour échanger ses euros contre des stücks. Les euros déposés sur un fonds de garantie seront ensuite gérés par la structure avec l’aide d’une banque partenaire. Ce pécule sera réutilisé pour financer des projets de développement local. A Toulouse, les « solistes », membres de l’association sol-violette, échangent leurs euros contre des billets de 1 à 50 Sols au Crédit coopératif ou au Crédit municipal. Cécile Favé, elle, espère que la société financière de la Nef (nouvelle économie fraternelle), une coopérative de finances solidaires, deviendra la banque de la monnaie locale strasbourgeoise. Elle explique ce choix :
« Alors qu’avec le Crédit coopératif on ne peut pas vraiment flécher où va l’argent et où il est dépensé concrètement, avec la Nef, cela permettrait de réinvestir localement les euros déposés sur le fonds de garantie, pour un projet concret. Par exemple, participer à l’achat d’un outil de production pour un prestataire partenaire… »
Lancement espéré pour la rentrée 2014
Le projet de créer le stück a émergé en juin 2012 à l’initiative du réseau Colibris et de l’association Éco-Quartier. Quelques mois de documentation et d’études plus tard, le groupe a obtenu une subvention du fonds social européen pour une étude de faisabilité (à hauteur de 17 000€) et l’appui de co-financeurs : la Région Alsace, la Ville de Strasbourg et l’Ademe (à hauteur d’environ 2 000€ chacun).
Les travaux ont débuté en décembre 2013 et devraient se poursuivre jusque fin août 2014. A partir d’aujourd’hui – et notamment ce vendredi – les associations vont tenter de faire connaître le stück aux Strasbourgeois et de générer un intérêt auprès des acteurs de l’économie sociale et solidaire. Des réunions publiques et des débats seront organisés (voir ci-dessous).
La deuxième phase, prévue de mars à mai, se focalisera sur les aspects plus techniques : définir la structure à laquelle devront adhérer les utilisateurs et les prestataires, choisir une banque, etc. Une fois les engagements pris, il ne restera plus qu’à prouver aux institutionnels que le projet est fiable et intéresse les Strasbourgeois.
Les contours restent à débattre
Pour définir l’usage de cette monnaie (solidaire, citoyenne, écologique…), tout dépendra des priorités soulevées par les citoyens, des attentes des prestataires, en bref de tous les utilisateurs potentiels de cette future monnaie, lors de rendez-vous de réflexion collective autour du projet. Enfin, elle aura du mal à voir le jour sans le soutien actif de la municipalité qui remportera les élections de mars.
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