Que se passerait-il à Strasbourg en cas d’explosion sur un site industriel ? Deuxième port français, l’agglomération accueille son lot de matières toxiques et inflammables.
L’organisation de la gestion de ces risques revient à la Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) d’après la directive Seveso, un nom générique qui désigne une série de mesures mises en place à l’échelle européenne après la catastrophe de 1976 à Seveso, en Italie. Un nuage de dioxine s’était répandu autour du site industriel, une matière très toxique.
Le département du Bas-Rhin compte 21 établissement classés Seveso (15 « à seuils hauts » dont 10 dans l’Eurométropole et 6 à « seuil bas »). En raison du volume des matières potentiellement dangereuses qu’ils manipulent, chacun de ces sites est exposé à des risques d’incendie ou d’explosion par inflammation d’un produit au contact d’un autre, ou d’une flamme, avec des effets probables de brûlures, d’asphyxie ou de lésions plus ou moins réversibles.
Les établissements Seveso sont donc précautionneusement entourés d’une zone tampon, sur laquelle les constructions sont réglementées. On ne peut, par exemple, y construire de nouveaux établissements recevant du public (ERP). Ces zones sont définies au sein de plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Il y en a quatre sur le territoire de l’Eurométropole strasbourgeoise : le port au pétroles, Butagaz, Lanxess et Wagram (Ex PRR).
En cas d’accident, les secours se coordonnent selon des dispositifs appelés plans particuliers d’intervention (PPI), révisés tous les trois ans.
Au port aux pétroles, hydrocarbures et azote liquide
Sur le port aux pétroles, les autorités suivent de près Rubis Terminal, qui entrepose des produits chimiques divers (dont carburants, fuel, éthanols, argon et azote liquide…), la société Prodair qui exploite une unité de séparation d’air et de liquéfaction des gaz, et Tredi, qui incinère des déchets industriels spéciaux. Ce qui rend le dossier du port aux pétroles très complexe est l’imbrication de différents sites, tous plus ou moins sensibles et tous voisins.
En cas d’incident, le périmètre du plan particulier d’intervention (PPI) englobe une bonne part de la Robertsau, quasiment jusqu’à la rue Boecklin. Plus de 2 600 habitants sont recensés dans cette zone, dont l’accès serait bouclé en cas d’incident.
La sécurité civile a étudié plusieurs scénarios de catastrophes possibles au port aux pétroles : feux d’hydrocarbures bien sûr, mais aussi des fuites d’azote, pouvant provoquer des asphyxies, explosions diverses : 32 « fiches d’accidents » ont été rédigées à l’intention des secours. Yves Bossuyt, directeur de la sécurité civile à la préfecture du Bas-Rhin, détaille la méthode :
« On part d’une étude de danger, on rédige une liste exhaustive des scénarios possibles puis on liste la série de mesures à prendre pour préserver les populations et résorber le problème. Pour chaque risque identifié, il y a des seuils, dont des seuils de létalité, qui définissent les périmètres des plans d’intervention. »
Ainsi, l’explosion d’un rebouilleur chez Prodair provoquerait une surpression de 20 mBar qui briserait les vitres jusqu’à 555 mètres autour de l’installation. Chez Rubis Terminal, l’explosion d’un camion citerne générerait une « mortalité de 5% » jusqu’à 19 m et une « mortalité de 1% » jusqu’à 25 m, etc.
À La Wantzenau, butadiène et acrylonitrile chez Lanxess
La deuxième zone industrielle Seveso dans le périmètre de l’Eurométropole est située à la Wantzenau, elle couvre les risques liés à l’entreprise Lanxess Emulsion Rubber. D’une superficie de 88 hectares, il s’agit du plus grand site de production de caoutchouc nitrile au monde (100 000 tonnes par an, 20% de la production mondiale). Le site emploie 300 personnes et fonctionne 24h sur 24, 7 jours du 7. Il est suivi pour ses stockages d’acrylonitrile, d’ammoniac et de butadiène.
À la lecture des phénomènes dangereux retenus pour définir le périmètre d’exposition aux risques, on comprend mieux pourquoi :
- Le Bleve (Bolling Liquid Vapor Explosion) des sphères de stockage (de butadiène). Le phénomène se produit lorsqu’un réservoir contenant un gaz inflammable est porté à haute température. La partie liquide entre en ébullition puis se vaporise instantanément en faisant exploser le réservoir qui le contient. Le gaz ainsi libéré s’enflamme en créant une boule de feu.
- Les Flashfire (explosion d’un nuage / feu éclair) sont provoqués par la dispersion d’un nuage de gaz suivie d’une explosion au niveau des canalisation qui alimentent les unités de production,
- Les jets enflammés ou feux « torch », qui résultent des ruptures ou des fuites sur les canalisations de gaz. Ces jets s’enflamment immédiatement dès la naissance de la fuite,
- La dispersion d’ammoniac suite à la rupture du réservoir d’ammoniac liquéfié. Ce phénomène génère des effets toxiques,
- La dispersion d’acrylonitrile (un gaz toxique et inflammable) suite à un épandage dans la cuvette de rétention. Ce phénomène génère des effets toxiques liés à la dispersion dans l’atmosphère.
Le site est déjà bien isolé, mais le périmètre du plan particulier d’intervention (PPI) englobe tout de même 4 000 personnes, dont deux écoles et une maison de retraite. La sécurité civile a identifié « 66 phénomènes dangereux sur le site dont 29 générant des effets à l’extérieur ». Le PPI prévoit 12 scénarios catastrophes, dont des « bleve » à répétition, compte-tenu de la proximité des installations de stockage.
Ainsi l’explosion d’une sphère de butadiène frais provoquerait une mortalité de 5% au moins des personnes exposées jusqu’à 600 mètres du site, des blessures irréversibles seraient causées aux personnes situées à moins d’un kilomètre (voir schéma ci-dessus).
À Reichstett, butane et propane pour toute la France
Un peu plus au sud, le site de Butagaz à Reichstett stocke plus de 1 800 tonnes de propane et de butane sur quatre hectares. L’usine conditionne les bouteilles de gaz à destination du marché français, elle traite 40 000 tonnes par an environ et emploie une vingtaine de salariés. Là encore les « événements redoutés » sont les « bleve » mais aussi les « flash fire », provenant d’une ignition d’une fuite de gaz.
Le PPI de Butagaz n’inclut qu’environ 350 personnes, dont la rue de la Peupleraie à Reichstett. Plus de 20 scénarios sont prévus, dont un « flash fire » en zone pomperie qui ferait se briser les vitres jusqu’à 700 mètres.
Une impressionnante cascade d’intervenants
En cas d’accident, la procédure de mobilisation est généralement celle-ci : l’entreprise concernée active son « plan d’organisation interne » (POI). La préfecture en est immédiatement avisée. Si la mise en oeuvre du POI ne résout par le problème, alors le PPI est activé avec une première phase dire « réflexe » : alerte de la population (voir ci-dessous), bouclage du périmètre et mobilisation des moyens d’intervention.
Ceux-ci comprennent les 618 pompiers professionnels du SDIS (service départemental d’incendie et de secours), les 4 894 volontaires, le Samu et les forces de l’ordre, mais la sécurité civile peut aussi mobiliser selon les cas d’autres corps de l’État, voire l’armée en cas de besoin, pour installer des équipements sanitaires d’urgence par exemple. En cas de nombreuses victimes, le plan « novi » peut être déclenché, ce qui mobilise du personnel de soin supplémentaire.
Des moyens d’intervention peuvent être appelés en renforts des départements voisins. Les procédures n’incluent pas les services de secours allemands, qui ne sont mobilisables que par le biais d’une action internationale mais ils sont néanmoins prévenus quand une alerte se déclenche.
Tous les opérateurs de réseaux sont également prévenus : le gaz, l’électricité, ainsi que la SNCF, la CTS, l’aéroport d’Entzheim et le Caring pour la navigation sur le Rhin. Météo France fournit à la sécurité civile un bulletin de prévisions immédiates sur le vent, sa vitesse et sa direction. Ouf.
Les consignes à appliquer en cas d’accident grave
En cas d’accident grave sur un site Seveso, la population est avertie par une sirène d’alerte (3 séquences d’une minute et 41 secondes séparées par un silence, le son étant modulé c’était à dire montant et descendant).
La mesure de protection de la population est le confinement. Par conséquent, les consignes de sécurité sont :
- Rejoindre immédiatement un local clos (un véhicule n’étant pas une bonne protection),
- Fermer les portes et les fenêtres et boucher toutes les arrivées d’air,
- Arrêter la ventilation, la climatisation ou le chauffage,
- S’éloigner des vitres. La meilleure protection étant une pièce sans fenêtre possédant une arrivée d’eau,
- S’il y a une odeur anormale, respirer au travers d’un linge mouillé,
- Ne pas fumer.
Écouter la bonne vieille radio FM
En outre :
- Il ne faut pas chercher les enfants, car l’école s’en occupe.
- Pour s’informer, les autorités recommandent d’écouter la radio (France Bleu Alsace – 101.4 MHz) qui doit immédiatement interrompre ses programmes et qui est dans la boucle des premiers médias informés. L’Agence France presse est également dans la liste, ce qui assure une diffusion générale et rapide des informations auprès des autres médias.
- Les autorités demandent de ne pas téléphoner, afin de libérer les lignes pour les secours.
Dans le cas où une évacuation de la population est nécessaire, il est prévu que des véhicules équipés de haut-parleurs de la sécurité civile diffusent des annonces. Les communes doivent alors appliquer un autre plan, appelé plan communal de sauvegarde, et qui prévoit la réquisition des gymnases et autres lieux qui pourraient accueillir temporairement la population évacuée. L’armée doit envoyer des véhicules de transports de troupes.
Un peu anxiogène tout ça ? Pas de panique, voici le signal de fin d’alerte est un signal continu non modulé durant 30 secondes :
(avec Pierre France)
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