Basculer
Brett Bailey, auteur dramatique, scénographe, metteur en scène, programmateur de festivals et directeur artistique de la compagnie Third World Bunfight, travaille dans toute l’Afrique du Sud, au Zimbabwe, en Ouganda, à Haïti, au Royaume-Uni et en Europe. Avec Exhibit B, il fait appel à des intervenants locaux, rencontrés à Strasbourg et qui sont impliqués dans cette création qui diffère d’un lieu de présentation à un autre.
À la brasserie Schutzenberger, nous sommes tout d’abord invités à prendre place dans une salle d’attente devant des parloirs derrière lesquels se trouvent deux femmes portant le voile. Nous devons garder le silence puis nous quittons la pièce au moment de l’appel de notre numéro. Dans cette salle, nous basculons et devenons celui qui attend sans savoir ce qui va lui arriver, qui devient un numéro. L’identité est niée comme elle peut l’être dans l’administration, il est plus facile de traiter des numéros que des individus, l’affect n’entre plus en ligne de compte. Ceci est le premier basculement : brutal, efficace que ce passage de l’état de spectateur qui vient voir un événement culturel à celui de numéro qui attend ou à celui d’immigré qui vogue vers l’inconnu.
Les numéros sont appelés les uns après les autres, de manière aléatoire. On se rend ensuite dans une maison où se déroule une exposition de type colonialiste. Là, de numéro, on devient complice, criminel, aveugle et raciste. On devient l’homme blanc qui exhibe l’homme de couleur sans se soucier de ce qu’il est.
Chaque pièce de cette maison est à la fois tableau et théâtre, musée, zoo et scène. Elles sont toute pensées comme des tableaux indépendants et nous immergent dans des micro-univers qui racontent une histoire tragique, celles d’individus maltraités à qui il redonne vie.
Voir
Dans les premières pièces, ce qui est présenté a l’air ancien, passé : de vieilles histoires surgies d’un autre temps comme si de nos jours elles n’avaient plus cours. Progressivement, on se rend compte que Brett Bailey a, dans sa scénographie, mélangé les époques et les lieux. Ainsi, on va voir un immigrant sénégalais – portant le nom ou titre sur le cartel d’« objet trouvé #2 », rien que cela choque – puis un chœur de têtes décapitées dans « le cabinet de curiosités du Dr. Fischer », et ainsi de suite en un enchaînement irréel.
Les cartels mettent des mots sur ce que l’on voit, ils relatent les histoires de ces hommes et femmes. Elles sont toutes basées sur des faits réels, historiques. Il s’agit de morts, d’individus qui ont été objectivés et utilisés, niés dans leur individualité, qui ont été torturés, massacrés, exposés, exhibés sans aucun souci de leur humanité. Au fond, ils étaient traités moins bien que des animaux. Et le sont encore.
Un point commun : le regard
Les performeurs des différents tableaux présentés ont tous un point commun qui n’est pas uniquement la couleur de leur peau : le regard. Leur attention est toute entière tournée vers le spectateur qu’ils ne quittent pas du regard, perturbant : combien de spectateurs ont-ils maintenu le regard et que signifie-t-il ? Si on ne regarde pas, est-ce que cela veut dire qu’on ne veut pas voir, qu’on ne veut pas se confronter à une réalité qu’on préfèrerait ignorer ou qu’on a honte ? Et si on fixe le regard, cela met-il le spectateur en position de refus de toute culpabilité ou alors souhaite-t-il que son regard exprime de la compréhension en une sorte d’acceptation muette de sa responsabilité ?
À une époque où les extrêmes politiques ont de plus en plus de poids et où les déclarations racistes se font de moins en moins masquées, Exhibit B de Brett Bailey résonne de façon particulière. Brett Bayley nous y confronte le temps d’une exposition, exhibition, performance, à nous de ne pas oublier, de partager et de ne pas baisser le regard parce qu’il est plus simple de ne pas voir.
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