Le quai Jacoutot, dans la Ceinture verte de Strasbourg, son canal le long de l’Orangerie, ses péniches, le consulat de Turquie, sa route vers le port-aux-pétroles, son futur centre technique, son club de tennis et… son nouvel ovni : l’Euroasis. Pour l’instant, c’est surtout trois grandes maisons délabrées dans un espace verdoyant, voire sauvage.
L’association Euroasis a récupéré les clés début juillet au titre d’une convention d’occupation précaire. L’histoire ? En 2017, la municipalité met en vente ce lot de 2 hectares dont elle est propriétaire depuis 15 ans, mais ne sait pas vraiment quoi en faire. Après un appel à candidatures, le projet collectif Euroasis l’emporte en 2018. Un an de discussions plus tard, il n’y aura pas de vente, mais un bail emphytéotique, de 25 voire 50 ans à loyer symbolique. Un moyen aussi de repousser les menaces de recours d’un candidat écarté. De son côté, Euroasis compte créer un espace dédié aux transitions « écologiques, démocratiques et personnelles ».
Trois maisons et des arbres
Alors que trouve-t-on une fois passé le portail en métal vert ? Trois maisons et une quatrième en piteux état qui menace de s’écrouler. Mais aussi des chemins, une yourte, une clairière, de très hauts arbres où les porteurs de projets imaginent des cabanes, quelques lampadaires d’un autre temps, une toile tendue… Du côté du quai, un triangle de terre est entrain d’être défriché pour y créer un potager en permaculture.
Sous ses airs de projet utopique, c’est une aventure à plusieurs millions d’euros qui se prépare. Une partie du terrain est constructible, ce qui permettra de tripler la surface totale (2 250 m²). Un bar associatif, un espace de co-working, un lieu pour l’événementiel, un autre de l’hébergement pour les invités et personnes de passage, une école et micro-crèche sont prévus.
Les loyers de ces activités serviraient à rembourser les prêts et rémunérer les sociétaires, Euroasis étant amenée à devenir une coopérative (une SCIC). Les sources de financement seraient multiples (fonds européens, promesse de dons, prise de participation, mécènes, coopérative des colibris, financement participatif, prêt classique, etc.).
La première étape, dès cet automne, c’est une rénovation « légère » des trois maisons construites dans les années 1900, de 250 m² chacune. Ces bâtisses ont toutes trois niveaux, dont des combles aujourd’hui mal isolés (donc très chauds en ce mois d’août), où du logement temporaire de groupes est imaginé.
Besoin de personnes investies
Pour y arriver, Euroasis compte d’abord convaincre 20 personnes, entièrement prises en charge, de participer à ce chantier à l’automne 2019. Plus que des âmes bricoleuses, l’association cherche surtout des personnes « enthousiastes » qui peuvent s’investir. En échange de leur travail, pas de salaire, mais des parts dans la future société coopérative.
Le principe, c’est 1 heure = 20 euros. Il faut 500 euros pour posséder une part (soit 25 heures de travail), ensuite rémunérée à hauteur de 1,25%, « un peu plus que le livret A ». « On a considéré que le travail méritait d’être récompensé, surtout pour un projet qui va prendre de la valeur. Sinon, ce sont les financiers qui remportent la mise », explique Philippe Kuhn, porte-parole de l’association.
Les étapes suivantes : des nouveaux lieux sur les parties constructibles pour tripler la surface occupée, soit 1 500 m² supplémentaires d’ici deux ans (un an pour le permis et un an pour la construction). Puis une rénovation plus profonde des maisons d’origine.
Si l’une des priorités est de remettre à jour les réseaux d’électricité, de chauffage, au gaz et au mazout, « on compte sortir des énergies fossiles avec peut-être de la biomasse ou une pompe à chaleur », projette Philippe Kuhn qui n’oublie pas la vocation écologique du lieu.
Inspiration bretonne
L’Euroasis et son mode de fonctionnement s’inspire de La Bascule, une occupation temporaire de l’ancienne clinique de Pontivy (Morbihan) et plus généralement de la philosophie des Colibris. Et à Strasbourg ? La Grenze derrière la gare, chez qui du matériel sera récupéré après sa fermeture fin octobre, le Kaleidoscope, AV lab…
Si le thème des transitions « démocratiques » et « environnementales » reviennent désormais régulièrement dans les mouvements citoyens et politiques, celui des transitions personnelles est moins souvent évoqué. « On peut manger bio, se chauffer aux énergies renouvelables et tout de même exploiter son voisin. La prise de conscience doit aussi être personnelle », explique à ce sujet Philippe Kuhn.
Fonctionnement en cercles
Emprunt de principes démocratiques, l’association se réunit « en cercles ». Le jeudi 22 août, c’était le « cercle général » qui se retrouvait, avec une dizaine de personnes, dont une au téléphone. Après une « météo intérieure » où chacun communique son humeur actuelle, les participants font le point sur les avancées et blocages de chacun. Ce soir-là, une promesse de subvention de 100 000 euros sur deux ans de la municipalité vient égayer la discussion.
L’Euroasis compte se présenter largement au grand public le week-end du 20-22 septembre à l’occasion de son premier « festival », comme l’appellent les membres du cercle, préoccupés par sa bonne organisation. L’occasion peut-être de convaincre d’autres personnes de s’investir, en temps ou en argent, dans la future coopérative.
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