Le débat sur le Grand contournement ouest (GCO – voir tous nos articles) de Strasbourg se déporte de plus en plus sur la pollution de l’air à Strasbourg, particulièrement le long de l’A35, en y chassant ses camions en transit. L’exposition des habitants aux particules fines revient régulièrement dans le débat public. Et la dispute autour du GCO ne porte plus tellement sur les embouteillages depuis que des soutiens du projet ont reconnu que l’autoroute payante de 24 kilomètres ne suffirait pas à éviter les bouchons vers Strasbourg le matin et en sens inverse le soir.
Sur la pollution de l’air, une seule étude fait foi. Elle a été réalisée par Atmo Grand Est (ex-Aspa Alsace), finalisée le 1er décembre 2016 et publiée en 2017. Ses résultats sont utilisés par les détracteurs comme les soutiens du projet.
Particules et dioxyde d’azote dans l’air respiré
Atmo Grand Est étudie les trois polluants mesurés dont les concentrations sont critiques à Strasbourg et dues en partie au trafic routier : les particules PM10, les particules fines PM2,5 (quatre fois plus petites, d’une taille de 2,5 micromètres) et le dioxyde d’azote (NO2). L’étude traite de la pollution de fond comme des pics. Elle analyse un scénario sans GCO en 2021 et trois variantes de requalification de l’A35 en plus du GCO : A35 sans changement, A35 avec une voie pour les transports en commun et A35 avec une voie pour le covoiturage et les transports en commun.
20 critères de pollution ont été étudiés (10 sur la population exposée et 10 sur la surface). La synthèse des résultats est peu flatteuse pour le GCO :
- Le GCO n’a aucun impact sur 12 d’entre eux,
- Dans 6 cas, le GCO a un impact positif sur la surface où des valeurs limites sont dépassées,
- Dans 1 cas, le GCO a un impact négatif sur la surface concernée par les dépassements de PM10,
- Dans 1 cas, la population concernée par les 35 jours de pics de PM10 chaque année, le GCO a un impact positif pour 10 à 20 habitants. La population exposée passe de 160 personnes sans l’option GCO à 150 ou 140, selon la variante choisie. En 2015, 960 riverains étaient concernés par ces dépassements. La limite des 35 jours n’a plus été atteinte depuis 2013.
La synthèse des 20 critères étudiés
Les pièges des valeurs arbitraires
Cette apparente inefficacité est en partie dues aux différentes limites fixées par les autorités Pour bien comprendre l’analyse, il faut savoir que la pollution atmosphérique est appréhendée par deux types de « valeurs limites » de concentrations dans l’air. Celles fixées par les 28 pays de l’Union européenne (UE) peuvent à terme entraîner des amendes pour la France.
À cela, s’ajoutent les « valeurs guides » de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour les particules. Elles sont plus exigeantes et plus protectrices pour la santé, sans pour autant empêcher tout danger. Si elles étaient atteintes, on estime à 17 712 le nombre de décès évités sur les 48 000 provoqués par l’activité humaine en France. Elles n’ont en revanche aucune valeur légale ni contraignante.
Pics aux PM10, un effet sur 10 à 20 habitants de plus
Le atteignables valeur de l’OMS
Mais dans certains cas, comme pour la concentration annuelle de PM10, Strasbourg tend à s’approcher des taux de pollution édictés par l’OMS (26 µg/m3 en 2016 sur la station la plus élevée, la norme UE étant à 40 µg/m3 et celle de l’OMS à 20 µg/m3). Si bien qu’elles deviennent un objectif.
Pour les dépassements quotidiens de dioxyde d’azote (NO2) en revanche, l’État français, et par ricochet Strasbourg, est sous le coup d’une amende de la Commission européenne. Une des réponses à apporter avant la mise en place du GCO serait une Zone à faible émission (ZFE – voir nos articles), non-prévue à l’époque de l’étude.
Strasbourg a par ailleurs été sortie de la procédure concernant les 35 jours de pics de PM10 par an (elle en a compté 30 en 2014 ; 31 en 2015 ; 19 en 2016 et 30 en 2017). Concernant les PM2,5, la France est dans les objectifs européens qui ne sont guère exigeants (25 µg/m3 contre 10 selon l’OMS).
Pour se représenter l’effet GCO
Strasbourg sous les valeurs limites avec ou sans GCO
Selon l’étude, à quelques centaines d’habitants près, Strasbourg tendra à être au-dessous de toutes les normes de l’Union européenne en 2021, et ce, avec ou sans GCO. Selon l’indicateur choisi, le nombre de personnes exposées passe ainsi de 1 100 à 0 (NO2) ou de 120 à 10 (PM10). L’association de protection de l’air estime que l’amélioration des moteurs et le développement de l’offre de transports en commun participent à cette progression régulière depuis les années 1990. Cet progrès des pratiques et des technologies est beaucoup plus nette qu’un éventuel « effet GCO. »
Pour les normes plus exigeantes de l’OMS, le GCO n’a aucun impact sur la population de l’Eurométropole et au-delà (509 500 habitants), qui restera surexposée dans sa quasi-totalité, quel que soit le polluant. Pour résumer, Strasbourg serait en 2021 en-dessous des normes pour lesquelles elle risque des sanctions (normes UE), mais au-dessus de celles vraiment protectrices de la santé de ses habitants (normes OMS).
Une étude un peu plus poussée permet de nuancer cet impact quasi-nul. Pour chaque polluant, des cartes sont produites en complément des tableaux chiffrés. Et là, les zones bleues (baisse de pollution) sont un peu plus grandes ou plus intenses que les zones jaunes et rouges (hausse de la pollution).
L’impact plus diffus des NO2
Pour le NO2, les différents scénarios montrent une baisse de quelques microgrammes (souvent entre 1 et 5µg/m3), contrebalancée par des hausses à peu près équivalentes le long du GCO, mais sur un périmètre bien plus restreint.
Faible impact sur les PM10
Pour les particules PM10, la différence est plus limitée, de l’ordre de 2 µg/m3 maximum. Le nombre de pics de pollution aux PM10 diminuerait de 5 à 3 jours par an par rapport à 2015. L’effet de l’infrastructure sur la qualité de l’air se déploie sur des surfaces plus petites.
Faible impact sur les PM2,5
Pour les particules PM2,5, la différence est aussi de l’ordre de 2 µg/m3 maximum. Le nombre de pics annuels diminuerait de 2 jours sur certains points le long de l’A35, mais quel que soit le scénario Strasbourg demeurerait au-delà des 80 jours, voire 100 jours de pics. L’objectif de l’OMS est de 3 jours de pics par an, tandis que l’UE ne réglemente pas ces dépassements.
Quelques nouvelles personnes exposées
Ce différentiel en microgrammes peut avoir un impact sur la santé d’habitants près de l’A35, même s’il est léger et difficile à quantifier. Cependant, quelques habitants au nord du tracé à Vendenheim, à moins de 100 mètres du tracé, intègrent la catégorie des populations exposées aux limites de l’UE, alors qu’elles ne l’étaient pas en 2015. Pour le reste des 24 kilomètres, il n’y a pas de nouvelle population concernée.
Les habitations des villages traversés étant à plus de 200 mètres du tracé, la pollution se disperse dans l’air dans cet environnement peu urbanisé. Des hausses de pollution seront enregistrées avant l’entrée sud du GCO, à Innenheim, sur l’axe vers Sélestat et Colmar.
Sollicité, le directeur délégué d’Atmo Grand Est, Emmanuel Rivière, prend soin de ne pas tirer de conclusion sur le GCO :
« On ne peut pas dire que toute la pollution de Strasbourg s’en va vers le Kochersberg, ni que cela ne change rien à la situation actuelle. Quelle que soit la solution, et ça c’est aux décideurs de trancher, si on ne veut plus avoir d’inégalités d’exposition à la pollution à Strasbourg, seule une réduction drastique du trafic sur l’A35 permettra d’y arriver. Il faudrait qu’il n’y ait plus que 80 000 véhicules par jour. «
Selon la préfecture du Bas-Rhin, les projections estiment entre 150 000 à 145 000 véhicules par jour au cœur de l’A35 après le GCO contre 165 000 en 2016.
Des limites théoriques à l’étude
L’étude est par nature plutôt prudente dans ses projections. Mais Emmanuel Rivière insiste sur l’importance de s’approcher des valeurs OMS :
« La limite de l’exercice est que pour les simulations routières, le reste de la pollution (logements, industries, agriculture) est supposé constant pour bien mettre en évidence les impacts des routes. Or, sur le long terme il y a des améliorations sur les autres facteurs, quand bien même on peut avoir des rechutes certaines années si les conditions météorologiques sont défavorables. Si on intègre des baisses de pollution de fond de 2 µg/m3 en 2021 par rapport à 2015, 50% de la population pourrait passer sous les limites de l’OMS. Avec une diminution de 2 µg/m³ pour les PM2,5, plus personne n’habiterait dans une zone de dépassement de la valeur limite « cible », sans effet sur les limites OMS pour lesquelles il faut plus d’efforts. Entre 2013 et 2017, on a bien enregistré des baisses de PM10 et de PM2,5, mais il y a eu des stagnations ces trois dernières années, ce qui empêche de faire des scénarios prospectifs. »
Notons que cette étude est réalisée à population constante pour mieux apprécier les variations. Mais plusieurs ensembles immobiliers sont prévus à proximité de l’A35 comme le quartier Fischer, un immeuble de logements à la place de la Semencerie ou au Neudorf le long de l’avenue du Rhin, où l’air est aussi très pollué. Ainsi, la population surexposée pourrait augmenter en dépit d’améliorations générales.
Grâce au GCO, la diminution km² surexposés en pollution est plus évidente (jusqu’à 74% de surface en moins). Et même si ces emplacements ne concernent personne à ce jour, cela peut permettre de libérer des espaces fonciers près de l’A35, pour y construire des logements qui ne seront alors plus exposés aux seuils de l’UE.
L’étude « flash » met un an à crépiter
L’étude s’intéresse à la pollution réglementée et mesurée. Selon plusieurs médecins, les baisses « mécaniques » de ces polluants cachent une augmentation des nanoparticules, mille fois plus petites que les microparticules et potentiellement plus nocives. En l’absence de mesures officielles, le phénomène reste difficile à appréhender.
Une étude d’impact Santé (EIS) plus globale sur les répercussions générales du GCO a été commandée par l’Eurométropole, qui a mandaté l’École des hautes études en Santé (EHES) de Rennes. Son principe avait été validé en novembre 2017 lors d’une séance exceptionnelle sur le GCO. Cette étude, dite « flash », a été proposée par le médecin et conseiller eurométropolitain Alexandre Feltz (La Coopérative). Le président de l’Eurométropole Robert Herrmann (PS) en a accepté le principe « à la condition que nous puissions profiter de cette étude pour aller plus loin que le débat sur le GCO. » Elle n’a été commandée qu’au début de l’été 2018 et ne sera finalisée au premier semestre 2019.
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