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Étranger à Strasbourg, j’ai vu le racisme

Le racisme, je le vois tous les jours. Les insultes directes sont peu nombreuses, mais il y a les remarques accidentelles, emplies de mépris et d’ignorance. Additionnées à la solitude de l’étranger, on ne peut en ressortir qu’amer avec le temps.

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Mysterious Man Waiting (Photo Katleen Vanacker / Visual Hunt / cc)

Entretien d’embauche, mon tout premier à Strasbourg. J’ambitionnais de prendre un petit boulot, histoire de faire un peu d’économie et de pouvoir voyager. L’employeur en face de moi, après avoir feuilleté mon CV puis passé les questions d’usage, jette un regard sur mes cheveux. « Ne serait-il pas possible que vous lissiez vos cheveux ? Ils sont trop frisés et ce n’est pas beau. »

Pour la première fois de ma vie, j’allais être victime de discrimination eu égard à la texture de mes cheveux ou, osons le dire, de racisme pur et simple. Je l’avais pourtant déjà vu ailleurs ce racisme, il n’était déjà pas beau. Ses auteurs étaient des compatriotes marocains, les victimes étant des sub-sahariens venus au Maroc. Je l’avais trouvé nauséabond, insupportable et à dénoncer. Je m’en indignais quand il le fallait.

Ici à Strasbourg, bien rapidement, je me rendais compte que ma relation avec ce racisme allait changer. Cette fois-ci, je suis la victime du racisme ordinaire, des remarques condescendantes et des mots qui blessent. Je ressentais la Hogra et la subissais occasionnellement, non sans en ressortir indemne. Je l’encaissais avec un sourire assez timide, avant de me lasser de ce rappel incessant des origines, comme s’il s’agissait d’un handicap.

Le racisme du regard

Le racisme en France, je le vois dans les yeux des personnes me regardant comme si ma personne n’était au final qu’un pauvre étranger sans repères. Du mépris se dégage des remarques et des questions des personnes avec lesquelles il m’arrive d’échanger, de l’ignorance aussi. La cible ? Des fois ma maîtrise de la langue. Un « comment se fait-il que tu parles anglais et français ? » que j’entends souvent, naïf probablement, comme si au Maroc on ne parlait qu’en arabe et en gestes. Certains jugent la question d’innocente, alors que je n’y vois avant tout que de la condescendance.

Aussi, je me rappelle de cette jeune fille bien jolie au demeurant mais dont la désillusion n’allait pas tarder à sauter à mes yeux. « Mais il y a des facultés de droit au Maroc ? Et on vous enseigne tout ça ? », ai-je pu entendre de sa part, comme si mon Maroc, mon pays qui m’a tout donné, n’était qu’un vaste désert avec quelques loueurs de chameaux par-ci par là, bons à attendre le premier touriste étranger daignant déverser quelques euros aux pauvres nécessiteux que nous sommes.

Mysterious Man Waiting (Photo Katleen Vanacker / Visual Hunt / cc)
Mysterious Man Waiting (Photo Katleen Vanacker / Visual Hunt / cc)

Si je suis en France, c’est forcément pour quitter le Maroc…

Dans cette France que je découvre, je donne souvent l’impression d’être cet étranger venu « conquérir » la nationalité française et dont la finalité de toutes ses actions ne serait que de décrocher le précieux sésame du passeport rouge. C’est le cas lorsque cette fille, intéressante à première vue qui décida par un joli soir de novembre, sans trop le vouloir me semblait-il, de clore toute tentative de convivialité de ma part, avec une question qui lui paraissait toute fondée : « mais du coup, en France, tu comptes te marier ou travailler pour avoir la nationalité ? Tu la mérites, je le sais », lâcha-t-elle, étudiante qu’elle est, censée étudier les aspects juridiques de l’international, ce qui ne veut pas dire sombrer dans l’ignorance et la bêtise.

À aucun moment, lorsqu’on me pose ces questions, on s’interroge sur mon lien avec le Maroc. Si j’aime mon pays ou pas, si je lui suis reconnaissant ou pas. J’ai l’impression que pour tout autre étranger, spécialement ceux venant du sud de la Méditerranée, il n’y a pour ces Français que je rencontre aucun intérêt à être fier d’un pays comme le mien, et qu’au final, il n’y a de bons, de justes et d’équitables que les pays du nord, que l’Occident. Pour eux, un maghrébin ne pourrait pas être fier de sa nationalité et ne souhaiterait à aucun moment ne pas la substituer par une autre.

Un sourire… puis le dégoût quotidien

Les anecdotes à raconter sont légion, surtout lorsqu’on en vient à croiser chaque jour plusieurs personnes. Les insultes, peu nombreuses pour l’heure, sont pourtant bien là. En tant que barman, à une personne que j’ai refusé de servir un soir, notamment eu égard à son état d’ivresse avancée, j’ai déjà eu comme réaction un sec « sale nègre ! ». Avec une autre, on a essayé de me rappeler mon statut fragile d’étranger. Pour elle, un étranger n’a pas à décider de ce que devrait faire un Français ou pas.

Pour réagir, j’ai préféré un grand sourire, assez évident lorsqu’on sait que les personnes en question sont sous l’emprise de l’alcool, et moi en service, devant garder son sang-froid. Un grand sourire peut momentanément résoudre le problème, calmer les tensions et éviter la tempête. Mais tout juste après, une fois que tout se calme, la grimace du dégoût vient remplacer le sourire, pour le reste de la soirée.

Autant de remarques, de critiques et de phrases qu’il ne serait pas évident de mentionner ici. On me conseille bien souvent de les oublier, les Français racistes ne représentent qu’une infime minorité parait-il. Mais il est bien difficile de ne pas garder son ressenti à l’écart et de ne pas se poser de questions. Ailleurs qu’en France, aurais-je été mieux accueilli ? Verrait-on en moi avant tout un étudiant déjà diplômé venu avec son argent et sa culture, avant de me voir comme un étranger fasciné par la France et admiratif d’une civilisation à laquelle je ne cherche qu’à adhérer ?

Verra-t-on mon Maroc comme un pays assez complexe et plutôt loin des stéréotypes véhiculés par des médias qui n’y ont jamais mis les pieds ? Je ne sais pas si ailleurs qu’en France, cela aurait pu être possible. Je me le demande souvent, vu que pour l’heure il n’y aucun attachement sentimental à cette terre où je ne suis venu que pour faire mon temps.

Être étranger, ce triste sentiment

Je n’ai jamais été « étranger » quelque part, du moins senti cette impression qu’on n’était pas à sa place. Ici à Strasbourg, très tôt je l’ai sentie. Et cela tombait profondément mal. Parce qu’avec ce sentiment de ne pas être à sa place, on ressent immédiatement une tristesse faite d’émotions plus ou moins confuses, on ne sait contre qui en vouloir ni qui critiquer, les uns rappelant que les anecdotes ne sont qu’exception et les autres préférant voir ailleurs. C’est avec ce sentiment de tristesse que bien tôt je compris que ce n’était pas un mythe : le mal du pays existe, il était là, avec moi à Strasbourg. J’étais en train de le ressentir à plus forte intensité dans ce pays où j’allais toujours être un étranger, même si je n’envisageais de n’y rester que quelques petites années, le temps d’obtenir mes diplômes.

Je pense aussi à ceux qui ne sont pas comme moi : ils sont Français et d’origine maghrébine. Ils sont nés ici, à Strasbourg peut-être, et chaque jour il y a ce regard qui se pose sur eux : avant d’être Français, ils restent pour certains étrangers. Je ne sais pas ce qu’ils doivent ressentir et je ne suis pas en mesure de savoir, je ne le saurais peut-être jamais. Heureusement serais-je tenté de dire, je n’aimerai pas être ce Français rejeté par les siens ni grandir dans un pays au roman national qui ne me reconnaît pas, avec une histoire commune qui passe sous silence les souffrances de mes ancêtres.

Il n’y aurait de pire sensation que celle-ci : celle de vivre à sa place, là où on est né, sans pour autant s’y sentir familier et qu’avec le temps, cette sensation vient à être substituée par l’angoisse, la perte de repères et la mélancolie, sources de tous les maux, à commencer par la violence. Au final, l’histoire de la violence ici est avant tout française, contrairement à ce qu’on pourrait penser.


#maroc

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