« Enfin là, on dirait surtout que vous voulez sortir le fusil contre la municipalité.
– Mais ce n’est pas un fusil qu’il faut, c’est un missile ! »
L’échange est vif, c’était le but de cette soirée « parole libre » où quelques noms d’oiseaux ont volé. Elle se déroule mardi soir, dans un salon du pâtissier Christian à Strasbourg, où une trentaine de commerçants ont fait le déplacement.
La raison : une insatisfaction vis-à-vis de la situation du centre-ville pour leurs commerces. L’initiative de Christophe Meyer et de sa sœur Isabelle Felten, gérants des deux enseignes Christian, vise à « décloisonner » les associations de commerçants (Vitrines de Strasbourg, Cœur gourmand, Carré d’or, etc.), faire « remonter les difficultés et les idées », pour mieux se faire entendre. Dans le collimateur : la municipalité de Strasbourg.
Ce cauchemar du centre-ville de Strasbourg
Chacun devait venir « en son nom » et pas en celui d’une association. Certains problèmes évoqués ont « au moins 30 ans », d’autres sont plus récents.
Les commerçants présents ont dressé un portrait de la grande-île de Strasbourg qui peut paraître quelque peu apocalyptique : « une porcherie » d’abord, difficile d’accès en plus, un tramway « infréquentable » évidemment, des parkings forcément trop chers et pas assez nombreux, des vélos qui terrorisent les passants et découragent les clients, des pickpockets en liberté, une vie nocturne où « on s’emmerde » et qui incite les jeunes à préférer les soirées en appartement, une opération « Strasbourg Mon Amour » qui ne ramène aucun touriste…
On continue ? Un parking place de Bordeaux annoncé depuis deux ans mais qui ne vient pas, un Parlement européen qui profite surtout aux locations AirBnb et aux hôteliers allemands, le stationnement entre 12h et 14h devenu payant…
Conclusion logique : « Les Strasbourgeois ne viennent plus dans le centre », mais les habitants des communes aux alentours non-plus, car « c’est trop compliqué », en particulier pour y accéder et par manque d’information.
Le Marché de Noël, rhabillé pour l’année
Quant au Marché de Noël, il serait « en perte d’identité », en « manque d’animation » et l’image d’une ville fermée qu’il renvoie a été très critiquée. La fréquentation est annoncée en hausse ? Qu’importe, les commerçants présents ont le sentiment inverse. Selon une personne dans l’assistance, les chiffres communiqués lors des bilans seraient inventés. « Quand les gens lisent ça dans la presse ensuite, ils ont l’impression qu’on est des nantis ! », s’énerve un commerçant. Une partie de l’assemblée insiste sur l’importance de porter le débat sur « les onze autres mois ».
La situation est-elle si dramatique ? En termes de pourcentage de locaux commerciaux vides (moins de 5%), le centre-ville de Strasbourg figure pourtant parmi les plus dynamiques de France. Mais s’ils ont vu certaines taxes augmenter ces dernières années, les commerçants n’ont pas constaté d’amélioration des services, comme le résume Christophe Meyer :
« À part la rénovation de la place du Château et les éclairages de la cathédrale, que s’est-il passé au centre-ville ? Rien. Alors qu’au Port-du-Rhin, au Wacken, à Vendenheim, se sont des nouvelles villes qui se construisent. »
La grosse inquiétude appelée « ZAC Vendenheim »
L’agrandissement de la zone commerciale au nord de Strasbourg, déjà l’une des plus grandes de France en surface, pour laquelle l’Eurométropole va débourser 9,7 millions d’euros revient régulièrement dans les inquiétudes et les griefs des commerçants. La question, soulevée par une participante, est de s’y opposer frontalement ou pas, de trouver des passerelles, des partenariats, des boutiques éphémères…
Après le temps des critiques, vient celui des propositions. Le problème est que si les échanges sont cordiaux avec les élus, certaines décisions majeures seraient prises sans que les commerçants en soient informés, selon certains participants. La mise en place du stationnement payant entre 12h et 14h est dans toutes les têtes. Les commerçants espèrent faire annuler cette mesure « qui a fait fuir même la clientèle aisée », et fustigent le déploiement d’arceaux à vélo sur des places auparavant consacrées au stationnement des véhicules.
Pour un commerçant, la Ville n’a pas de vision pour son centre à long terme :
« Si le projet est que la ville soit piétonne dans 5 ou 10 ans, ce qui n’est pas forcément mon souhait mais qui est une possibilité, il faudrait qu’on le sache et que l’on puisse anticiper. »
Et alors déployer des propositions, des taxis électriques dans le centre, des vélos-cargo pour transporter les personnes et développer la livraison à vélo du dernier kilomètre, des navettes électriques dans la grande-île (à l’instar des véhiclules Cristal qui seront en test à partir de septembre), etc.
Parmi les idées, des parkings en plein centre
Parmi les autres idées évoquées en vrac : un parking (imaginé rue de la Fonderie) où les enseignes loueraient à l’année quelques places pour leurs clients, la gratuité des tramways ou des parkings pour les acheteurs, un stationnement gratuit 15 minutes et où l’on paierait 5 euros au-delà, une consigne où laisser ses courses, ses affaires ou demander se faire livrer, une conciergerie, des ouvertures « un dimanche par mois » ou « en nocturne » une fois par semaine…
Tous les problèmes évoqués ne sont pas du ressort de la municipalité. La qualité de l’accueil dans les magasins a aussi été déplorée par certains consommateurs. Les gérants de commerces indépendants regrettent que les chaînes qui investissent le centre-ville soient peu impliqués dans son animation, sa qualité et sa défense.
Quant au Marché de Noël, une idée plusieurs fois évoquée est de décaler ses horaires d’ouverture. En début de journée, le centre resterait facilement accessible aux Strasbourgeois, puis une ouverture à la nuit tombée après 16h, coïncidant avec les illuminations, serait davantage à destination des touristes, avec une fermeture plus tard, jusqu’à 22h ou minuit. Laisser des locaux vacants au pays invité a aussi été proposé.
Des petits groupes pour former des étincelles
Les participants ont promis de se recontacter pour former des « petits groupes de travail » autour de plusieurs thématiques, par exemple l’animation, les mobilités ou l’aménagement. L’objectif est ensuite de présenter des propositions étayées aux élus, qui pour certains en ont pris pour leur grade mardi soir. Des participants ont aussi signalé que les actions en faveur des commerçants n’ont pas été meilleures quand la droite dirigeait la Ville, entre 2001 et 2008.
Pour l’instant, il n’y a pas de structure formelle. Mais ce nouveau collectif de commerçants prendra le nom d’Étincelles. Il compte ensuite s’ouvrir aux habitants et aux usagers du centre-ville. Christophe Meyer imagine faire émerger « trois ou quatre interlocuteurs » avec la Ville, car il pense que tout seul, il est difficile de « négocier sans trop sympathiser et faire des compromis défavorables. » Directeur des Vitrines de Strasbourg, la plus importante association de commerçants, Pierre Bardet, présent mardi soir, a pu entendre le message.
Ce n’est pas la première initiative de commerçants remontés. Il y a quelques mois, l’association Défis a été lancée par Michel Pirot, ancien président des Vitrines de Strasbourg. Plusieurs membres de Défis étaient présents mardi soir.
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