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Éreintées, sous-payées, méprisées… Malgré la pandémie, les auxiliaires de vie triment comme avant

Pénibilité, horaires instables, manque de reconnaissance et de faible rémunération… Mobilisées tout au long de la crise, les auxiliaires de vie attendent une revalorisation de leur métier.

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Éreintées, sous-payées, méprisées… Malgré la pandémie, les auxiliaires de vie triment comme avant

« Pendant le confinement, je ne me suis jamais sentie concernée par les applaudissements à 20h, raconte Martine. Notre métier a été oublié. » Pour cette auxiliaire de vie sociale (AVS) dans le Bas-Rhin, le manque de reconnaissance et de rémunération a trop duré. Malgré la pandémie, Martine et ses collègues ont continué d’assurer la toilette, le repas, le ménage et une présence humaine pour des personnes âgées et dépendantes. Mais la prime Covid de 1 500€, promise par les Départements, semble loin d’apaiser les maux et la colère des aides à domicile. Rue89 Strasbourg a décidé de mettre en lumière ce métier souvent méconnu en suivant Martine au cours d’une de ses journées types.

Le café au lait d’Alice, 92 ans

7h55 à Ostwald. Équipée de son uniforme vert Abrapa, fourni par son employeur, d’un masque chirurgical et de ses chaussures « crocs », Martine entame sa tournée. « Comme plusieurs collègues s’occupent de cette dame, on se transmet un jeu de clé », explique-t-elle.

Martine s’affaire pendant qu’Alice petit-déjeune (photo Alice Ferber / Rue89 Strasbourg) 

Installée dans son fauteuil, Alice, 92 ans, réclame son café au lait « que seule Martine fait si bien. » Après lui avoir apporté un bol fumant et une part de brioche, l’auxiliaire de vie remplit une grande bassine d’eau tiède. C’est l’heure de la toilette. Avec délicatesse, Martine frictionne le dos d’Alice à l’aide d’un gant savonneux. Un moment calme et respectueux, d’une quinzaine de minutes puis elle lui enfile ses bas de contention. « Aujourd’hui, je lui rendrai visite trois fois, annonce-t-elle. Je remplace mes collègues en vacances. » 

Des horaires imprévisibles

À chaque intervention, l’auxiliaire de vie doit « bagder » pour identifier son heure d’arrivée et de départ. Grâce à une application mobile, elle connait l’adresse du bénéficiaire, les souhaits exprimés par sa famille ainsi que la « fiche-mission » qui liste ses tâches : toilette, courses, prise de repas, démarches administratives…

8h55 pétantes. En raison d’un désistement, Martine profite d’une pause de trois quarts d’heure. Une clope à la main, elle raconte comment les imprévus rongent son quotidien : 

« Nos horaires ? On n’en a pas ! Je termine rarement avant 20h. Souvent, on m’appelle au dernier moment pour effectuer un remplacement. Il faut toujours être disponible. » 

Absence de personnel qualifié

À bord d’une Renault Clio blanche, l’auxiliaire de vie roule jusqu’à l’antenne de secteur, qui couvre 12 communes autour de Geispolsheim. Au bureau, l’équipe Abrapa gère les plannings, les plaintes et les réclamations des employés, des bénéficiaires et de leur entourage. Sandrine Bianchi, la responsable de secteur, estime que « le problème de ce métier, c’est l’absence de personnel qualifié. » Elle affirme que le confinement a exacerbé ces difficultés :

« Entre les arrêts maladie, les suspicions de Covid et la garde d’enfants, c’était l’hécatombe. Les trois premières semaines de mars, les AVS manquaient de protections. À la pharmacie, elles n’étaient pas prioritaires pour recevoir des masques. Toutes avaient la peur au ventre, mais elles allaient travailler sans hésiter. Le contre-coup n’a pas tardé : beaucoup sont tombées malades. »

Neuf mois de formation… une augmentation d’un euro l’heure

Pour la responsable de secteur, tout le système économique est à changer :

« D’après la convention collective, on devrait rémunérer les aides à domicile à un niveau inférieur au Smic, ce qui n’est pas légal (le Smic étant à 1 219 euros nets mensuel, NDLR). Une aide à domicile de catégorie A, non diplômée, doit cumuler 14 ans d’ancienneté pour espérer une augmentation. » 

Martine continue :

« C’est un cercle vicieux. Comme on est mal rémunérées, on doit faire des heures supplémentaires. Mais ça nous fatigue et ça plombe notre moral. Pour passer d’une catégorie C à B, une collègue a dû suivre une formation de 9 mois en plus de son boulot. Tout ça pour moins d’un euro de plus par heure travaillée. Sans bénéficier de 13e mois ni de prime vacances. C’est une honte. »

Jusqu’à 700 kilomètres par mois

Pour couvrir les 500 à 700 kilomètres roulés par mois, « plus besoin de GPS, je connais la route par cœur », plaisante Martine. « J’ai une voiture en bon état, avec la clim. Toutes mes collègues n’ont pas cette chance. Sur la route, je fais le vide, ça me repose. » Entre deux interventions, seulement 15 minutes de déplacement sont rémunérées comme du travail effectif… même quand le trajet dure une heure, en raison du trafic.

Le secteur de l’antenne Geispolsheim s’étend de Kolbsheim (nord-ouest) à Plobsheim (sud-est) (photo Alice Ferber / Rue89 Strasbourg)

Fixée par la convention collective, l’indemnité kilométrique dédommage 0,35€/km, ce qui couvre en partie le carburant et l’usure du véhicule. « Cette quote-part n’a pas augmenté depuis 2010 », déplore Sandrine Bianchi.

« Les auxiliaires de vie ne sont pas récompensées pour leur investissement, leur responsabilité et leurs compétences, ni pour leur résistance psychologique et physique. »

Sandrine Bianchi, responsable de l’antenne Gespolsheim Abrapa
Au volant de sa Clio, Martine sillonne les routes du Bas-Rhin (photo Alice Ferber / Rue89 Strasbourg)

De la musique à l’aide à la personne

Originaire de Laon dans l’Aisne, Martine a été professeure de musique à son compte pendant 30 ans. « J’ai enseigné dans les ZEP à Amiens, se rappelle-t-elle. Mais j’en ai eu assez, j’ai tout plaqué, puis j’ai postulé en tant qu’aide à domicile. C’était le seul secteur qui embauchait. »

En décembre 2006, elle rejoint l’Abrapa, principale association d’aide et de services à la personne du Bas-Rhin. Cinq ans plus tard, elle reçoit son diplôme d’auxiliaire de vie sociale. Une progression remarquable, à la hauteur de son investissement. La Laonnoise détaille l’épreuve pour obtenir son diplôme : 

« Dans un dossier de vingt pages, j’ai dû décrire des situations d’aide à la mobilisation, à l’habillage, à la toilette, à l’alimentation, à la prise de médicaments ; situer le champ et les limites de mon action ; évaluer les besoins des personnes selon leur situation ; expliquer ma place dans la structure. Pour me préparer, j’ai participé à des journées de sensibilisation aux diverses maladies, ainsi qu’à des formations de secouriste du travail. »

Chez Jacqueline, s’assurer qu’elle n’oublie pas de manger

Chez Jacqueline (le prénom a été modifié), 70 ans, atteinte d’Alzheimer, le programme est dense. « Je m’assure qu’elle déjeune car parfois, elle est distraite et laisse le repas sur la table », commente Martine. Couper la viande en petits morceaux, vinaigrer la salade, tartiner le pâté, peler la pêche… L’auxiliaire de vie répond à tous les besoins de sa bénéficiaire. Après, il faut débarrasser, faire la vaisselle, nettoyer le plan de travail, noter les courses, faire le lit, plier et ranger les vêtements, et enfin s’assurer que les rendez-vous avec les autres intervenants soient bien fixés. Tout ça en une heure.

Pour déplacer seule ses bénéficiaires invalides, Martine dispose de matériel spécial : le soulève-malade, le verticalisateur, ou encore le tapis de glisse. « Parfois le revêtement n’est pas adapté, on n’a pas la place, expose-t-elle. Il faut s’adapter à chaque domicile. »

Retarder l’échéance de la maison de retraite

« Lorsque l’aide à domicile ne suffit plus, le bénéficiaire part en maison de retraite », explique Martine, dont l’action quotidienne permet de retarder cette échéance : 

« Quand les personnes sont placées, elles perdent leurs repères, leurs habitudes, leur confort. À domicile, elles reçoivent de la visite, gardent un cadre de vie décent, se maintiennent éveillées. Elles sont encore actrices de leur vie. » 

Pour « ses petites personnes », l’auxiliaire de vie n’épargne aucun effort : « J’essaie de préserver leur intimité sans les infantiliser. L’hygiène est cruciale, c’est leur dignité, tout ce qui leur reste. »

Fatigue, stress, charge physique et mentale

Au cours de la journée, il arrive que Martine cherche ses mots. La fatigue pèse. « Le surmenage, le stress, ça fait beaucoup, admet-elle. À cause de mon mal de dos, j’ai été arrêtée 15 jours après le confinement. » En outre, elle doit gérer l’entourage des bénéficiaires qui cherche souvent à surveiller voire contrôler son action.

« Mes problèmes, je les laisse devant la porte. Il faut toujours être de bonne humeur et bienveillante. Si une personne aidée est méchante, je lui pardonne. Elle a ses raisons. »

Martine, auxiliaire de vie sociale

Les AVS doivent endosser une lourde charge émotionnelle. « Au début de ma carrière, j’ai fait une “fin de vie”, se remémore Martine. Pendant deux heures, j’ai dû tenir compagnie à une sourde-muette atteinte d’un cancer qui avait décidé de mourir. Quand on est jeune, ça peut être choquant. » Parmi ses neuf personnes attitrées, la plupart sont infirmes ou atteintes de graves maladies : 

« Entre Alzheimer, Parkinson, les handicaps lourds ou la vieillesse, certains cas psychiatriques sont difficiles à gérer. On s’attache beaucoup au début. Avec l’expérience, je sais prendre du recul. Le danger, c’est de trop s’investir. »

« J’apporte du confort, je crée une différence »

Malgré la pénibilité et le faible salaire, l’auxiliaire de vie aime son métier : « Je sens que la personne aidée a besoin de moi, sourit-elle. J’apporte du confort, je crée une différence. Et je suis autonome, je n’ai pas de patron derrière mon dos. »

« À force de côtoyer des personnes âgées, on attrape une forme de sagesse. Je me pose des questions sur mon futur, sur la mort. »

Martine

« Elle s’occupe bien de moi, hein, Martine ! », s’exclame Gisèle, 93 ans. De quoi émouvoir sa « précieuse aide » :

« Quand j’entends de tels compliments, je me dis que j’ai tout gagné. Je ne supporte pas de voir mes petites personnes souffrir. Surtout que je viens pour les aider. Parfois, je me sens impuissante. » 

Martine assiste Gisèle pour son déjeuner (photo Alice Ferber / Rue89 Strasbourg)  

Manque de reconnaissance 

La dévotion, l’engagement et le courage des auxiliaires de vie sont rarement salués. « J’ai déjà été traitée de “boniche”, se désole Martine. C’est blessant et dévalorisant. Même dans les médias, on parle de nous de manière réductrice et dégradante » : 

« Le 13 mai, des auxiliaires de vie d’Abrapa sont passées au journal télévisé de 13h sur TF1. Dans un reportage de deux minutes, on voit ma collègue dire bonjour, apporter le journal et sortir la poubelle. Comme si notre quotidien se résumait à ça. J’étais dégoûtée. Les gens ne se rendent pas compte de tout ce qu’on fait. Je veux que la vision de notre métier évolue positivement. »

La prime de 1 500€ versée par le Conseil départemental ? Martine y croira « quand elle sera sur mon compte en banque. » Pas avant l’automne, a priori. « On attend une prise de conscience, poursuit-elle. Le confinement a révélé que ce métier est indispensable. C’est cru, mais si on s’arrêtait, les personnes resteraient dans leurs excréments. Personne ne s’occuperait d’elles. »


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