Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Près de Mulhouse, des citoyens pensent avoir démasqué Amazon

L’enquête publique concernant un gigantesque entrepôt destiné au commerce en ligne à Ensisheim se termine. Derrière la société loueuse, il pourrait s’agir d’un équipement pour Amazon.

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Près de Mulhouse, des citoyens pensent avoir démasqué Amazon

La volonté d’implantation d’Amazon à Dambach est déjà connue. Mais il existe un projet d’entrepôt géant plus avancé au sud de l’Alsace. Pourtant, l’identité de l’acquéreur d’Eurovia Project 16, à Ensisheim près de Mulhouse, reste un mystère à l’approche de la fin de l’enquête publique.

Un entrepôt 24h/24

Implanté sur des terres agricoles en bordure d’Ensisheim, à proximité de l’autoroute A35, le projet de 189 652 mètres carrés sur 4 niveaux s’étale sur 15,7 hectares dans le Parc d’activités de la Plaine d’Alsace (le « Papa »).

Sur place, 1 800 salariés se relaieront 24h/24 et 7j/7 par équipes de 600 au rez-de-chaussée, auquel on ajoute une cinquantaine de responsables administratifs. Dans les 3 étages, tout sera automatisé. L’entrepôt doit générer un trafic routier de 611 véhicules légers « par poste » et 300 poids lourds par jour.

Les élus locaux pressés d’accueillir l’entrepôt

La société Eurovia 16 Project (à ne pas confondre avec Eurovia, filiale BTP du groupe Vinci), louera cet emplacement. Filiale du groupe luxembourgeois Logistics Capital Partners (LCP), dont l’activité est la construction et location d’entrepôts en Europe. Le groupe a ouvert un bureau en France début 2019. La société Eurovia Project 16 a été fondée le 3 septembre 2019, spécifiquement pour cet investissement, dont le montant n’est pas communiqué.

Le plan des installations (extraits du dossier d’enquête publique »

En vue d’établir un dossier d’installation auprès de la préfecture du Haut-Rhin, Eurovia 16 Project a sollicité un avis d’implantation à la communauté de communes par courrier daté du 17 septembre. Deux jours plus tard, son président Michel Habig, maire d’Ensisheim (divers droite) donne un avis favorable. Le 1er octobre, l’autorité environnementale est saisie par la préfecture du Haut-Rhin.

Le maire depuis 1995, réélu en 2020, Michel Habig (divers droite) et vice-président au conseil départemental du Haut-Rhin n’a pas donné suite à notre sollicitation. Cet agriculteur à la retraite, président de la communauté de communes de centre Haut-Rhin (CCHR) depuis 2003 a piloté le P.A.P.A qui remplace des champs de maïs, luzerne, de fraise et de soja selon l’étude d’impact du Papa.

Le conseil départemental du Haut-Rhin, la future collectivité européenne d’Alsace (CEA) en 2021, soutient cette zone d’activités en réaménageant les accès routiers pour supporter le trafic supplémentaire. Après le confinement, sa présidente Brigitte Klinkert (divers droite) s’est rendu sur les travaux pour appuyer cet investissement de 10,5 millions d’euros.

L’accès à la zone doit être revu.

29 « insuffisances » détectées

Dans son communiqué de presse, l’Autorité environnementale du Grand Est parle d’ »insuffisances du dossier » qui ont mené à de « nombreuses recommandations (29, ndlr) portant sur la justification du choix du site, l’intégration locale du projet et la maîtrise du risque incendie ».

De manière plus générale, l’instance de l’État est très sceptique sur la multiplication de ces entrepôts géants en France :

« La Mission régionale de l’Autorité environnementale recommande aux ministères compétents de produire une analyse nationale des équipements logistiques pour présenter un bilan environnemental global qui permettrait d’éclairer les porteurs de projets, les territoires et le public. »

Extrait de l’avis de l’autorité environnementale

En clair, si les décideurs étaient mieux informés sur les conséquences, ils ne s’engageraient peut-être pas dans de tels projets. Le rapport questionne divers aspects, comme la taille du parking, l’intérêt des panneaux photovoltaïques (30% de la surface mais 10% de l’auto-consommation d’énergie et un risque incendie accru), les pollutions générées par le trafic non-comptabilisées ou le « taux de remplissage de moins de 12% ».

Rapporteur de la mission pour l’Autorité environnementale, Jean-Philippe Moretau s’interroge sur l’absence de « solution de substitution raisonnable pour limiter les nuisances ». « C’est un projet de logistique routière pure et dure là où l’on pourrait imaginer une implantation tri-modale, ferroviaire fluvial et routier », complète le technicien.

Les enjeux selon Eurovia

Les enjeux indentifiés par Eurovia 16

En charge du projet pour Eurovia Project 16, Emmanuel Mercier justifie le choix du lieu :

« Il y a eu une volonté générale et persistante des collectivités locales en Alsace pour que ce type d’activités soient accueillies à cet emplacement, où il n’y a pas d’enjeu de biodiversité ni de village à traverser pour y accéder. Ces choix ont été confirmés aux élections municipales. Les alternatives n’étaient pas aussi bien préparées. »

Le mémoire en réponse liste six autres lieux du Haut-Rhin comme la future zone d’activité de Fessenheim, une ancienne base aérienne, une station d’épuration d’eaux industrielles à Huningue, le port de Mulhouse ou son aérodrome.

« Ce type de projet est la conséquence de la politique Transports de la Région qui a privilégié les poids-lourds plutôt que de développer le ferroviaire ou le fluvial », estime pour sa part le co-secrétaire régional d’Europe Écologie Les Verts, Michaël Kugler.

Vue de loin de l’entrepôt. Eurovia 16 aura comme voisin Eurovia 15 (extrait du dossier d’enquête publique)

Sur le risque incendie, Jean-Philippe Moretau détaille :

« S’il y a bien un aspect particulier de ce projet qui nous a interpellés, c’est la sécurité incendie. Compte tenu de la taille, les conséquences sur un site aussi grand sont très difficiles à imaginer. Il est possible de pomper quelques heures toutes les capacités du réseau d’eau local. Dans ce cas, être à proximité d’un cours d’eau est un atout, ce qui n’est pas le cas ici. Puis cela pose la question où iraient les eaux polluées. »

Sur ce point, Eurovia Project 16 renvoie vers son mémoire en réponse de 51 pages, mais ne cite pas de modification suite au rapport. On y apprend que la société puisera « un tiers des capacités » dans le réseau d’eau potable public (240 m3/h) et que deux tiers seraient stockés sur place (deux réserves de 480 m3 chacune). Un calcul qui suppose que l’intervention dure deux heures maximum. « Les obligations environnementales porteront sur l’exploitant, Eurovia 16, et l’occupant aura à charge de les respecter », ajoute Emmanuel Mercier.

« Amazon ou un concurrent, c’est pareil »

Pour de nombreux collectifs locaux, nationaux ou encore le candidat écologiste à la mairie de Mulhouse, Loïc Minery, la méthode « ressemble à celle d’Amazon ». « Amazon ou un concurrent, le principe est le même. Tout ce qui sera acheté là-bas ne le sera pas localement », évacue Joseph Baumann, membre du Réseau d’urgence climatique Sud Alsace (Rucsa), mobilisé contre ce projet.

« Nous développons nos capacités en Europe pour fluidifier notre chaîne logistique. Toutefois, nous n’avons à ce jour rien à annoncer près de Mulhouse », répond pour sa part Amazon France à notre demande. Eurovia indique qu’elle discute encore avec plusieurs loueurs, tandis que Michel Habig a déclaré aux DNA que le nom sera communiqué « une fois le permis de construire purgé de tout recours », dans une grande manifestation de la transparence à la française.

Illustration de l’intérieur de l’entrepôt (extrait de l’enquête publique)

Quelques indices guident vers la société de Jeff Bezos. Avant de fonder LCP en 2015, le président d’Eurovia 16, Kristof Vertstraeten, a été consultant pour les implantations Amazon. Mais il est vrai que LCP a travaillé avec d’autres enseignes comme Primark. Pour expliquer la durée de trois semaines de la Mission autorité environnementale, Jean-Philippe Moretau indique :

« Nous avions étudié un premier exemple d’entrepôt de même niveau dans le Grand Est, pour la société Argan à Metz. Cette base nous a permis d’élargir la mission à une réflexion plus large ».

Après un an de vrai-faux suspens, le président de Metz-Métropole, Jean-Luc Bohl (centre droit), a dévoilé en août 2019 que le projet Argan serait bien exploité par Amazon. Comme les autres élus, il était tenu par une « clause de confidentialité » qui l’obligeait à taire le nom de l’entreprise.

Concernant l’entrepôt d’Ensisheim, Joseph Baumann raconte sa découverte du projet lors d’une réunion en préfecture :

« En octobre 2019, la presse locale évoque ce projet, mais la mairie dément. Puis à la commission départementale de préservation des espaces naturels et agricoles du 12 février, où je siège pour Alsace Nature, on apprend de manière détournée que tout est prêt. En fait, nous sommes saisis pas sur le projet, mais sur l’étude d’impact sur le monde agricole. La description est assez vague, on nous dit qu’il y aura des fournitures de bureaux, des crayons, des ordinateurs. L’étude était incomplète, car elle concluait qu’il n’y aurait pas d’impact sur les filières. Or s’il y a moins de terres agricoles, cela va pousser les autres à être encore plus productives, avec plus des pesticides. On y a eu des échanges assez durs avec le maire d’Ensisheim, mais cela a conduit à un avis réservé. Il a été acté une recommandation, que le porteur de projet se rapproche des agriculteurs locaux pour des compensations économiques. Quelques jours plus tard l’enquête publique a été lancée. »

Engagé avec le « Chaudron des Alternatives », collectif à Sélestat, Pascal Lacombe liste les reproches des associations environnementales contre les deux projets d’entrepôts, à Ensisheim et Dambach :

« À l’heure où Amazon se lance dans une stratégie de livraison en 24 heures, ces implantations posent des problèmes multiples, la maltraitance de l’emploi, l’évasion fiscale, un modèle consumériste, alors qu’Amazon est connu pour détruire des articles invendus, la pollution locale. Au-delà de ces aspects, il y a la question démocratique. Un élu doit la transparence sur les projets qu’il mène. Le problème est que les communautés de communes sont attirées par les perspectives fiscales à leur échelle. »

« Rapprocher les centres logistiques des bassins de consommation et d’emploi permet de réduire l’impact environnemental », répond pour sa part Emmanuel Mercier.

Des exemples de robots dans les niveaux.

Vers une nationalisation du débat ?

Comme pour le projet Amazon à Dambach-La-Ville, les opposants espèrent des prises de position claires des différents élus locaux. Mais surtout, ils comptent obtenir des décisions nationales. Ils s’appuient notamment sur la pétition de la Confédération des Commerçants de France, qui demande « un moratoire » sur les entrepôts Amazon.

Le texte est soutenu par certains députés de la majorité. « La différence par rapport aux premières tranches du P.A.P.A, c’est que depuis le président de la République a promis zéro artificialisation nette des sols ! », pointe Joseph Baumann.


#Ensisheim

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