Que se passe-t-il avec le projet Eurovia 16 ? Cet entrepôt géant (189 652m² sur 15,7 hectares) doit voir le jour sur des terres agricoles en bordure d’Ensisheim. L’occupant est tenu secret mais ses dimensions le rapproche de ceux exploités par Amazon.
Après l’enquête publique où aucune réserve ni recommandation n’a été émise le 6 juillet (voir notre article), la suite logique devait être un passage au Conseil départemental de l’environnement des risques sanitaires et technologiques (Coderst). Cette commission réunit des agents de l’État, des représentants du monde économique et diverses associations (pêcheurs, consommateurs, Alsace Nature). En règle générale, obtenir un vote favorable dans cette instance est une formalité.
Attentisme qui étonne
Après ce Coderst, la préfecture délivre une autorisation environnementale (AE), nécessaire en raison des dimensions de cette Installation classée pour la protection de l’Environnement (ICPE).
Fin août, le projet Eurovia 16 figurait à l’ordre du jour d’un Coderst qui a été annulé quelques jours auparavant. Les documents préparatoires avaient été envoyés aux participants. Mais au Coderst du 30 septembre, plus d’Eurovia 16 à l’ordre du jour… Seul fait notable dans cet intervalle, la nomination de Louis Augier comme préfet du Haut-Rhin. Les opposants au projet d’Eurovia y voient un signe que le représentant de l’État ne souhaite pas se précipiter sur ce sujet sensible.
D’après nos informations, le projet est concerné par plusieurs arrêtés publiés fin septembre par le ministère de la Transition écologique (Journal officiel du 26 septembre) au sujet des ICPE, un an après l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen. Ces textes réglementaires nécessitent quelques adaptations à la marge. Contactée, la préfecture du Haut-Rhin n’a pas répondu à nos sollicitations.
Un permis de construire déposé, comme les recours
À Ensisheim, la communauté de communes du Centre Haut-Rhin a délivré un permis de construire le 24 juillet. Les opposants ont déposé un recours gracieux auprès de l’agglomération présidée par le maire d’Ensisheim, Michel Habig (divers droite). La requête est portée par l’ONG française « Les Amis de la Terre » et l’association Alsace Nature. Sans réponse sous deux mois, les requérants auront deux mois pour déposer leur recours devant le tribunal administratif de Strasbourg cette fois. Les chances de victoire sont minces, ce type d’implantations dans le « Parc d’activités de la Plaine d’Alsace » (Papa) a été préparée dès les années 2010, en adaptant les schémas et plans d’urbanisme.
L’objectif est d’éviter « un saucissonnage du projet au regard du droit de l’urbanisme », selon Me François Zind, avocat pour Alsace Nature. En clair, que le permis de construire ne soit pas purgé de recours (deux mois après sa publication), lorsque l’autorisation environnementale de la préfecture sera délivrée et attaquée à son tour.
L’autorisation environnementale s’intéresse à davantage de caractéristiques que le permis : le bâtiment lui-même, notamment le risque incendie et la trace dans le paysage, mais aussi ses impacts extérieurs, comme la circulation automobile et la pollution engendrée. Les avocats pensent avoir davantage d’arguments à faire valoir sur ce document.
Peu d’espoirs dans le gouvernement
Les opposants espéraient que les annonces du gouvernement au début de l’été concernant un « moratoire » sur les zones commerciales soit étendu aux plateformes logistiques d’e-commerce. La lutte se serait déportée au niveau national et non local. Mais de plus en plus, ils estiment que les arguments écologistes ne suffiront pas à convaincre les ministres.
« On essaye de sensibiliser les députés de la majorité, mais en commission ils viennent de rejeter tous les amendements en ce sens. Ils répondent qu’ils ont des consignes du gouvernement qui ne veut pas de moratoire », raconte Alma Dufour, chargée de campagne « Mode de production » chez les Amis de la Terre. Elle remarque qu’à Fontaine près de Belfort, une autorisation environnementale pour un projet similaire a été signée le 22 juin (voir page 20, projet Vailog), soit quelques jours avant les annonces de projets de moratoire sur les zones commerciales par Emmanuel Macron et la convention citoyenne pour le Climat. Une différence de timing notable avec Ensisheim, à une cinquantaine de kilomètres de Fontaine.
Créer un front large
Alsace Nature et les Amis de la Terre devraient à nouveau porter les futurs recours contentieux. Mais ils seront rejoints par d’autres structures. « Les droits au recours des permis de construire sont restreints aux voisins immédiats et à quelques associations agréées, mais pour l’autorisation environnementale, qui se substitue aux autres autorisations, plus de parties peuvent la contester », indique l’avocate Corinne Lepage. Comme sur le dossier de Stocamine, l’ancienne ministre de l’Environnement et son cabinet seront aux côtés de la section locale de l’association Consommation Logement et Cadre de vie (CLCV). Son équipe est aussi partie prenante des recours contre les entrepôts Amazon au Pont du Gard et dans le Nord de la France.
De son côté, le collectif « Le chaudron des Alternatives », qui fédère plusieurs dizaines de structures écologistes mais aussi des commerçants, souhaiterait embarquer des maires des communes concernées, voire obtenir un soutien politique de l’Eurométropole. Des maires de neuf communes haut-rhinoises ont déjà écrit au préfet pour lui signifier que « le modèle Amazon n’est pas en adéquation avec les attentes et de l’État, pas davantage avec celles de nos concitoyens ». Ils pointent les études sur les destructions d’emplois induites et le peu d’impôts payés par la firme américaine.
Mobilisation à Dambach-La-Ville également
L’objectif actuel est donc de créer, y compris devants les tribunaux, un front large et divers pour sortir d’une lutte seulement écologiste. Les opposants pourraient aussi être rejoints par la Confédération des Commerçants de France, qui représente les commerces indépendants. Son président Francis Palombi est venu par deux fois en Alsace soutenir les opposants et rencontrer des décideurs politiques et économiques. De nombreux acteurs, dont la Chambre de commerce et de l’Industrie (CCI), n’ont pas pris position officiellement et sont partagés.
Ce combat contre la plateforme d’Ensisheim se mène de front avec celui prévu à Dambach-La-Ville, près de Barr. Ce projet est moins avancé et la discussion encore sur le terrain politique. Une réunion en préfecture du Bas-Rhin s’est tenue dès novembre 2019, mais la « clause de confidentialité » signée entre Amazon et l’ancien président de la communauté de communes du Pays de Barr, Gilbert Scholly (LR) a fuité début 2020. La nouvelle majorité de la Communauté de communes du Pays de Barr devra voter plusieurs délibérations pour permettre un tel projet : une modification du Plan local d’urbanisme et la vente de terres agricoles. Le département du Bas-Rhin, future Collectivité européenne d’Alsace, devra agrandir l’accès routier à cette commune en plein dans le vignoble alsacien… Les décisions de ces collectivités sont désormais très scrutées.
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