« Égalité des devoirs, égalité des droits », telle est la devise qui a prévalu en matière religieuse pour l’équipe de Roland Ries depuis le retour des Socialistes à la mairie de Strasbourg en 2008. La municipalité a usé du droit local des cultes alsacien-mosellan pour intégrer les cultes non-concordataires dans le paysage strasbourgeois.
Avec des moyens simples : financer sur les fonds municipaux 10% du coût de tout nouveau lieu de culte qui en fait la demande ; faciliter l’obtention de terrains via des baux emphytéotiques (bail immobilier de très longue durée) ; modifier le plan local d’urbanisme pour permettre les activités cultuelles… Onze ans plus tard, cette politique a façonné un paysage musulman original, érigé en « modèle strasbourgeois ». Quelle est sa réalité ?
Le premier « iftar citoyen »
Le 16 mai se tenait pour la deuxième année la journée internationale du vivre-ensemble, instaurée par l’ONU. Un rendez-vous que la Grande mosquée de Strasbourg (GMS) n’aurait manqué sous aucun prétexte. En plein Ramadan, tous les Strasbourgeois ont été invités pour le premier « iftar citoyen », rassemblant musulmans et non-musulmans. Pour optimiser sa fréquentation, l’événement à la GMS s’est tenu le samedi 18 mai au soir.
Plusieurs personnalités politiques et universitaires avaient donné rendez-vous au public sous la grande coupole du Heyritz pour exhorter en français à la fraternité et à la paix. 21h approchant, des familles musulmanes de toutes origines se mêlaient aux auditeurs pour célébrer la rupture du jeûne. Sur la moquette bleue de prière, garçonnets en djellaba et fillettes voilées pour l’occasion gambadaient impatients du dîner public à venir. Une soirée à la mesure de l’engagement d’ouverture de la Grande mosquée de Strasbourg.
Volonté franco-marocaine « d’ouverture »
Cette « mosquée-cathédrale » au toit de cuivre est à ce jour l’une des plus grandes de France. Construite à 25% sur les deniers des collectivités locales, elle a aussi bénéficié de financements marocains et koweïtiens, mais surtout de dons privés. Cette « mosquée exemple » est l’étape musulmane du Rally des cultes, proposé aux collégiens de la région. Elle accueille plusieurs rendez-vous œcuméniques, comme en 2014 un concert d’un ensemble juif sous sa coupole, dans le cadre du festival des Sacrées Journées.
La GMS dispose d’un imam attitré, rémunéré par l’Union des mosquées de France (UMF) et logé par ses soins, ainsi que d’un imam auxiliaire. Ils officient simultanément en arabe et en français. Des imams extérieurs sont régulièrement invités. Pour le dernier vendredi du Ramadan 2019, c’est un imam de la Montagne verte, le docteur en psychologie Fares Rabie, qui a tenu le prêche de la grande prière.
À la GMS, une convention de fonctionnement avec le Maroc
La mosquée phare de Strasbourg n’émancipe cependant pas le modèle strasbourgeois de toute tutelle étrangère. Saïd Aalla, de nouveau président depuis novembre 2017, admet le rattachement de la mosquée phare de Strasbourg au royaume du Maroc :
« Le Maroc est un partenaire fiable et a toujours été un soutien régulier. Nous sommes en train de finaliser une convention avec l’État marocain pour clarifier les droits et devoirs de chacun et nous assurer un soutien financier régulier. »
« Le Maroc, une part de notre identité »
La mosquée de la Robertsau, « succursale » de la GMS ouverte en 2015 face à la cité de l’Ill, a inauguré son centre culturel le 3 avril. L’événement était l’occasion pour l’équipe franco-marocaine d’également afficher tous les signes de l’ouverture de l’islam d’obédience marocaine à Strasbourg : introduction de la cérémonie par la marocaine Hajar Boussaq, vainqueur du concours international de psalmodie du Coran en Malaisie, présence de la conservatrice du musée du judaïsme de Casablanca dans la délégation du ministère marocain des affaires religieuses…
Des mosquées de quartiers « facteurs de stabilisation »
Fruit d’un investissement de vingt ans, débuté sous les auspices de Catherine Trautmann, maire dans les années 1990, le projet franco-marocain de la Grande mosquée de Strasbourg a creusé le sillon d’autres lieux de culte musulmans dans les quartiers de Strasbourg. Avant la mise en place en 2003 du Conseil français du culte musulman (CFCM) par l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, de nombreuses associations de la capitale alsacienne s’étaient déjà fédérées dans la Coordination des associations de musulmans de Strasbourg (CAMS). Cette organisation locale s’appuyait sur l’expérience du projet de la GMS pour sortir l’islam strasbourgeois des caves. Délégué général de la GMS, Abdelaziz Choukri raconte :
« Aujourd’hui, la CAMS continue d’exister pour coordonner des actions mineures, mais elle n’a plus vraiment d’utilité puisque le Conseil régional du culte musulman (CRCM) et le CFCM existent et que la GMS est construite. Le raisonnement était que les collectivités locales accorderaient un soutien public à la GMS à la condition qu’il y ait des interlocuteurs représentatifs des lieux de culte, capables de parler d’une seule voix. Aujourd’hui, ces lieux de culte sont en contact direct avec les collectivités locales et représentées dans le CRCM. À l’époque, il y avait une stratégie concertée entre la mairie et la GMS. La Grande mosquée avait la priorité pour faire aboutir son projet puis ouvrirait la voie à d’autres mosquées dans les territoires. Ces lieux de culte devaient être des facteurs de stabilisation et des repères pour la jeunesse. »
Par ces efforts concertés, Strasbourg a vu s’ériger dans ses quartiers depuis 2012 la mosquée de Hautepierre et celle du Neuhof. Deux autres projets sont en passe de se concrétiser à la Montagne-Verte et à Koenigshoffen. À la Montagne-Verte, l’association musulmane bénéficie de la mise à disposition par la Ville d’un local qui est en phase avancée d’aménagement. Celle de Koenigshoffen a racheté un ancien magasin Pro Inter, déjà remboursé aux deux cinquièmes et dont le réaménagement est aussi avancé.
La presque-mosquée de la Meinau veut garder « un islam de France »
Dans la même veine, le projet de L’Eveil Meinau est en train d’aboutir. Après des années de réflexion et de soutien technique de l’équipe franco-marocaine de la GMS, l’association vient d’obtenir son permis de construire pour un chantier estimé à trois millions d’euros. Depuis 1984, L’Eveil Meinau a avancé sur les fronts du cultuel et du culturel à la fois, portée notamment par son emblématique éducateur salarié et imam bénévole, le franco-sénégalais Saliou Faye.
Depuis 2001, les activités cultuelles de l’association de droit local sont regroupées dans un préfabriqué à proximité de la gravière du Baggersee, mis à disposition par la Ville. Une solution temporaire qui ne suffit plus. Mohamed Benazzouz, président de l’Eveil Meinau, explique :
« On a toujours eu une salle de prière dans les locaux de l’association. Au début, il y avait 20 à 30 fidèles par jour. Aujourd’hui pour un jour de fête, on en compte plus d’un millier. Nous avons amorcé la réflexion sur un projet de mosquée en 2012. Il a fallu une grande concertation avec les gens prêts à s’investir bénévolement dans le projet, aussi bien dans son fonctionnement que dans la construction. »
Pour lancer le chantier, Eveil Meinau a besoin de 800 000 euros. Pour certains travaux, l’association sait qu’elle peut compter sur la bonne volonté de petits artisans et d’entrepreneurs volontaires parmi ses fidèles. L’association envisage toutes les pistes de financement, de la sollicitation d’une subvention municipale à celle des pays étrangers comme le Maroc, et l’Arabie Saoudite en passant par les sites Internet de financement participatif. Mais son président insiste, il ne transigera pas sur la neutralité de la mosquée :
« Nous, on souhaite être neutres même si les aides étrangères sont les bienvenues. On reste sur un islam de France. »
La langue française, un enjeu crucial pour les jeunes
En attendant que la mosquée voit le jour, l’association a passé une convention avec la Ville en 2007, sous la mandature de Fabienne Keller (droite), pour pouvoir utiliser le gymnase Jean Fischer pendant les fêtes religieuses. Saliou Faye, fraîchement retraité, met un point d’honneur à traduire ses prédications de l’arabe vers le français. La mosquée d’Eveil Meinau se donne pour mission première l’éducation de la jeunesse :
« C’est pour les prêches en français que beaucoup de jeunes viennent chez nous. Dans un quartier comme celui de la Meinau, avec autant de jeunesse, le fait d’avoir un imam francophone est crucial. Avec une association connue et reconnue, avec un discours clair et net sur l’islam, les gens viennent… »
Rempart contre la radicalisation
En parallèle de ses activités proprement religieuses, Eveil Meinau s’est imposée depuis 2014 comme l’association de référence à Strasbourg dans la lutte contre la radicalisation, alors que plusieurs jeunes de ce quartier sont partis comme djihadistes en Syrie et en Irak :
« Le collectif pour le non-endoctrinement à Strasbourg que nous avons initié avec d’autres associations de quartier et des bénévoles avait trois objectifs : comprendre les départs, à travers des réunions publiques avec les jeunes jusqu’en 2017 en présence de repentis, de philosophes et d’imams invités ; freiner les départs ; et aider les familles. »
Attaché à son imam bénévole, Mohamed Benazzouz met en avant la difficulté pour une association populaire comme Éveil Meinau de trouver des imams à la hauteur des enjeux :
« C’est difficile voire impossible d’avoir des imams salariés. Il y a un paradoxe : on demande aux associations d’avoir des imams français qui maîtrisent aussi l’arabe, qui sont qualifiés et de les payer. Ce sont des cadres supérieurs qui ont un rôle crucial d’éducation. Avec Saliou Faye, on a vu l’écoute de la jeunesse. S’il n’avait pas maîtrisé le français, ça n’aurait sûrement pas été le cas, et alors les jeunes se seraient tournés en nombre vers l’islam de la rue ou vers des lieux de culte louches. »
Nouveaux secteurs, nouveaux besoins
L’urbanisation de Strasbourg crée de nouveaux besoins de lieux de culte. Au Port du Rhin, l’association musulmane du quartier est en discussion avec la Ville pour trouver une salle de prière, au moins pour la période du Ramadan. Partout où elle est sollicitée, l’équipe de la Grande mosquée de Strasbourg assure jouer le rôle de « facilitateur », sans multiplier systématiquement les nouveaux lieux. Abdelaziz Choukri explique ainsi :
« Face aux mutations urbaines, on peut essayer de mutualiser et de travailler sur les cheminements quand c’est possible. Avec le tram, les habitants peuvent aussi rejoindre des lieux de culte ailleurs que dans leurs quartiers. »
À Cronenbourg, la Ville a aménagé une salle de prière. À la Musau, cela n’a pas encore été nécessaire. À la connaissance de Rue89 Strasbourg, deux lieux de culte musulmans historiques échappent à la « stratégie concertée de la Ville et de la GMS » : il s’agit des mosquées de la Gare et de Neudorf, affiliées à des organisations différentes.
Situation de blocage à l’Elsau
Quand on demande à Moussa Boutghata, président de l’association des Jeunes et parents de l’Elsau (AJPE), à quelle organisation son lieu de culte est affilié, la question est vite évacuée. Dans ses bureaux de la rue Watteau, accolé à la salle où jouent les retraités chibanis du quartier, le bénévole répond :
« On n’est pas concernés par le CFCM ni le CRCM, on ne les connaît pas. Nous sommes complètement indépendants. »
Fonctionnant sur les seules cotisations de ses 80 membres adhérents, l’AJPE n’a « pas d’imam fixe ». Ses prêches sont réalisés par des imams bénévoles ou même des fidèles, en arabe et traduits en français :
« On n’a pas les moyens d’embaucher un imam. Notre association s’adresse à tout le monde : maghrébins, turcs, tchétchènes, africains… On ne demande pas l’origine des gens. Tout le monde est le bienvenu. La seule chose qu’on demande, c’est de ne pas faire de politique. Désormais, on interdit les prises de parole sans autorisation des responsables. Avant cela, on a eu des problèmes avec des prises de parole inappropriées. »
À ce jour, la situation de l’islam à l’Elsau est l’une des plus préoccupantes de la ville, dans un quartier à très forte concentration d’habitants immigrés musulmans. Historiquement, les chibanis, les travailleurs du Maghreb arrivés en France pendant les Trente Glorieuses, ont fondé une association dans les années 1980. Ses activités premières consistaient dans l’aide à la gestion des papiers administratifs pour les habitants illettrés, l’organisation de fêtes de quartier, et du soutien scolaire. La question des besoins religieux des habitants musulmans était aussi présente.
Au tournant des années 2000, une partie des adhérents ont quitté l’association originelle pour fonder l’AJPE. La mairie met bien à disposition de l’association un appartement à partager avec d’autres associations du quartier. Mais très vite, les fidèles de l’AJPE s’y trouvent trop à l’étroit.
L’AJPE dispose désormais d’un appartement de 7 pièces loué au bailleur social CUS Habitat grâce à une subvention municipale. Sa capacité d’accueil est limitée à 99 personnes, bien en deçà de l’affluence du vendredi. L’AJPE organise donc les prières du vendredi sur la place devant l’appartement.
« On n’a pas le choix. Depuis 2001, la fréquentation a été multipliée par 15. Je ne peux pas refuser les gens. CUS Habitat nous a envoyé un courrier il y a six mois pour nous rappeler à l’ordre. J’ai prévenu la mairie et la préfecture et répondu à CUS Habitat. On n’est pas en sécurité. Il y a beaucoup d’arrivée de musulmans dans le quartier. Autrefois c’était les chibanis qui fréquentaient la salle de prière. Aujourd’hui ce sont les jeunes. »
« Même un hangar ferait l’affaire »
Moussa Boutgatha assure avoir sollicité un rendez-vous avec la Ville il y a plus d’un mois, resté sans réponse. Comme ailleurs à Strasbourg, les trajectoires des lieux de culte à l’Elsau sont marquées des trajectoires de familles. Chez les Boutghata, le président de l’AJPE est le frère d’un membre actif de la jeune association de défenses des locataires Alis, en délicatesse avec le bailleur social du quartier et son président Philippe Bies. Ce frère est aussi membre actif de l’autre association musulmane de l’Elsau, reléguée dans un appartement tout au fond du quartier. Dans ce contexte, le rapprochement des deux associations musulmanes de l’Elsau, encouragé par la GMS, ne semble pas faire les affaires de l’AJPE. La mairie fait la sourde oreille. La situation stagne. L’Elsau reste le parent pauvre du modèle strasbourgeois d’intégration de l’islam.
Moussa Boutghata ne veut pas se mêler de politique :
« Tout ce qu’on demande, c’est un lieu digne et en sécurité. Monter un projet commun avec l’autre association nous a coûté notre relation avec la mairie. On a essayé de travailler ensemble pour un grand local sécurisé. Mais on n’a pas reçu de réponse, même pas négative. On ne demande pas une grande mosquée, même un hangar ferait l’affaire… »
Le président de l’AJPE confie que face au trafic de drogue dans le quartier, des élus suggèrent à son association de mieux cadrer les jeunes. Le président de l’AJPE se sent impuissant :
« On essaie. On a la chance qu’ils nous respectent. Mais ce n’est pas notre rôle. On n’est pas la police. Il y a maintenant une nouvelle génération qui devient plus difficile à gérer. »
Les grands projets de l’islam turc
Dans la maille Athéna à l’entrée de Hautepierre, à mille lieux de ces préoccupations, l’association Ditib Strasbourg a elle tiré profit du travail de la Coordination des associations de musulmans de Strasbourg. Émanation des affaires religieuses de l’État turc, l’association Ditib Strasbourg s’est installée à Hautepierre au moment de la concrétisation de la GMS, défrayant alors la chronique avec son projet de faculté de théologie islamique.
Pour Murat Ercan, porte-parole de Ditib Strasbourg, le centre Yunus Emre porte lui aussi l’héritage du travail de la GMS :
« On a bénéficié du débat qu’il y a eu autour de la construction de la GMS. Aujourd’hui, les Strasbourgeois regardent favorablement le fait que les musulmans puissent prier dans des lieux sains et dignes. Roland Ries avait pris un risque politique à l’époque. On a vu la réponse de la population. Il y a eu très peu d’opposants, sans compter l’aide des autres cultes catholiques, protestants et juifs. »
Cette année, l’association strasbourgeoise tenante de la mosquée Yunus Emre a organisé pour la première fois une foire traditionnelle turque à l’occasion du Ramadan.
« Un village du partage », comme le décrit Saban Kiper, où les familles venaient rompre le jeûne, entre une soixantaine de stands d’artisans et commerçants d’origine turque venue pour l’occasion de toute l’Europe. Un événement que le responsable des relations publiques de Ditib Strasbourg présente comme la réponse à un besoin des immigrés d’origine turque.
« Pour le mois du Ramadan, nous avions de plus en plus de demandes pour qu’un côté festif éthique existe, à côté du spirituel. La base des franco-turcs ne sont pas des gens extrêmement pratiquants, mais ils ont besoin de se rassembler. En plus on a la place. »
30 000 mètres-carrés pour Ditib
Au fil des années, Ditib Strasbourg a en effet racheté tous les bâtiments attenants à la rue Thomas Mann de la maille Athéna. L’association y dispose aujourd’hui de 30 000 m2. Un de ses objectifs est d’y ériger à terme un vaste projet comprenant à la fois une structure d’enseignement de la maternelle jusqu’à l’enseignement supérieur, avec un internat, un centre culturel et d’exposition « pour faire découvrir la culture musulmane à tous les Strasbourgeois », une bibliothèque, une salle multifonctionnelle, un restaurant pour les élèves et ouvert aux habitants du quartier et un espace de boutiques et d’artisanat, et une salle de prière. Mais les financements ne sont pas encore trouvés et aucun calendrier n’est fixé.
Le temps venu, des négociations pourraient s’ouvrir avec la Ville pour déclasser une partie de la rue Thomas Mann et ouvrir un terrain continu pour le projet. Mais ici non plus, pas question de solliciter de subventions des collectivités.
« On a toujours dit qu’on n’en demanderait pas même si, évidemment, nous serions preneurs. L’aide des collectivités garantit des relations plus proches de solidarité et de proximité entre les gestionnaires des mosquées et les élus, que nous ne connaissons pas. Cependant, il n’y a rien qu’on ne peut pas faire et que la grande mosquée de Strasbourg fait. »
Murat Ercan assure qu’aujourd’hui, la mosquée Yunus Emre « se suffit à elle-même », puisque tous les bâtiments de Ditib Strasbourg sont achetés. Ses deux imams continuent d’être des fonctionnaires turcs, dans le cadre d’accords entre la France et la Turquie. Ils officient en turc avec un résumé de leur intervention en français.
À la Meinau, Eyyub Sultan caracole à 32 millions d’euros
En attendant qu’un jour le projet de centre communautaire de Ditib voit le jour, c’est à la Meinau, que l’islam turcophone voit s’ériger une mosquée ottomane. La Plaine des Bouchers abrite depuis des décennies l’autre grande mosquée de Strasbourg, celle d’obédience turque affiliée au mouvement conservateur européen Millî Görüs. D’abord installée dans une ancienne usine aménagée, la mosquée Eyyub Sultan est en passe de se transformer elle aussi en « mosquée cathédrale ».
Ici l’architecture est différente. Le projet comprend deux minarets, ce qui avait été refusé en son temps à la GMS. Les travaux ont débuté en 2017, et l’équipe du Millî Görüs dans le Grand Est s’active pour financer le chantier d’un montant estimé à 32 millions d’euros.
D’après Eyup Sahin, président du Millî Görüs pour le Grand Est, les membres locaux de Millî Görüs cotisent chaque mois pour financer le projet, les montants pouvant aller pour certains jusqu’à 1 000 euros mensuels. À cela s’ajoute les collectes hebdomadaires de la prière du vendredi à la mosquée Eyyub Sultan comme dans les 15 autres mosquées de Millî Görüs dans la région, et même celles de l’organisation ailleurs en France et dans toute l’Europe. Le financement du projet passe aussi par les appels aux dons sur les réseaux sociaux et le démarchage d’hommes d’affaires. Il y a quelques semaines une soirée de gala a permis de récolter 450 000 euros en une soirée. La solidarité fonctionne enfin à travers des collectes dans les mosquées d’autres organisations, et notamment à la GMS et même dans certains magasins.
Pas sûr que ce projet grandiose fasse partie des plans qu’avait escompté la municipalité. Qu’importe, Eyyub Sultan ne lui a rien demandé, si ce n’est un permis de construire. En échange, la mosquée de Millî Görüs ne sollicite pas de financements publics. Eyup Sahin argumente :
« Nous ne souhaitons pas représenter une charge pour les collectivités dans un contexte où ce financement pourrait être mal interprété par l’opinion publique. Et nous n’en avons pas pour l’heure la nécessité. »
Le français se fait une place aussi dans les prières turcophones
Deux imams rémunérés par la puissante fédération Millî Görüs officient à Eyyub Sultan, en langue turque. Mais le français se fait progressivement une place dans ce système rodé au niveau européen comme l’explique Eyup Sahin :
« Il est important à nos yeux d’insérer la langue française dans les discours. Cela se fait de manière progressive. Le prêche du vendredi est publié en plusieurs langues européennes sur nos sites deux jours à l’avance. Nous avons envoyé plusieurs jeunes de notre région se former dans nos instituts de formation d’imams en Europe afin qu’ils officient une fois leur formation théologique terminée. Un premier a achevé sa formation et commence à prêcher en français à Strasbourg. Ce sera le premier d’une génération d’imams à la fois francophones et turcophones, pas seulement pour Strasbourg mais également pour les autres mosquées de la région. »
Enseignement privé confessionnel contre écoles publiques
Aux soupçons d’affirmation communautariste, Eyup Sahin répond :
« Ce procès d’intention n’est fait ni aux juifs, ni aux orthodoxes ni à aucune autre minorité religieuse. La mosquée Eyyub Sultan a toujours été un lieu ouvert à tous, comme toutes les mosquées. Elle répond présente dès qu’elle est sollicitée par les pouvoirs publics pour apporter son soutien, son aide et son expérience. Ceux qui ont ce genre de réflexion sont sûrement gênés à l’idée que les musulmans, après un demi-siècle de présence, puissent s’organiser, construire un tel édifice et proposer des activités qui apportent une plus-value à la société. Notre projet fait l’unanimité au sein des groupes de travail inter-religieux et des pouvoirs publics. »
De quoi ont encore besoin les musulmans de Strasbourg ? La formation et le statut des imams préoccupe toutes les mosquées qui veulent répondre au besoin de cadres religieux ancrés dans la société française. Au-delà, les deux mosquées d’obédience turque mettent aujourd’hui l’accent sur le développement de leur propre offre d’enseignement privé confessionnel de la maternelle au lycée, tandis que celles issues de la CAMS encouragent l’enseignement public.
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