« Sortir du jeu de ping pong », telle a été la formule souvent invoquée par Roland Ries sur la question des sans-abris pendant le mandat. Le maire a invoqué « l’humanisme rhénan » de la Renaissance pour justifier une action volontaire de sa municipalité.
Cette ambition du maire a rapidement connu un obstacle majeur. En 2016, une crise s’est ouverte lorsque le président du conseil départemental du Bas-Rhin, Frédéric Bierry (LR), a coupé brutalement l’aide aux associations de Solidarité, soit 640 000 euros.
L’élu de Schirmeck renvoyait alors à la responsabilité à l’État. Sa collectivité se concentre en effet sur ses obligations concernant l’aide aux Mineurs Non-Accompagnés (MNA, 400 individus et un budget de 10 millions d’euros selon le CD67) ou les mères et enfants sans ressource (200 personnes et un budget de 2 millions d’euros).
Car loger les personnes à la rue est du ressort de l’État. Il a d’ailleurs augmenté ses places ces dernières années dans le Bas-Rhin, pour dépasser les 9 000 par an en 2019. De nombreuses structures sont réparties à Strasbourg et dans les environs. Des places ouvertes l’hiver sont ensuite pérennisées. Le débat pourrait s’arrêter là en campagne électorale. Mais les choses ne sont pas si simples. Des riverains tantôt excédés ou solidaires interpellent leurs élus locaux, les adjoints de quartier, voire le maire, tous sensibles à la pression électorale. Idem pour les associations de solidarité confrontées à la misère.
La fondation Abbé Pierre mobilise les candidats
La fondation Abbé Pierre estime aussi que les maires peuvent jouer un rôle prépondérant. En janvier 2020, elle a soumis aux candidats une « Déclaration des Droits des personnes sans-abris » de 14 articles. Dans une tribune au JDD, 135 têtes de liste et colistiers se sont ainsi engagés à les mettre en oeuvre. Parmi les préconisations : le droit à un logement bien sûr, mais aussi la fin du mobilier anti-SDF, le droit d’utiliser l’espace public et les bâtiments inoccupés, la non-destruction des biens des sans-abri, l’absence de contraintes et menaces.
Ces promesses seront suivies par un comité indépendant, comprenant notamment des personnes à la rue. À Strasbourg, Jeanne Barseghian et Syamak Agha Babaei, numéros 1 et 2 de la liste écologiste ont signé ce texte.
Les 100 places, grande réalisation volontaire
La création volontaire de 100 places en appartements financées par la municipalité constitue la principale action du mandat 2014-2020. La vente de vieilles actions Danone héritées de la Laiterie a permis de financer cette mesure. Les logements ont été occupés en quelques semaines. La demande émanait du conseiller municipal Syamak Agha Babaei, par ailleurs en charge de l’hébergement d’urgence à l’Eurométropole.
À l’époque de ce débat, en novembre 2017, associations et spécialistes estimaient que l’ouverture de 500 places permettait de proposer une solution à chaque personne à la rue à Strasbourg. Mais depuis le phénomène s’est amplifié.
La semaine du 9 au 15 décembre, 835 personnes ont demandé une place au 115. Moins de 250 (30%) ont eu une proposition. Et encore, ces chiffres ne prennent pas en compte ceux qui n’appellent pas. Cette statistique ne couvre pas les 500 personnes qui ont trouvé un toit dans les deux grands squats ouverts à l’été 2019, rue Bugatti à Eckbolsheim et à « l’Hôtel de la rue » à Koenighsoffen, ainsi que dans de plus petits lieux, moins connus.
Les paradoxes d’un mandat
Mardi 14 janvier, lors deuxième report de l’audience pour « occupation illicite » de l’Hôtel de la rue, les bénévoles et soutiens du lieu avaient les traits tirés. Ils étaient remontés contre la municipalité. Début janvier, un petit squat qui menaçait de s’écrouler à Neudorf avait été évacué. Le vendredi soir, l’adjointe aux Solidarités Marie-Dominique Dreyssé (EELV) ne voyait d’autres solutions pour le week-end que… l’Hôtel de la Rue. Le même lieu public contre lequel la municipalité mène une procédure d’expulsion.
Cette situation tendue illustre le paradoxe des deux derniers mandats. Strasbourg a beaucoup construit, plus de 3 000 logements par an depuis 2010, mais a toujours autant de monde à la rue.
De plus, Strasbourg n’échappe pas à l’urbanisme anti-SDF. Clôtures, grillages, barrières, parcs fermés, blocs de béton ont suivi les évacuations à répétition des camps de sans-abris, 11 depuis octobre 2017. Le dernier date d’octobre 2019.
Le suicide de Habib
L’augmentation du nombre de sans-abris est notamment liée aux demandeurs d’asile venus d’Europe de l’Est. Le Bas-Rhin enregistre 3,7% des demandes faites en France alors que son territoire contient 1,7% de la population française. En 2019, la Préfecture a dû traiter 4000 dossiers, soit 30% de requêtes de plus qu’en 2014.
La situation a connu un tournant dramatique avec le suicide de Habib, un sans-abri afghan de 21 ans au printemps 2019. Par la suite, les associations de solidarité ont réclamé « des mesures d’urgence » en dénonçant une « politique délibérée » dans un courrier commun. Les 14 signataires ciblaient surtout l’État, mais un appui du maire de la principale ville de la région est toujours un soutien précieux. Le collectif Grain de Sables recensait 27 morts dans la rue fin novembre 2019.
Christian Bonardi, du collectif « D’ailleurs nous sommes d’ici », voit quelques améliorations dans les manières de fonctionner. Mais la situation n’est pas satisfaisante selon lui :
« La mairie et la Préfecture se reposent désormais sur les deux grands squats pour se défausser de leur inaction. Or, la vie et l’organisation sur place y sont difficiles. Concernant les camps de migrants, de l’eau et des toilettes sont désormais apportées un peu plus vite quand il y a une médiatisation, mais cela reste lamentable. Les évacuations, tôt le matin et expéditives, se passent un peu mieux, avec moins de destructions de tentes et d’objets. Mais la mairie n’utilise jamais son pouvoir de réquisition pour les logements vides depuis des années. »
À la recherche d’un meilleur ciblage
Dans ses actions, la Ville a essayé aussi de mieux cibler les différentes situations : familles, migrants, ressortissants Français, etc. En novembre 2017, la Loupiote, un accueil de jour pour les familles a ouvert dans le quartier Gare. En mai, 114 familles soit 439 personnes y ont été reçues.
Au total, la Ville de Strasbourg a consacré 3,2 millions d’euros pour les plus démunis en 2019. Via son Centre communal d’Action social (CCAS), la Ville compte deux centres d’hébergement de 115 lits à la Krutenau et près de la gare. En 2018, ces deux établissement ont permis à 1664 hommes de se loger. Ces structures d’hébergement comptent des places pour des « hommes vieillissants ».
À la salle de consommation de drogue à l’hôpital, 10 places d’hébergement d’urgence seront créées d’ici la mi-2020, pour les personnes avec des addictions.
Dans le même ordre d’idée, « L’îlot » au Port du Rhin peut accueillir 10 personnes grands précaires, avec addiction et animaux de compagnie. Une extension à 15/20 places est envisagée.
Autre réalisation d’ampleur, à l’initiative d’un promoteur mais rendue possible par la mairie, celle de l’Odylus. Ce premier centre d’hébergement temporaire à Strasbourg accueille 80 personnes, demandeurs d’asile et de « droit commun » (Français et personnes en règle) confondus, le temps du chantier de reconversion de la clinique Sainte-Odile. Un mode de fonctionnement qui sera peut-être répliqué sur de futures opérations immobilières.
Des mesures amorcées ou à venir
Début 2020, la plateforme FAC’il a été mise en ligne suite à un marché public attribué à l’association Habitat et Humanisme. L’objectif est de rassurer des propriétaires privés avec la garantie d’un loyer versé par l’association et un abattement fiscal. Au 19 février, elle a permis une dizaine de contacts, ainsi que la location de trois appartements.
« Nous avons davantage de propositions en T2 et T3, souvent après des mauvaises expériences de propriétaires. La situation à Strasbourg fait qu’il y a beaucoup de besoins sur les petits studios et les grands appartements, qui sont plus rares. », explique Noémie Kaps, chargée de communication pour la FAC’il. La plateforme espère proposer 100 places fin 2020.
Enfin, la Ville s’est intéressée aux personnes qui refusent l’aide proposée. Quelques solutions ont émergées comme un hébergement transitoire, en caravane ou mobil home, avant d’entrer en logement. Les futurs bénéficiaires sont connus. Les modalités techniques et financières sont en cours d’étude.
L’avenir de ces projets amorcés dépendra entres autres de l’ambition que leur donneront la municipalité élue en mars.
Le collectif « En Marge » compte interpeller les candidats sur leurs programmes à l’occasion de la nuit de la Solidarité, la première à Strasbourg qui se tiendra entre le 3 et le 4 mars.
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