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En travaux perpétuels, le Port-du-Rhin quadruplera sa population dans 10 ans

Après le feu, sont venus la poussière, le bruit et les bétonneuses. Le quartier frontalier du Port-du-Rhin, à l’extrême est de Strasbourg, connaît d’intenses phases de travaux depuis 10 ans et le sommet de l’Otan. Et ça ne devrait pas s’arrêter : sept tours avec vue sur le fleuve doivent encore sortir de terre d’ici 2030. Visite commentée pour abonnés, jeudi 26 septembre à 11h30.

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En travaux perpétuels, le Port-du-Rhin quadruplera sa population dans 10 ans

Septembre 2019, la rue Coulaux est bloquée une fois de plus pour « travaux de voirie ». A chaque fois, l’activité du restaurant marocain du n°4 est au point mort, confie une voisine. Anne-Véronique Auzet est originaire du quartier, où ses grands-parents ont fait construire l’immeuble de la rue Coulaux dans lequel elle s’est réinstallée en 2007. Juste à temps pour profiter des travaux sur le pont ferroviaire sur le Rhin, adapté aux exigences du passage des TGV et inauguré en 2010.

Le tram D a désenclavé le quartier

Membre du Conseil citoyen, Anne-Véronique se félicite du désenclavement du quartier du Port-du-Rhin, désormais accessible depuis le centre de Strasbourg grâce au tram D, plébiscité par les habitants depuis sa mise en circulation en 2017. Mais elle déplore :

« Depuis que je vis ici, les travaux ne se sont jamais arrêtés : il y a eu le pont du train et la rénovation des immeubles de la cité Loucheur avant le sommet de l’Otan en 2009, puis les travaux du tram, la rénovation de l’école, la construction de nouveaux logements et avec ça, la poussière, le bruit, etc. D’un côté, c’est très bien, on a de nouveaux services : la Poste, un Carrefour City, la crèche transfrontalière, les urgences de la clinique Rhéna… Mais d’un autre côté, les habitants en ont marre des travaux. On voudrait souffler un peu avant d’enchaîner sur une nouvelle tranche de constructions. »

Il y a 100 ans, quand Strasbourg était allemande, le Rhin n’était pas une frontière et les trams traversaient déjà le fleuve (DR)
Le quartier du Port-du-Rhin, entre 2004 (inauguration du jardin des Deux-Rives) et 2009 (incendie de l’Ibis). Sur cette photo aérienne, ne figurent notamment ni la clinique Rhéna ni l’îlot bois, érigés sur le grand terrain vague servant de parking (Doc remis par la SPL Deux-Rives)

Sept tours de 50 mètres le long du Rhin

Cette nouvelle tranche de construction qui fait peur aux habitants est d’ores et déjà planifiée le long des berges du Rhin, entre la cour des Douanes et le jardin des Deux-Rives. Sur cet espace de moins d’un kilomètre devraient être érigés sept nouveaux ensembles immobiliers en double hauteur, comme les Black Swans à Malraux, dont les « tours » monteraient à 50 mètres. Des constructions qui feraient passer la population du quartier de 1500 habitants en 2009, 3000 aujourd’hui, à 5600 en 2030, 6500 en comptant ceux de la Coop. 

Le long du Rhin, les sept îlots (avec tours de 50 mètres) devraient être construits d’ici 2030 (Extrait du plan-guide territoire / Agence TER / 2018)
Vue 3D des futurs ensembles immobiliers sur les berges du Rhin, côté français (Agence TER)

Eric Bazard, directeur de la SPL (société publique locale) en charge de l’aménagement du secteur Deux-Rives (de la Citadelle au Rhin, en passant par Starlette et la Coop), confirme le calendrier serré :

« Nous démarrons par l’aménagement des berges le long du Rhin. La concertation est terminée, les maîtres d’œuvre sont en train de boucler le projet : trois séquences de promenade vont être créées sur 60 mètres entre les futurs immeubles et le fleuve, avec des jeux pour enfants plus proches du quartier ancien qu’aujourd’hui, des gradins, des espaces de pique-nique, etc.

Concernant la cour des Douanes, la consultation est en cours, avec deux projets finalistes : l’un incluant une école hôtelière privée, l’autre un espace de loisirs autour du numérique [d’après les élus rencontrés, le second projet l’emporterait, ndlr]. Cette opération de 300 logements, dans le cadre d’un projet suffisamment attractif pour désenclaver le site, devrait voir le jour dans quelques années. »

Vue aérienne de la cité Loucheur, de la cour des Douanes et du pont de l’Europe, dans les années 1970 (DR)

D’après le directeur de la SPL, les deux projets autour du pont de l’Europe suivront, pour une livraison prévue en 2025. Ensuite, les ensembles au sud du pont, côté jardin des Deux-Rives, devraient être terminés avant 2030. Les prix : environ 3500 à 4000€ du mètre carré, sans aucun logement social à la cour des Douanes, proximité du QPV oblige. Sur les bords du Rhin, 25% des appartements seront accessibles aux familles à faibles revenus.

Intégration sociale et scolaire des nouveaux habitants

Les questions d’intégration et de mixité sociale se posent donc. Il y a 10 ans, les 1500 habitants de la cité Loucheur (île aux épis) comptaient parmi les plus pauvres de Strasbourg. Aujourd’hui, la moyenne des revenus tourne toujours autour de 600€ par mois. Un état de fait qui conduit à l’existence d’une économie de la drogue, « un gros problème dans le quartier », regrette Anne-Véronique Auzet, qui ne se serait pas atténué, selon elle, avec l’arrivée du tram. Le fossé économique entre nord et sud de l’avenue du Rhin persiste donc.

Place de l’Hippodrome, inaugurée en 2014, trait d’union théorique entre anciens et nouveaux habitants du quartier (Photo MH / Rue89 Strasbourg)
Face à la résidence Deux-Rives (2014), l’îlot bois accueille ses premiers habitants en 2019 (Photo MH / Rue89 Strasbourg)

En corollaire, l’intégration scolaire a aussi du mal à se faire. Les habitants de la résidence Deux-Rives, installés depuis 5 ans, sont rares à mettre leurs enfants à l’école du quartier. Un nouvel établissement est pourtant prévu dans le schéma directeur de la SPL. Il sera construit côté jardin : l’ancienne école accueillera toutes les classes maternelles, assure Eric Bazard, les nouveaux locaux toutes celles du primaire. De cette façon, élus et urbanistes espèrent éviter de creuser un peu plus le fossé entre anciens et nouveaux habitants.

Trop dense et/ou trop pollué ? Les élus partagés

Certains élus municipaux se félicitent de la densification de l’habitat, là où hier ne s’étalaient que des friches portuaires inutilisées. D’autres critiquent cette même densification, aux abords du second axe routier le plus pollué de Strasbourg après l’A35. Sans compter la pollution atmosphérique issue des activités industrielles du port, dont la cohabitation avec les nouveaux habitants n’est pas sans hypothéquer leur maintien sur place dans le futur.

Syamak Agha Babei, vice-président de l’Eurométropole en charge de l’habitat, remarque néanmoins :

« Nous devons répondre à un besoin en logements, là où des terrains sont disponibles. Il faut multiplier les formes urbaines et les solutions de logements proposées, avec de l’habitat participatif, du social et du très social, des logements intermédiaires accessibles… »

Et c’est ce qui se fait par l’intermédiaire de la SPL, se satisfait l’élu. Les logements de la cité, juste en face, laissés à l’abandon ? Pas du tout, assure Philippe Bies, adjoint de quartier, qui assure que 100% des bâtiments CUS Habitat bénéficieront d’une rénovation énergétique dans les deux ans.

La clinique privée Rhéna draine des milliers de personnels et patients chaque jour, sur le second axe routier le plus pollué de Strasbourg (Photo MH / Rue89 Strasbourg)

Reste la problématique de la pollution, issue de la circulation, mais également de l’activité industrielle. Une mission « avenue du Rhin » a rendu ses conclusions en juin 2019, mettant en avant l’interdiction des poids lourds en cas de pics de pollution et la mise en place de contrôles plus réguliers sur cet axe. Des préconisations qui ne vont pas assez loin pour Jean-Baptiste Gernet, élu en charge des mobilités alternatives auprès du maire de Strasbourg et du président de l’Eurométropole, qui miserait plutôt sur la création d’une « zone à faible émission » (ZFE), avec à la clé l’interdiction du diesel.

Urgence climat : gare réouverte et nouveau parc urbain

Pour lui comme pour ses collègues Alain Jund, en charge de l’urbanisme, ou Philippe Bies, récemment converti aux exigences climatiques, il est urgent par ailleurs « d’accompagner le port autonome vers des activités plus en cohérence avec les scénarios de la transition ». A mettre au programme des municipales de l’année prochaine…

Des initiatives vont déjà dans le sens d’une meilleure résistance aux changements à venir, rappellent les différents acteurs : la création en 2023-25 d’un nouveau parc à l’emplacement du Petit Rhin, ancien bras du fleuve, et la réouverture de la gare du Port-du-Rhin, sous les fenêtres d’Anne-Véronique. Alain Jund l’assure : « C’est faisable dans les cinq ans ».


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