Aldrich, génial touche-à-tout
Il est aujourd’hui admis que le cinéaste Robert Aldrich ne bénéficie pas d’une place particulièrement enviable au panthéon hollywoodien. Cinéaste mercenaire, artisan à la solde des studios, il a pourtant signé une poignée de films superbes. Il s’est essayé au film de guerre, a navigué dans les eaux du polar. Sans doute restera-t-il dans les mémoires pour ses satires du monde du spectacle, comme Le grand couteau ou Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? Et bien sûr : pour Kiss me deadly (titre original d’En quatrième vitesse)…
Dès 1955, Robert Aldrich semble donner raison à l’axiome Kubrickien. « On ne peut faire de bons films qu’avec de mauvais livres. » Et avec quelques feuilles médiocres signées Mickey Spillane, père du détective Mike Hammer et accessoirement auteur de romans putassiers, il signe un superbe film noir tardif, une oeuvre ascétique, puissante et visionnaire.
Pervertir les arcanes du noir
En quatrième vitesse narre les aventures d’un détective qui remonte la piste d’une morte pour se frotter à ses anciens acolytes, dans des ruelles et au coeur d’une cité que l’on ne nommera pas. Le gros Bob (comme aimait à le nommer Claude Chabrol) semble, sur le papier, réaliser une oeuvre d’un écrasant classicisme. Mais son film présente une double singularité, s’enorgueillit d’une double fracture.
Chez Aldrich, le protagoniste, le privé, n’est pas un personnage romantique, un réceptacle de la mythologie urbaine post-grande dépression. Ralph Meeker interprète un petit salaud, qui baigne dans de troubles histoires d’adultère. Bien que les auteurs de l’adaptation cinématographique s’en défendent, on peut voir, dans cette sécheresse, l’héritage direct de l’univers de Mickey Spillane. La sensibilité crue de l’auteur de pulps transparait dans les liens qui unissent les personnages et dans une approche de la violence qui n’a plus rien de feutrée.
Les années 50 aux Etats-Unis, on filmait surtout de la SF
Ensuite, il parait bon de s’attarder sur l’époque à laquelle le film est tourné. Les années 50 ne correspondent pas, dans le cinéma américain, à l’âge d’or du polar mais bien à celui de la science-fiction. Le public comme les artistes sont tiraillés d’angoisses liées à l’avènement d’une science obscure, symbolisée notamment par la toute-puissance de la bombe atomique.
Tout un pan du cinéma de studio est alors nourri de cette obsession (L’homme qui rétrécit, La mouche noire, Le jour où la terre s’arrêta). En quatrième vitesse ne fait pas exception. Ce McGuffin (terme Hitchcockien désignant l’objet qui nourrit le récit, celui après lequel tout le monde court), cette valise mystérieuse qui est au cœur de la quête du personnage, représente un pouvoir qui dépasse l’individu lambda et qui peut, sans la moindre justification, anéantir son porteur.
Sous les attraits d’une série noire standardisée et fauchée, le film de Robert Aldrich apparait toujours, 60 ans après sa sortie, comme une œuvre résolument moderne et stimulante.
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