Artiste française née en 1943 dont la reconnaissance est internationale, Annette Messager nous conte une histoire digne d’un roman de science-fiction. Les œuvres présentées au Mamcs sont récentes et reflètent les préoccupations actuelles de l’artiste. Le monde qu’elle construit est toujours étrange et peuplé de peluches hybridées mais elle va plus loin et abandonne progressivement la couleur pour le noir, comme si le monde avait tellement changé ces dernières années qu’il n’y avait plus d’espoir et que sa destruction était inévitable. Ainsi, avec cette exposition, elle nous entraîne dans les méandres d’une œuvre où règnent chaos, désillusion et destruction, le tout avec du fantastique, de l’anticipation et de l’humour noir : absolument jouissif !
Au gré de votre balade dans ces continents noirs, vous pourrez voir des masques sur des balais, un oiseau gisant, une poupée abandonnée et disloquée, des peluches disséquées, une ville fantôme volante, la fin d’un monde – le notre –, un (petit) homme derrière un mur avec une bite énorme qu’il dévoile en ouvrant son manteau, un mickey chevauchant une souris mais aussi des mots qui font partie de nos vies : chance, désir, jalousie.
Avec l’œuvre Motion-Emotion, Annette Messager nous plonge dans un monde où des personnages monstrueux issus de collages hétéroclites bougent en une folle danse. Des ventilateurs les font louvoyer dans tous les sens, ils sont comme des épouvantails faits de bric et de broc dans un champ pour éloigner les oiseaux. Mais ici, on se demande à quoi ils peuvent servir : peut-être à nous inquiéter, à nous faire peur et à nous faire prendre conscience des dérives d’une société consumériste qui joue, bidouille avec la vie et la respecte de moins en moins.
Elle nous immerge ainsi dans un espace où la démence semble s’être infiltrée partout. Nous devons nous frayer un chemin entre ces pantins désarticulés qui se déplacent au gré d’un vent de folie en une invitation à participer ou à éviter cette macabre danse. Mais, entrons dans la danse, n’ayons pas peur de ces épouvantails, nous sommes aussi faits de plein de choses différentes, nous sommes aussi à la dérive brinquebalés dans une société en pleine mutation, nous sommes aussi déguisés pour un carnaval de plus en plus inquiétant et où les règles semblent de plus en plus incertaines.
Au détour d’un mur on fait face à une version revue et corrigée de Blanche Neige et ses Sept Nains : une mariée résumée par un voile blanc vaporeux sur un balai se trouve sur le mur opposé à sept balais surmontés par des masques noirs et grotesques, magie de la scénographie. Mais où est le prince ? Peut-être est-ce l’obsédé qui se cache derrière un mur un peu plus loin. L’exhibitionniste ne l’est plus avec Annette Messager, c’est nous qui devenons voyeurs, à l’affût de la moindre chose ou information susceptible de nous donner l’illusion d’exister.
Annette Messager nous présente les résidus d’un monde défunt, entrain de disparaître. Cette problématique pourrait être qualifiée de « soixante-huitarde » : les risques de catastrophes nucléaires, les guerres, la destruction de la terre, etc. Mais, malgré ce discours pessimiste qui avait cours il y a presque cinquante ans, on n’a pas réussi à l’éviter et il semble de plus en plus difficile de faire marche arrière. L’artiste, dans Le Repos des pensionnaires (1971), avait emmailloté des moineaux dans des vêtements qu’elle leur avait tricoté parce qu’au final nous sommes responsables des dommages subis par la nature et que c’est à nous de la protéger. Maintenant, elle les présente disséqués, calcinés, morts comme si plus rien ne pouvait être fait pour nous sauver.
Annette Messager est avant tout le témoin de son temps et du monde dans lequel elle vit :
« L’artiste ne fait que mettre en valeur les choses de la vie qui sont là. Il n’a rien d’autre à faire que de regarder autour de lui, d’observer et mettre en évidence certaines choses. […] Il déplace un peu les choses parce qu’il les met en gros plan, mais tout est là, dans la vie. »
Avec les « continents noirs » au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg c’est comme si elle établissait un constat d’échec : il n’y a plus d’avenir ni de protection possible, tout est calciné, le monde, la joie, la vie, même l’art – on peut voir tout types d’objets qui semblent calcinés et figés dans l’installation Sans légende, un seul élément est mouvant, il s’agit d’une espèce de sphère gonflable aux couleurs de la tête : elle se gonfle et se dégonfle en une respiration qui semble vraiment laborieuse comme si on assistait à ces derniers sursauts de vie. Il s’y trouve aussi une figure telle une sculpture filiforme de Giacometti : l’homme est figé, mort, il ne marche plus, l’art aussi peut-être.
Y aller
Exposition « Les continents noirs » d’Anne Messager, jusqu’au 3 février 2013 au Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, 1, place Hans Jean Arp à Strasbourg. Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h.
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