L’Alsace, ses cigognes, ses vignes et son bocage. Certes, la région est encore très loin de concurrencer la Normandie. Mais depuis une dizaine d’années, agriculteurs, industries et municipalités plantent de plus en plus de haies. La raison de cette soudaine émergence ? Leurs effets positifs sur l’environnement et l’homme. Et surtout, elles apaisent les querelles de voisinage en bloquant la vue et les odeurs des usines ou des élevages.
Au cœur de cet engouement, l’association Haies vives d’Alsace. Depuis 2012, l’équipe aide les paysans et les mairies à installer des haies champêtres. Mais oubliez les lignes de thuyas qui envahissent les tristes lotissements. Les haies de l’association relèvent de la science. Arbustes, arbres et buissons d’origine locale s’enchevêtrent et cohabitent afin de créer de mini-écosystèmes. En cinq ans plus de douze kilomètres ont émergé en Alsace. Une vingtaine de projets sont dans les cartons, soit 38 kilomètres supplémentaires d’ici deux ans.
Pour Jacques Detemple, chargé de mission et membre fondateur de l’association, l’objectif est la sauvegarde de la biodiversité :
« Les haies facilitent le déplacement des animaux sauvages et enrichissent les sols. Elles attirent de nombreux prédateurs d’insectes nuisibles aux cultures. Cela permet de limiter l’épandage de pesticides dans les champs. Mais il faut s’adapter aux besoins des commanditaires pour les convaincre de leur utilité. »
Une haie contre deux mille cochons
Comme à Witternheim, près de Benfeld. Là, c’est un conflit avec les voisins qui a poussé un éleveur, Sébastien Haug, à installer des haies le long de deux hangars. Les effluves de ses cochons incommodent les riverains. Pas étonnant. Entre ses 2 000 bêtes et les premières maisons du village, à peine 300 mètres de champs.
La gêne des habitants laisse vite place à la colère. Si bien que la mairie décide de bloquer la construction d’un troisième bâtiment. « Ça risque de devenir un site industriel si ça s’agrandit », s’inquiète l’édile, Philippe Braun. Las, Sébastien Haug accepte de semer des haies coupe-vent. Un gage de bonne volonté à 6 500 euros, entre les fournitures et l’installation des plants.
En décembre 2017, les membres d’un chantier d’insertion mandaté par Haies vives d’Alsace plantent donc deux lignes végétales. Encore à l’état de jeunes pousses, les arbres maintiendront la ligne de vent en hauteur d’ici quelques années. Les odeurs devraient passer au-dessus des têtes des villageois. Bonus, les bâtiments disparaîtront du paysage derrière les murs végétaux.
Le rêve de Jean-Louis Klipfel, maire de Laubach, 300 âmes cernées de champs. Il aimerait que les agriculteurs du coin se mettent aussi au vert :
« Des habitants craignent que les pesticides atterrissent chez eux à cause du vent. L’épandage se fait parfois à quelques mètres des maisons. Et puis les haies pourraient masquer des bâtiments peu esthétiques. »
« Un truc de bobos »
Mais pour l’instant aucun projet de barrière végétale dans sa commune. Car les haies pâtissent d’une mauvaise réputation auprès de nombreux agriculteurs. Soupçonnées souvent à tort de consommer les nutriments du sol, elles empêcheraient de manœuvrer les engins et occupent des surfaces fertiles. Un scepticisme partagé par un agriculteur du sud du département, qui préfère rester anonyme :
« Je ne suis pas foncièrement contre, mais c’est beaucoup de contraintes pour peu de retours positifs. C’est une mode, pour ne pas dire un truc de bobos. La plupart de ceux qui se plaignent des odeurs sont des citadins installés récemment. Quand on vient vivre à la campagne, il faut aussi accepter les côtés moins sympas. Et puis, c’est facile de nous demander de planter des haies, mais qui paye au final ? Tout le monde ne peut pas débourser des milliers d’euros là-dedans. »
Des poulets moins stressés
Pourtant certains y trouvent leur compte. En bordure de Pfulgriesheim, Florian Lossel, jeune éleveur de volailles, a intégré 100 mètres de frênes le long de ses quatre bâtiments flambant neufs :
« Ça ne peut être que bénéfique. Les arbres coupent le vent, les poulets sont moins stressés. C’est aussi un plus pour le paysage et ça ne coûte pas si cher. »
Cela va même lui rapporter de l’argent. En effet, combinée à d’autres mesures, sa plantation lui donne droit à 2 000 euros supplémentaires sur les aides de l’État à l’installation des jeunes agriculteurs.
Car les pouvoirs publics prennent conscience de l’importance des lignes végétales. Ainsi, l’Agence de l’eau Rhin-Meuse finance jusqu’à 80% des projets destinés à lutter contre l’érosion des sols. La Région paye les études de sol préliminaires. En outre elle a lancé un appel à projet pour planter 50 km de haies d’ici 2020 en Alsace.
« Tous unis pour plus de biodiversité » Vraiment tous ?
À Strasbourg, l’Eurométropole commence à prendre le sujet au sérieux. Depuis 2010, elle incite ses agriculteurs à préserver la trame verte. Un réseau continu d’espaces verts censé faciliter les déplacements des animaux sauvages. Son principal levier ? Les baux signés avec les paysans locataires de terrains de la collectivité. Des exploitants vont ainsi planter des haies ou établir des bandes d’herbe sur des parcelles à Hœnheim, Bischheim et Niederhausbergen.
À la Robertsau une haie est venue jouer les casques bleus entre les locataires de jardins partagés et un agriculteur qui pulvérise des produits phytosanitaires. Néanmoins, l’administration prévient que les arbres ne peuvent pas résoudre tous les problèmes de voisinage. « Nous voulons éviter de construire des murs entre différents mondes », explique-t-on à la Ville.
Bien entendu, les agriculteurs sont loin de porter toute la responsabilité du recul de la biodiversité. Surtout en ville. Alors depuis 2012, l’Eurométropole tape aux portes des industriels, associations et mairies pour faire adopter la charte « tous unis pour plus de biodiversité ». Ses membres s’engagent à abandonner les pesticides, créer des marres, installer des nichoirs à oiseaux ou encore planter des haies.
En tout, une grosse cinquantaine de signataires. Parmi eux, Puma, Arte, la maison d’arrêt de l’Elsau, Emmaüs ou Strasbourg Événements. Un succès ? Si on veut, mais seulement la moitié des communes de l’Eurométropole ont paraphé le document. Le bocage alsacien a encore un long chemin devant lui.
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