À deux jours du premier tour de l’élection présidentielle, les élus de la majorité municipale à Strasbourg redoutent une réélection d’Emmanuel Macron. « Au niveau des communes, on est tributaires, sur de nombreux points, des politiques de l’État », constate la maire Jeanne Barseghian :
« Le président sortant a annoncé qu’il voulait imposer 10 milliards d’euros d’économie sur le quinquennat. Comment ferions-nous pour mettre en place nos politiques ? Évidemment, on aimerait que la gauche passe. »
Membre d’EELV, elle soutient publiquement et sans surprise Yannick Jadot, le candidat du parti, à l’instar de la dizaine d’autres élus encartés ou proches des écologistes, tels que Alain Jund, Aurélie Kosman ou Carole Zielinski. Ce dernier ne rassemble que 6% des intentions de vote dans les sondages au 7 avril d’après Le Monde. Jean-Luc Mélenchon, qui porte la candidature de la France Insoumise, atteint 16%. Dans toutes les études d’opinion, il lui manque quelques points pour doubler Marine Le Pen et susciter un second tour différent du duel de 2017.
Le 10 avril, une bonne partie de l’électorat de la liste « Strasbourg écologiste et citoyenne » de 2020 pourrait pencher pour le leader insoumis, par conviction ou dans une logique de vote utile, dans l’espoir que la gauche atteigne le second tour. Mais dans la majorité locale, personne n’annonce clairement soutenir Jean-Luc Mélenchon, même chez les militants de gauche non-encartés.
« Si on se retrouve avec un deuxième tour Macron-Le Pen, ça laissera des traces »
Parmi les soutiens de la liste, Carole Santamaria est membre du conseil collégial de l’Assemblée citoyenne, une association qui veille à l’application du programme de la liste. De son côté, elle a choisi Jean-Luc Mélenchon et regrette qu’aucun élu n’ait pris cette position publiquement :
« Si Jadot était proche du deuxième tour, je voterais Jadot, même si ce n’est pas mon premier choix… Quand on a fondé la liste avec 60% de non-encartés, c’était avec des valeurs écologistes, mais aussi de gauche. On ne voulait pas que la droite gouverne à Strasbourg. J’ai l’impression qu’aujourd’hui certains oublient ça.
On n’est pas une mairie EELV ou PC et pourtant les logiques de partis reprennent le dessus. Quand je vois les communistes faire leur groupe, ce n’est pas le message qu’on voulait diffuser. Nous souhaitions mener une liste ensemble, quitte à marquer nos différences. Si on se retrouve avec un deuxième tour Macron-Le Pen, ça laissera des traces. Mais il y en a, on dirait que ça ne les dérange pas. »
Pour cette ancienne colistière, son vote à une élection nationale ne remet pas en cause son soutien à l’équipe municipale. D’ailleurs, “il y avait des gens de LFI qui tractaient avec nous aux municipales”, glisse-t-elle. Il y avait pourtant une liste estampillée LFI concurrente au 1er tour. Mais sans grande ambition, elle n’avait pas pu se qualifier au second tour.
« Je rêve d’un gouvernement de gauche »
Floriane Varieras, adjointe en charge des solidarités, estime que l’enjeux de cette élection est énorme pour la municipalité. Les politiques sociales de la Ville, en particulier l’hébergement d’urgence, sont souvent pointées du doigt par les associations d’aide aux sans-abris. L’élue rétorque systématiquement que c’est à l’État de financer l’hébergement inconditionnel des personnes qui le demandent, et pas à la Ville et l’Eurométropole, qui ont néanmoins ouvert près de 400 places depuis le début du mandat.
« Je rêve d’un gouvernement de gauche, il faut à tout prix éviter un deuxième mandat d’Emmanuel Macron, qui ne propose rien sur le logement social, la grande précarité, l’hébergement d’urgence », s’inquiète-t-elle. Floriane Varieras dit encore hésiter entre Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon :
« Ils proposent une hausse significative de la construction de logements sociaux. Jadot veut instaurer une garantie universelle qui remplacerait les cautions et souhaite lutter contre la précarité énergétique. Mélenchon veut interdire les expulsions sans relogement. Des deux côtés, les candidats insistent sur la mise à l’abri de façon inconditionnelle, et proposent aussi un renforcement des moyens de la protection de l’enfance. »
Sur certains points, elle considère que le programme de Yannick Jadot est plus réalisable, mais « hésite énormément », vu que Jean-Luc Mélenchon est en tête dans les sondages.
Marc Hoffsess regrette l’absence d’union large à gauche
Selon Marc Hoffsess, président du groupe des élus, les voix de la majorité se répartiront « en âme et conscience » entre Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot et Fabien Roussel pour les communistes. Cet éparpillement s’explique selon lui par l’absence d’union plus large, comme l’avait réussi en partie la liste élue à Strasbourg. « La situation montre qu’au niveau national les débats entre les partis n’ont été assez menés pour se mettre d’accord sur une union, ce que l’on regrette », constate-t-il.
À titre personnel, il votera Jadot : « C’est le candidat qui propose le programme le plus proche de ce qui doit être fait et qui est réalisable ». Quant à Mélenchon, il représente selon lui « un idéal », mais il y a aussi « le principe de réalité ». Fidèle au credo, « au premier tour on choisit, au deuxième on élimine », il reste sur son choix initial : « Au moins, on pourra mesurer le poids politique du candidat dans lequel on croit. »
Une élection confisquée par la sphère politique et médiatique selon Syamak Agha Babaei
De nombreux membres du « Labo Citoyen », un collectif pilier de la majorité aux côtés d’EELV, étaient aux Journées d’été des écologistes fin août à Poitiers. Pour autant, tous ne soutiennent pas ouvertement le vainqueur Yannick Jadot, ce qui semble a minima montrer un manque d’enthousiasme pour l’issue de la primaire.
Après avoir soutenu Benoît Hamon en 2017, le premier adjoint et fondateur du Labo, Syamak Agha Babaei, avait soutenu Éric Piolle à la primaire des écologistes, battu dès le premier tour. Depuis, il a fixé son choix de dimanche, mais ne souhaite pas le dévoiler :
« Comme pour beaucoup de Français de gauche, la situation est un peu désenchantée. La gauche est encore prise dans des luttes internes alors que les bases d’un programme commun sont là. Cela me conforte dans ma décision d’avoir quitté la vie partisane en 2015. »
L’ancien membre de « l’aile gauche » du Parti socialiste note que les nouveaux mouvements progressistes n’ont « pas de débouchés très clairs » et que « les primaires ont leurs limites » : « On a du mal à les organiser à l’échelle d’un parti. » Pour lui, la campagne a été « confisquée par la sphère politique et médiatique. »
Également engagé au Labo citoyen, Guillaume Libsig, adjoint à la maire en charge des événements, ne dévoile pas non plus son vote :
« J’en ai un peu marre des injonctions à voter utile ou à faire barrage. Je suis un électeur, je n’ai pas à porter le poids de l’éclatement de la gauche ou de la montée de l’extrême-droite… Je me déciderai le jour du scrutin, pour l’instant j’hésite entre quatre options. »
En a-t-il discuté avec ses collègues ? « Pas vraiment », répond-t-il :
« Nous sommes une majorité composite, dont une large part des élus ne sont pas encartés. Donc les échanges politiques sont assez libres, on connait les opinions des uns et des autres et nos différences. Ce n’est pas un sujet de tension. »
« Si Mélenchon est au second tour, je voterai pour lui »
De son côté, Caroline Zorn, vice-présidente de l’Eurométropole en charge du numérique et également membre du Labo, votera Yannick Jadot après avoir hésité :
« La question du premier tour à gauche est toujours un peu complexe… mais au final, ce ne sera pas de la faute de Jadot si Mélenchon n’est pas qualifié au second tour. Le programme écologiste me convient très bien et j’apprécie l’homme, que j’ai suivi comme eurodéputé. Et si Mélenchon est au second tour, je serai heureuse de voter pour lui, malgré mes réserves sur son programme pour l’Europe notamment… »
Caroline Zorn concède qu’avec les élus qui voteront Mélenchon, la question de l’Europe est la ligne de fracture politique, comme la production d’énergie (en particulier nucléaire) l’est avec les communistes.
Alexandre Feltz non plus n’hésite pas, ce sera Yannick Jadot. Le médecin membre de Place Publique pense que « la santé est liée à la question de l’environnement » :
« L’éparpillement des voix progressistes est un vrai problème, mais le candidat qui fera le plus pour l’environnement, ce sera Yannick Jadot. Sur le reste, je suis très déçu de constater que le débat sur l’hôpital public n’a pas eu lieu, malgré les alertes et la pandémie… »
Le Dr Feltz ne discute pas beaucoup de l’élection présidentielle avec ses collègues élus mais il constate quand même une meilleure ambiance qu’en 2017 : « Quand je m’étais positionné pour Hamon lors de la primaire de gauche, les relations s’étaient vraiment tendues avec certains élus de la majorité socialiste à l’époque. »
Jeanne Barseghian comprend le vote Mélenchon
Également engagée en 2017 avec Benoît Hamon et son revenu universel, Sophie Dupressoir ne souhaite pas donner son vote, un choix « privé » et « sans lien avec l’action municipale ». Suzanne Brolly, deuxième adjointe, ne s’exprime pas non plus sur l’élection présidentielle. L’adjointe à la tranquillité publique Nadia Zourgui avait exprimé sur les réseaux sociaux un enthousiasme pour la potentielle candidature de Christiane Taubira en décembre.
Face à ce paysage éclaté, Jeanne Barseghian « comprend que beaucoup de personnes sensibles à l’urgence climatique se tournent vers Jean-Luc Mélenchon », mais logiquement, elle reste sur la ligne de son parti :
« Il peut encore y avoir une surprise et une remontée de Yannick Jadot, avec des gens qui se décident le jour-même comme avec nous. Les sondages se trompent souvent. »
Vice-présidente à l’Eurométropole en charge de l’Économie, Anne-Marie Jean regrette que la thématique la plus importante à ses yeux, la transition écologique qui « s’impose à nous », ne soit pas assez portée. Elle votera Yannick Jadot, sans avoir fait activement campagne pour lui. Elle regrette qu’il n’y ait pas d’union plus large, voire de recomposition politique, “autour de l’écologie” :
« Le clivage droite-gauche est dépassé. La dimension sociale est fortement imbriquée à l’écologie, elle doit être prise en compte. Mais la gauche n’a pas fait la démonstration qu’elle a l’apanage du social. »
Christelle Wieder, adjointe à l’égalité femmes-hommes estime aussi que « comme pour une partie du peuple de gauche, il est difficile de faire un choix ». L’ancienne militante chez « Osons le Féminisme » rappelle qu’elle avait soutenu avec enthousiasme Sandrine Rousseau lors de la primaire des écologistes. Désormais, « nul candidat n’emporte ma franche adhésion », indique-t-elle, déçue de constater que les sujets féministes ont peu été présents dans la campagne. Un peu comme les élus de la majorité municipale, qui se disent pour la plupart très affairés par leur mandat.
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