Pour son projet d’éducation aux médias dans le quartier de l’Elsau, Rue89 Strasbourg a demandé aux élèves de l’école primaire Martin Schongauer et du collège Hans Arp de travailler sur des sujets en lien avec l’alimentation. Par petits groupes de trois élèves, ils ont défini une question puis un interlocuteur pour y répondre. Que mange-t-on en prison ? Pourquoi n’y a-t-il pas de cantine dans l’établissement pour les collégiens ? Un supermarché rouvrira-t-il un jour ? Les problématiques locales étaient nombreuses. Les dizaines d’entretiens menés par les jeunes Elsauviens révèlent ainsi que les habitants du quartier souffrent des inégalités au niveau de l’alimentation.
L’absence de supermarché, première contrainte pour les Elsauviens
C’est la première préoccupation des habitants de l’Elsau : il n’y a pas de supermarché dans le quartier. Une infrastructure manquante qui complique la vie quotidienne. Rue89 Strasbourg avait déjà raconté l’itinéraire d’une mère célibataire, sans voiture, pour aller faire ses courses. Au cours d’un micro-trottoir, Zakaria, Julien et Azar ont ainsi recueilli la parole de Mohamed, retraité. Il raconte les difficultés pour les personnes âgées ou à mobilité réduite, obligée de prendre le bus pour faire leurs achats.
Sur le même sujet, Dina, Romaissa et Aboubakr ont interrogé l’épicier du quartier. Mehmet Cebic a aussi exprimé son souhait de voir arriver un supermarché à l’Elsau : « La foule attire la foule », explique le gérant, qui espère qu’un nouvel établissement lui permettra de voir venir de nouveaux clients. Mais comme de nombreux Elsauviens, le commerçant ne cache pas son pessimisme. Il peine à croire qu’un nouveau supermarché sera construit à l’entrée du quartier, car selon Mehmet Cebic le projet immobilier en cours prévoit de trop petites surfaces.
Les promesses des élus locaux
L’espoir et le pessimisme des Elsauviens sont entretenus par une même source : les promesses des élus locaux. Les collégiens Erin Salahdine et Mohammed ont pris le tram pour se rendre au conseil départemental. Ils y ont interrogé l’ancien conseiller départemental PS, Éric Elkouby. Ce dernier avait promis en 2015 l’arrivée d’un supermarché Carrefour à l’Elsau, la même année. En mars 2021, l’homme politique regrette « un revirement de dernière minute de l’entreprise » sans évoquer les habitants du quartier, qui, de longues années durant, ont vu flotter une banderole sur la façade de l’ancien Leclerc : « Ici ouvre prochainement votre Carrefour ».
Éric Elkouby évoque une négociation en cours avec l’enseigne allemande Aldi. Si cette option est confirmée par l’élue municipale en charge du quartier de l’Elsau, Hulliya Turan décrit une autre option, qui lui paraît plus proche des besoins des Elsauviens : une supérette, certes moins grande qu’un supermarché donc, mais implantée à l’intérieur du quartier. Le projet d’Aldi concernerait plutôt une zone à l’entrée de l’Elsau.
Le règne du tacos, paroxysme du gras
À l’Elsau, c’est aussi l’offre de restauration qui manque de diversité. Les collégiennes Wiam, Sarah et Zohra ont interviewé deux salariés du Centre socioculturel (CSC) du quartier. Les deux jeunes hommes décrivent d’abord les deux camionnettes elsauviennes qui sont les seuls food-truck du quartier. La première, celle de Nourredine, propose principalement des frites, des cannettes et des sandwichs. La seconde, surnommée « La Fefe », prépare des pizzas. « Mais ici, on ne trouve pas de restaurant ou de traiteur asiatique », regrette Maxime Riech, référent du secteur jeunesse du CSC.
Le seul restaurant elsauvien (hors roulotte) se situe dans la rue Watteau. Son gérant, Ali El Jadeyaoui, a répondu aux questions de trois élèves de CM1 de l’école Martin Schongauer. Après avoir lancé son établissement de pâtes en mars 2020, le restaurateur s’est adapté au confinement en ajoutant des sandwichs à la carte. Ici, le double cheeseburger séduit la majorité des clients. Pour satisfaire les désirs des plus jeunes, le tacos a aussi fait son apparition dans l’offre du Calcio.
Comme Yasser et Mohammed ont pu le découvrir au fil des interviews de leurs camarades, au collège Hans Arp, l’immense majorité des jeunes collégiens adore les tacos. Certains soulignent le bon rapport qualité-prix, d’autres apprécient la possibilité d’avoir deux viandes différentes dans un même sandwich. À la question : quel est le meilleur tacos du coin ? Les habitants du quartier répondent majoritairement : le Golden Kebab. Yasser et Mohammed ont donc interrogé la cuisinière du restaurant, situé dans le quartier de Montagne Verte. Emel Cakir évoque le sandwich le plus gras de sa carte comme le choix numéro 1 des plus jeunes. Sans savoir s’il est possible d’aller plus loin encore dans la quantité de matières grasses, la gérante ne doute pas que les générations futures sauront trouver une recette plus lourde encore : « Quand j’étais plus jeune, les tacos n’existaient pas ici. On mangeait juste de la viande et des crudités dans une galette », rigole la gérante d’une quarantaine d’années.
Des cantines boudées, au collège ou en prison
Au collège de l’Elsau, il n’y a pas de cantine. Trois collégiennes (Khadija, Runaz et Emmanuelle) ont interrogé la principale de leur établissement pour comprendre cette infrastructure absente. Michèle Steible a d’abord rappelé que le collège Hans Arp n’a jamais eu de cantine. La grande majorité des collégiens vient du quartier de l’Elsau, situé à cinq minutes à pied. Ils rentrent donc tous chez eux pour le déjeuner. « Pour ceux qui n’ont pas la possibilité de rentrer chez eux, nous avons un partenariat avec le Centre de Ressources d’Expertise et de Performance Sportive (CREPS). Nos élèves inscrits en demi-pension prennent donc le bus à midi et bénéficient de la cantine des jeunes sportifs de haut-niveau », décrit Michèle Steible.
À l’école Martin Schongauer, les élèves se sont aussi demandés ce que les prisonniers mangent à la maison d’arrêt de Strasbourg. Aya, Rizhlaine et Rofrane ont donc interrogé le cuisinier de la prison située dans le quartier. C’était la première fois que Fabrice Groh répondait à un interview. L’ancien chef en restaurant gastronomique a ainsi décrit le fonctionnement de sa cuisine dans les détails : près de 1 300 repas produits chaque jour, pour les 650 personnes incarcérées à l’Elsau.
Depuis l’application de la loi Egalim en 2017, les contenants en plastique sont interdits. Les plats sont distribués à la louche directement devant les cellules. Il y a aussi la problématique du gâchis, car même si les détenus décident de ne pas manger le plat de la cantine (« la gamelle »), la maison d’arrêt est légalement tenue de produire un repas par personne. Ces repas non donnés sont finalement compostés.
Le Ramadan, un moment culinaire adoré des jeunes musulmans
Autour de cette thématique culinaire, Kadidia, Yousra et Norane ont souhaité répondre à la question : « Que mange-t-on pendant le Ramadan ? » Une manière pour les trois écolières d’évoquer leurs plats préférés et un moment important de l’année, « où la table est toujours bien garnie », comme l’explique Kadidia. Cette dernière a d’ailleurs proposé d’emmener un enregistreur avec elle pour interviewer les mères de Yoursra et Norane. Résultat : un dernier podcast particulièrement savoureux !
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