Koenigshoffen Est, rue l’Abbé Lemire. À la parcelle 2 189 d’un jardin familial, Ali Betroni, artisan peintre, souhaite montrer quelque chose. Aux premiers coups de la pompe à bras de son puits, une odeur d’essence envahit l’atmosphère. L’eau remplit la cuve et une substance huileuse flotte à la surface, se répandant dans une couleur irisée. Pas de doute, des hydrocarbures se sont mélangés à l’eau. Cela fait sept ans qu’Ali Betroni loue ce jardin pour y cultiver des salades, des tomates, des pommes de terre, des poireaux, des oignons :
« Avant je n’avais pas ce problème. Seulement de temps en temps je voyais une goutte mais c’était vraiment minime. Mais depuis les travaux qui ont été effectués pour le parking (créé juste à côté, ndlr), cette pollution a envahi l’eau que j’utilise… À partir de 2013 ça a commencé à sentir vraiment fort ici. »
L’homme a prévenu le service des jardins familiaux il y a « sept ou huit mois », sans qu’aucune mesure concrète ne soit prise pour l’heure. Ce témoignage entre en résonance avec la pollution au perchloroéthylène (un solvant) dans les jardins familiaux de l’Elsau, où les puits ont été scellés et les utilisateurs raccordés au réseau d’eau potable sur arrêté préfectoral en 2010. Pointée du doigt, la société Elis qui doit gérer un lourd passif industriel sur le lieu de son implantation.
Pareil pour les jardins familiaux de la Robertsau où une pollution aux hydrocarbures à engendré un arrêté préfectoral en 2012 avec le même type de mesures. Cette fois-ci, les regards se tournent vers le port aux pétroles. Selon le service des jardins familiaux, des analyses auront lieu au mois de juin pour déterminer le taux de pénétration des hydrocarbures dans les légumes, en particulier la salade, pour déterminer si l’arrêté peut-être éventuellement levé.
Problème : si des mesures et des analyses sanitaires sont prises pour les jardins familiaux (souvent des années après), les puits des particuliers, eux aussi, peuvent être touchés par tout type de pollution, sans qu’aucun contrôle ne soit réalisé.
« On ne connaît pas la qualité de l’eau des puits des particuliers »
Le point commun entre les puits des jardins familiaux et les puits domestiques, c’est la profondeur du captage d’eau. Si les points de captage d’eau potable réalisés dans la CUS se situent à des profondeurs allant de 15 à 80 mètres de profondeur selon l’ARS (Agence régionale de santé), le particulier, lui, creuse à quelques mètres à peine (à plus de dix mètres, il faut une autorisation du Bureau de recherches géologiques et minières).
La première conséquence, c’est que l’ARS « ne connaît pas la qualité de l’eau des puits des particuliers, ceux de moins de 1 000 m3 par an, parce qu’on ne les suit pas ». La deuxième, c’est que le particulier pompe dans les couches superficielles de la nappe, particulièrement sensibles à diverses pollutions, souvent très localisées. C’est ce qu’explique Fabien Toulet, chargé de mission sur les réseaux de mesure de l’Aprona (Association pour la protection de la nappe phréatique de la plaine d’Alsace) :
« En fait, les pollutions proviennent du sol, que ce soit des polluants agricoles, industriels ou de monsieur tout-le-monde qui utilise du Roundup (un désherbant, ndlr). C’est lessivé, cela arrive dans l’eau par le dessus, ensuite ça va descendre ou pas et ça va se diluer et continuer à avancer. On se rend compte que les polluants ont tendance à décroître avec la profondeur, mais pas pour tous. »
Si Strasbourg est relativement bien épargnée par la pollution aux pesticides (phosphores, azote, nitrates), Hervé Chrétien, du pôle santé et risques environnementaux de l’ARS, pointe deux risques principaux. Le premier est microbiologique :
« C’est vrai qu’il n’y a pas de mesures particulières sur les puits privés et donc il y a un risque microbiologique qui est un risque à court terme (quelques heures après la consommation d’eau, ndlr) qui peut engendrer des maladies bénignes ou sévères – diarrhée, gastro-entérites et parfois plus grave, comme des hépatites. Mais cela dépend de la quantité d’eau ingérée, en boisson ou en rinçant les aliments, et de l’état de la santé de la personne, si elle est fragile, âgée, si c’est un enfant ou une personne immunodéprimée. »
Les micro-organismes, un risque des puits à basse profondeur
Ce risque là est important à basse profondeur :
« Les puits privés sont sensibles à la pollution microbiologique. Les particuliers n’ont pas toujours conscience de ce risque, moins médiatisé. Plus le puits est profond, plus on a de chance de trouver une eau qui est microbiologiquement saine. Ce qui se passe aussi, c’est que la pollution a une localisation très précise avec une contamination superficielle : eaux de surface, de ruissellement, les eaux d’assainissement du voisin, un cours d’eau proche qui communique avec la nappe. L’étanchéité du puits joue aussi. »
L’autre risque est physico-chimique, un risque que connaissent bien les jardins familiaux de l’Elsau, de la Robertsau et sans doute de Koenigshoffen :
« C’est une pollution aux pesticides ou aux hydrocarbures. On a constaté – pour des puits privés très peu profonds – de fortes pollutions. Mais ce n’est pas un risque aigu, c’est plus un risque à moyen ou long terme. »
Selon la CUS « tout est sous contrôle »
Quand on soumet ces types de risques à la CUS pour connaître leur avis sur la question, on balaie la question du revers de la main. « Tout le monde sait que chercher l’eau comme ça est impropre à la consommation » tranche Christine Bullou, vice-présidente de la CUS, en charge de l’eau et de l’assainissement. Pour Serge Foresti, de la direction de l’environnement et services publics urbains, tout est sous contrôle :
« Nous suivons les panaches de pollution d’anciennes industries à certains endroits, c’est localisé. Parfois, ces panaches de pollutions viennent croiser des usages qui peuvent être non souhaités. Dans ce cas-là, on fait en sorte que l’eau qui sert à l’arrosage soit de l’eau potable : on raccorde au réseau d’eau classique pour éviter de remettre de l’eau polluée sur les légumes. […] La majorité du territoire n’est pas touchée par ça. »
Le danger d’une interconnexion
Si les puits des jardins familiaux et les puits domestiques ont pour point commun la profondeur du captage d’eau, ils ont une différence notable : leur proximité avec le réseau d’eau potable. La réglementation est stricte : pas de connexion possible. Bien souvent, un foyer utilise son eau pour simplement arroser son jardin ou son potager, avec pour recommandation de laver ses fruits et légumes même si aucun traitement n’a eu lieu. Ce qui ne poserait aucun problème.
Sinon, il doit créer un double réseau pour les usages non-potables de l’eau : arrosage, lavage de surfaces ou de véhicule (mais les détergents polluent), WC. Tous les usages potables sont prohibés : douche/bain, lave-vaisselle, préparation de boissons ou cuisine. Le lave-linge, quant à lui, est une « zone grise » : s’il y a assez peu de risques avec une eau chauffée, le rinçage à froid peut éventuellement permettre à des micro-organismes de se fixer sur les textiles.
Mais tout ça, « c’est la théorie ». Un double réseau est un investissement onéreux qui peut-être facilement contourné en installant un raccordement pour permettre à l’eau du puits d’alimenter le réseau domestique. Si cette problématique semble absente du côté de la CUS, le SDEA (Syndicat de l’eau et de l’assainissement), qui gère 500 communes dans le Bas-Rhin, quant à lui, admet que c’est un problème « non-négligeable », tout en montrant avec honnêteté une certaine forme d’impuissance. Tous les interlocuteurs du syndicat le disent unanimement : non seulement tous les puits ne sont pas déclarés en mairie comme l’exige la législation – a fortiori les anciens – mais en plus, il est impossible de « mettre un agent derrière chaque foyer », d’autant plus que pour le SDEA «le but n’est pas fliquer les gens » mais de miser sur leur « civisme ».
La qualité de l’eau dans le Bas-Rhin
Pourtant, les risques existent. Si la loi interdit le raccordement, c’est « pour éviter à un particulier de s’empoisonner » selon Franck Perru, chef de service contrôle réseau du SDEA. Mais surtout, c’est pour éviter tout retour d’eau dans le réseau d’eau public causée par une baisse passagère de la pression dans le réseau d’eau (intervention des sapeurs-pompiers, cause accidentelle), et donc, une pollution du réseau d’eau potable. Si un clapet anti-retour existe en aval du compteur d’eau, il n’est pas jugé suffisant par les normes européennes, à raison selon le technicien du SDEA.
Franck Perru précise que le cas d’une pollution détectée représente le seul cas où « l’eau peut-être coupée sans préavis ». Par des tests successifs réalisés sur le réseau, le pollueur est toujours trouvé. Dans ce cas là, c’est la responsabilité civile du particulier qui entre en jeu. Cela peut aller d’une simple purge à « 150 ou 200 euros » à la « banqueroute totale ». Ballot quand on veut faire des économies.
Pour toute déclaration de puits, un test P1 (approfondi) est obligatoire. En cas de doute, l’ARS recommande de réaliser au moins une analyse microbiologique de base (dite D1) auprès d’un laboratoire si, quelque soit la raison, un particulier pense qu’il soit important de vérifier la qualité de l’eau qu’il utilise selon son usage.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : Pollution : l’usage de l’eau restreint dans 87 jardins familiaux de la Robertsau
Sur Rue89 Strasbourg : En cas de pépin, Strasbourg n’a que deux heures de stock d’eau
Sur Rue89 Strasbourg : Jardins familiaux : on ignore tout de la qualité des sols et des légumes
Sur DNA : Rififi chez les jardiniers (accès abonnés)
Sur Aprona : Carte interactive de la nappe phréatique
Sur le Ministère des affaires sociales et de la santé : Résultats des analyses du contrôle sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine (Alsace)
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