C’était il y a trois ans, place Kléber. Après le redoublement de sa première année de médecine, Sarah, 21 ans, est fière d’entrer en école de kinésithérapie. Avant de passer aux choses sérieuses, il faut d’abord se faire « intégrer », c’est à dire « bizuter ». La jeune femme en garde un souvenir amer :
« Tout a commencé par une chaîne métallique qu’on m’a mise autour du cou. Je n’avais pas donné mon accord, mais je n’ai pas refusé non plus. Je me suis dit que j’allais jouer le jeu. On me l’a ensuite attachée avec un cadenas avant de me scotcher les bras, puis de me scotcher à ma voisine. Le but c’était qu’on marche comme un troupeau en plein centre-ville. Quand les anciens faisaient trébucher un membre du groupe, on se cassait tous la figure. On nous a donné des gages du style : « Enlève ton haut, bois cinq verres, montre tes fesses… ». C’était la seule solution qu’ils nous proposaient pour qu’on puisse être libérés. A ce moment j’ai compris que ça allait trop loin. J’ai tout stoppé et je suis rentrée chez moi, mais la majorité a continué ces épreuves jusqu’au bout. »
Des témoignages rares et difficiles à collecter
Les témoignages comme celui-ci sont rares, les étudiants qui l’ont subi ont tendance à minimiser ses impacts. Et ceux qui les commettent n’y voient pas vraiment de mal avant que ça dérape. Depuis l’an dernier, un numéro vert national (0808 800 184) a été mis en place par le rectorat de l’académie de Strasbourg pour que des personnes victimes de bizutages puissent témoigner et demander de l’aide. Mais soit ce numéro est inconnu des victimes, soit il n’y en a aucune, car selon Daniela Vom Scheidt, responsable de la communication de l’académie, aucun appel n’a été reçu depuis sa création dans le Bas-Rhin en 2011 :
« A notre niveau, on ne recense aucun cas. Mais on ne peut pas dire que ça n’existe pas, les étudiants concernés n’osent peut-être pas se manifester. Je ne pense pas qu’ils soient si inhibés. Par ailleurs, les établissements travaillent pour éviter que ce genre de choses ne se produise pas et apparemment, cela fonctionne. »
Ainsi, à l’Ecole de management (EM) de Strasbourg, on ne plaisante pas avec les règles d’intégration. Chaque année, l’équipe pédagogique suit de près l’organisation de l’accueil des nouveaux étudiants. Louis Combis, le président des élèves, confie :
« Le bizutage n’existe plus ici. A la place, il y a un week-end d’intégration, conçu pour que les élèves apprennent à se connaître. A l’Ecole de management, le réseau compte beaucoup donc l’objectif est que les premières années rencontrent un maximum d’étudiants des années supérieures. Ça crée une cohésion de groupe et ça permet aussi d’installer une bonne ambiance dès le départ. Ces dernières années, on n‘a pas eu de souci majeur, les rares qui ont tenté de dépasser les bornes ont été inscrits sur une liste noire. »
Ces derniers sont toujours invités à participer aux soirées, mais sous l’œil d’adultes encadrants formés à la sécurité. Les défis à la noix existent toujours, mais contenus dans une ambiance bon enfant. Par exemple cette année à l’EM, les jeux collectifs consistaient à se tremper dans l’eau, avant de s’enduire de farine. Rien de très malin, mais les organisateurs doivent s’assurer que tous les participants sont vraiment volontaires, que personne ne s’est senti obligé de participer sous la pression collective.
Les écoles acceptent de participer à l’organisation et de financer en partie les séjours d’intégration car, en retour, les étudiants organisateurs doivent leur rendre des comptes. A ce propos Théo Haberbusch, le directeur de la communication de l’EM, déclare :
« On n’est jamais à l’abri de dérapages. C’est pourquoi on ne les laisse pas livrés à eux-mêmes. L’école prend en charge toute la partie sécurité : les locaux, des adultes formés, des secouristes… »
A l’école de communication européenne (ECS), les promotions sont mélangées dès le deuxième jour. La semaine d’intégration est définie par les responsables pédagogiques comme un « bizutage intelligent ». Pendant plusieurs jours, c’est la « créativité des étudiants » qui est mise à profit. Au départ un peu surpris, ils rentrent vite dans le jeu, selon Luc Buckenmeyer, directeur de l’école :
« C’est la première fois qu’on fait les choses de cette manière. L’an passé, ils ont mis un temps fou à se connaître. Le premier jour les promos sont séparées, mais dès le deuxième ils sont tous mélangés. On sent tout de suite la différence. À l’intérieur de l’école on n’accepte aucune boisson alcoolisée, mais ils passent une soirée en boîte tous ensemble. Et le lendemain matin, ils doivent tous être opérationnels et au travail. »
Quelques extraits de la semaine d’intégration à l’ECS
Même son de cloche du côté des universités. Thibaut Klein, représentant de l’Afges (association fédérative générale des étudiants de Strasbourg) est clair au sujet du bizutage :
« On est dans toutes les actions de rentrée ou presque et on a un grand rôle dans la prévention. A chaque fois, on fait un rappel à la loi et on leur donne aussi le numéro vert SOS Bizutage. La semaine de pré-rentrée, c’est pour apprendre à connaître le campus et les autres étudiants, pas pour se faire humilier. Elle se fait en partenariat avec le doyen et l’équipe pédagogique. »
Une des grandes différences entre l’enseignement supérieur privé et public réside dans le budget accordé aux bureaux des étudiants pour l’organisation de soirées. Ce sont 800 euros, pas plus, qui sont investis dans chaque amicale à l’année. Sur les dépenses totales, cela ne représente pas grand-chose.
Des soirées désormais très encadrées
Victorien Brion, le président de l’amicale des étudiants en pharmacie, estime néanmoins que la présence des associations étudiantes dans les soirées est indispensable :
« Le fait que ce soit des associations comme la nôtre qui organisent les soirées de pré-rentrée, c’est indispensable. On occupe un espace qui, s’il était vide, laisserait place aux débordements. A chaque fois, on installe des stands Sam pour éviter aux étudiants sous l’emprise de l’alcool de repartir en voiture. Si ils jouent le jeu en acceptant de laisser leurs clés ou leur permis à l’entrée, on finance toutes les consos. Cette année, la soirée a eu lieu à la Mezzanine of London, on n’a relevé aucun incident.
Dès le prochain évènement, la préfecture nous fournira des éthylotest électroniques, on pourra encore mieux évaluer les taux d’alcoolémie à la sortie. L’alcool est très souvent de la partie quand ça dégénère. Le phénomène qui est inquiétant en ce moment, c’est le binge drinking, cela consiste à boire le maximum d’alcool en un temps limité. Il nous arrive d’être confrontés à ça en soirée. Certains arrivent à 1 h du matin et sont déjà bien morts. Pour tout ce qui est sévices, à titre personnel je trouve qu’il y a eu une vraie prise de conscience dans le milieu étudiant. La dernière plainte qu’on a eue en pharmacie remonte à six ans en arrière, et ça concernait une histoire de sac poubelle sur la tête. »
Comme 178 associations en France, l’Afges et les amicales qui y sont rattachées ont signé la charte nationale des soirées étudiantes, créée par la Fage (Fédération des associations générales étudiantes) en 2007. Les signataires s’engagent à sensibiliser les étudiants aux dangers qu’ils peuvent rencontrer en soirée. C’est dans ce cadre que des volontaires ont pu apprendre à se servir d’un défibrillateur et être formés au secourisme dès le deuxième jour de pré-rentrée. Pour participer aux jeux, défis et aux visites guidées collectives, il faut absolument être signataire de cette charte, ce qui implique de se tenir à carreaux.
Aller plus loin
Sur Le Parisien Etudiant : Bizutage, interdit mais toujours au programme
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