Elle devient « avenue » en 2006, peu avant la mise en service du tram C jusqu’à la nouvelle station Rodolphe-Reuss, qui désenclave en 2007 ce quartier sud de Strasbourg. La « chaussée » (1861) puis la « route » (1875) du Neuhof relie la route du Polygone à Neudorf (qui s’arrête à la voie ferrée) aux routes de la Ganzau et d’Altenheim, où débute le quartier ancien du Neuhof. Entre les deux, longtemps, il n’y a eu que des champs.
« De tous les faubourgs de Strasbourg, le Neuhof est, avec la Robertsau, le plus ancien », apprend-t-on dans l’ouvrage publié par la Coprur en 1996, « Neuhof, un village aux portes de Strasbourg ». Situé dans la plaine inondable du Rhin et recouvert d’une épaisse forêt, le Neuhof (notre actuel Neuhof-village), encore inhabité, appartient aux puissants seigneurs de Lichtenberg, qui le vendent en 1370 à plusieurs familles bourgeoises de Strasbourg.
La première mention du nom Neue Hoff (ou « nouvelle ferme ») apparaît en 1424, indiquant la création d’une ferme et de son domaine, dépendant d’un village outre-Rhin disparu aujourd’hui, situé entre Kehl et Marlen.
Le Neuhof, un village de « manants » et de religieux
La ville de Strasbourg rachète peu à peu les confettis de terres et devient seule propriétaire du domaine en 1647. À cette époque, le site n’héberge que des ouvriers agricoles, des orpailleurs (chercheurs d’or dans les bras du Rhin) et des pêcheurs de saumons. En 1699, les Jésuites rachètent à leur tour ces terres à la Ville. Peu à peu, naît le village du Stockfeld ou « champ gagné sur la forêt ». Au XVIIIe siècle, (le) Neuhof comprend 500 âmes, des « manants » (Schirmer), jouissant de la protection de la Ville, mais trop pauvres pour acheter le droit de bourgeoisie. Des citoyens de seconde zone, en somme.
En 1776, la municipalité partage en 80 lots tout le pâturage communal sur le terrain où se dressent aujourd’hui le Quartier Lizé et l’hôpital militaire Lyautey. Les manants y cultivent céréales, chanvre et tabac. Au XIXème siècle, à la faveur de la dissolution de l’ordre des Jésuites, les sœurs de Glaubitz, fondatrices de la congrégation des Sœurs de la Croix, installent au nord du village leur maison pour jeunes délinquantes, puis l’institut pour sourds-muets, qui s’y trouve encore. Les liens se resserrent entre Strasbourg et cette banlieue sud, avec une ligne de tramway inaugurée en 1885 (électrifiée en 1896).
En 1910, tandis que décision est prise d’installer au Neuhof des habitants délogés par la grande percée de la rue du 22-Novembre, entrainant la création au sud du Stockfeld de la première cité-jardin de Strasbourg, l’armée s’implante quant à elle durablement dans les champs du Polygone, terrain militaire entre 1720 et 1920.
Le Polygone, terrain de parades militaires et champ de tir
Là, au XIXe siècle, sont organisées des parades militaires – les empereurs français Napoléon III, puis allemand Guillaume 1er y défilent -, des manœuvres et des essais d’armes d’artillerie. Ainsi, le nom « Polygone » provient, comme à Bourges, du polygone de tir utilisé pour ces essais. Vers 1830, on y construit un monument à la mémoire de Jean-Baptiste Kléber, général sous la Révolution française et durant le premier empire, originaire de Strasbourg. Ce monument est détruit par l’armée allemande durant la Seconde Guerre mondiale.
Dans les années 1900, le terrain militaire du Polygone est également utilisé pour des essais aéronautiques. Certains pionniers de l’aviation y font voler les premiers aéronefs – plusieurs rues du quartier portent d’ailleurs les noms d’aviateurs célèbres, tels Roland Garros, Jean Mermoz, Louis Blériot (côté Musau) ou, bien sûr, Antoine de Saint-Exupéry, qui passe à Strasbourg son brevet de pilote en 1921, lors de son service militaire. Il fait alors partie d’une unité d’avions de chasse, l’escadrille des Cigognes.
Au bord des pelouses de l’aéroclub, les HLM
Depuis 1935 et l’ouverture de l’aéroport de Strasbourg-Entzheim, le terrain du Polygone, rogné par l’urbanisation au nord et à l’ouest, est réservé à l’aviation de loisir, avec ses cours de parachutisme, de vol à voile et de vol moteur, chapeautés par l’Aéroclub Polygone67. Alors qu’à l’est du terrain, l’armée reste présente dans le Quartier Aubert-de-Vincelles, et qu’au nord, le nouveau dépôt CTS est inauguré au milieu des années 2000, à l’ouest, entre l’avenue du Neuhof et les pelouses du Polygone, s’étendent la cité des Aviateurs (2003), récemment rénovée par CUS Habitat, et celle des Musiciens, encore en construction, édifiée par Domial. Là, des familles de tziganes sédentarisées constituent une population encore à part.
Cependant, l’armée n’a pas pour autant quitté le quartier. En progressant sur l’avenue du Neuhof, du nord vers le sud, l’on en devine sa présence, imposante, en longeant le mur des Quartiers Lyautey, puis Lizé. Sur ce terrain de 5 hectares, est édifiée une caserne d’artillerie entre 1910 et 1913. Mise à contribution financière par l’empire allemand, la ville de Strasbourg en supporte la charge de la construction, à partir des plans conçus par le même architecte que celui de la cité-jardin du Stockfeld, Edouard Schimpf.
De la Neue Feldartillerie-Kaserne à l’Eurocorps
S’y installe d’abord un régiment d’infanterie allemand. En 1918, le ministère français de la Guerre en prend le contrôle, le baptise Quartier Lizé et y installe son 2e régiment d’aviation de chasse (la fameuse escadrille des Cigognes), dont le terrain d’aviation du Polygone est la base opérationnelle. En 1933, l’ensemble est divisé en deux : la partie sud conserve le nom de Quartier Lizé, tandis que la partie nord devient le Quartier Lyautey. En 1945, ce dernier devient l’hôpital de campagne de la 1ère armée, puis accueille, après-guerre, de nombreuses spécialités hospitalières. Dans les années 1990, l’éventail de soins s’élargit aux patients civils.
Le Quartier Lizé accueille quant à lui depuis 1993 l’Eurocorps (Corps européen de défense) et son bataillon de soutien multinational. L’ensemble des bâtiments a été restauré à cette occasion et de nouveaux logements ont été construits. Le Quartier Aubert-de-Vincelles, de l’autre côté du terrain d’aviation, fait également partie de l’ensemble.
4 000 logements sociaux dans les années 1950-70
En face des Quartiers militaires, entre les stations Saint-Christophe (du nom de l’église construite dans les années 1960) et Rodolphe-Reuss, s’étend depuis les années 1950-1970 la cité du Neuhof-Polygone. Toute la partie agricole au nord de village est ainsi entièrement urbanisée et connaît, tour à tour, chacun des avatars de l’architecture fonctionnaliste.
Avec plus de 4 000 logements sociaux, le Neuhof double sa population et devient la plus forte concentration d’HLM de l’agglomération. On peut lire sur le site de la ville de Strasbourg :
« Depuis 1977, les cités ont connu toutes les procédures de la Politique de la Ville qui ont contribué à la réalisation d’équipements, à l’aménagement d’espaces publics et à la réhabilitation des immeubles, sans cependant réussir à ancrer le quartier du Neuhof dans la dynamique de développement de l’agglomération. La rénovation urbaine, engagée au début des années 2000, dans le cadre du grand projet de ville (GPV) et prolongée à travers la convention signée avec l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), marque un tournant dans l’histoire du quartier. »
Les millions de la rénovation urbaine
Ces 10 dernières années, la transformation du quartier à coups de millions d’euros, dans le cadre du plan de rénovation urbaine (PRU), est effectivement visible : les espaces publics ont été réaménagés, de nombreux logements sociaux rénovés, de nouveaux équipements construits, tel l’espace culturel Django-Reinhardt.
Aux beaux jours, c’est flagrant : le quartier a verdi, les parcs de jeux d’enfants se sont multipliés et leur végétation densifiée, de nouveaux bâtiments, espoir de mixité sociale, sont en cours d’édification. Le blanc du neuf, allié au vert des pelouses et places arborées, sont les nouvelles couleurs d’un Neuhof qu’on voyait plutôt au début des années 2000 tout en gris – revoir cette vidéo INA post-Saint-Sylvestre, datée de 2001.
Même la mairie de quartier a fait peau neuve. Initialement installée place de Hautefort, au cœur de la cité, elle a déménagé en 2008 dans la villa Reuss, à l’extrémité sud de l’avenue du Neuhof, au nord du village. La villa, construite aux alentours de 1800, a longtemps appartenu à la famille Reuss, dont est issu l’historien Rodolphe, qui a donné son nom à l’allée et à la station de tramway. Mairie et annexe sont aujourd’hui entourées d’arbres, dans ce qui devient progressivement le centre du Neuhof, trait d’union (espéré) entre village et cité.
La rubrique « Au bout de la rue, la ville » reprendra en septembre. Après ces 8 premiers « numéros », je me dois d’adresser un grand merci aux bénévoles d’Archi-Strasbourg pour leur impressionnant quadrillage du terrain, aux bibliothécaires de la salle du patrimoine de la Médiathèque Malraux pour leur gentillesse et leur professionnalisme, aux éditions du Verger pour leur permission de puiser dans l’indispensable « Dictionnaire historique des rues de Strasbourg » et à tous les autres, amoureux de leur ville et de son histoire. Bel été à tous !
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