Difficile de savoir où commence la Musau, à Strasbourg. Immédiatement après le nouveau quartier du Bruckhof ? Ou au-delà de la voie ferrée qui vire vers Kehl, là où la rue de Soultz devient rue de la Musau ? Dans le doute, et parce que les habitants qui vivent au sud de l’avenue Aristide-Briand et à l’est de la rue de Fréland se disent Musauviens, l’affaire est tranchée : nous prenons la Musau dans sa version extensive, de la station de tram Aristide-Briand au nord à l’aérodrome du Polygone au sud, et du Ziegelwasser à l’ouest à la rue du Havre à l’est.
Un quartier dans le quartier de Neudorf
Mal connu, ce micro-quartier est rattaché administrativement à celui de Neudorf et compte environ 3 000 habitants, sur les quelque 39 000 du secteur Neudorf-Musau. Une grande part des 3000 Musauviens vit dans trois grands ensembles : ceux de la rue de Soultz, une copropriété privée baptisée en 1970 La Porte du Soleil côté Ziegelwasser, et des HLM côté rue de Gerstheim ; et la cité Ampère (ou « des Ampères »), construite en 1976 dans le secteur Wattwiller, au sud du quartier.
Autour des rues de la Poutrelle et du Maquis, en revanche, s’alignent des maisons individuelles et des petits collectifs, datant soit de la fin XIXème – début XXème, soit des années 1930. Ces deux rues correspondent à la « parcelle des Lombards » (Lumpertswoerth), propriété de la famille patricienne Lombart dont l’orthographe varie selon les sources. Le nom « Poutrelle » viendrait quant à lui du pont et d’un barrage disparus, formant un déversoir du Ziegelwasser et appelé Poutrellebrickel. Toute proche, la rue de l’Ancienne-Digue, récemment urbanisée, évoque une même topographie lacustre…
Dans un fouillis de bras du Rhin indompté
Rares sont les constructions plus anciennes. Et pour cause : jusqu’au XIXème siècle, la Musau est presque complètement sous les eaux. Sur le plan relief de Strasbourg de 1725, le hameau apparaît à peine dans un fouillis de bras du Rhin indompté, avec quelques stries correspondant à des canaux de drainage, en alternance avec des marais et des espaces cultivés. C’est d’ailleurs ce que sous-entend le suffixe Au qui désigne « un terrain humide périodiquement inondé, herbu, souvent utilisé comme pâturage ». Si inondé que les habitants étaient contraints, raconte-t-on, à l’occasion des crues du Rhin et l’Ill, de porter des échasses pour rejoindre la Ziegelau !
Péage pour les marchandises transitant par le pont du Rhin
Alors que l’origine des noms de lieux-dits est parfois difficile à identifier, plusieurs ouvrages notent que celui de « Musau » ne fait pas débat. Dans le recueil « Neudorf, nouveau village, nouvelle ville » (Archives Strasbourg), on peut lire :
« L’origine du nom Musau semble assez certaine : il y avait une station de péage (Maut) pour les marchandises qui avaient transité par le pont du Rhin. De Mautsau, on est progressivement passé à Musau. »
Même information dans le « Dictionnaire historique des rues de Strasbourg » (Maurice Moszberger, Le Verger, 2012), où l’on découvre que le lieu-dit Musau, ou champ du péage (Mus=Maut=péage) est le nom du secteur correspondant aux rues de la Musau, Ampère, de Murbach, de Rimbach et de Wattwiller, qui n’adoptent leurs dénominations actuelles qu’en 1836 et 1894. Vers 1685, le Maueseturm ou Mautturm, lit-on encore, servait à payer le péage pour traverser le Rhin.
Jusqu’au XIVème siècle, la route du Rhin passe par la Musau
Au XIIème siècle, la route du Rhin, qui n’a pas encore son tracé actuel, permettait effectivement aux marchands de se rendre au « passage supérieur » (Obere Fähre) pour traverser le fleuve, apprend-t-on dans « Aspects de Neudorf », de Georges Schwenck (éditions Oberlin, 1983). Ce passage par bacs et ponts, qui traversait la Musau, est abandonné vers 1500.
Le tracé de la route du Rhin est modifié pour se raccorder au nouveau pont, un peu plus au nord, la Lange Brücke, construit en 1388 et long de 1 400 mètres. C’est à ce moment qu’est construit le Brückhof, un entrepôt de matériel de réparation. Le tracé de la route du Rhin est, à peu de chose près, celui de l’avenue éponyme que l’on connaît aujourd’hui.
Jardins et nouveaux logements sur la ceinture verte
Vers le milieu du XIXème siècle et surtout au début du XXème, les premières maisons pérennes sont construites dans le secteur, tandis que la population du quartier de Neudorf explose. Mais la Musau-sud est bientôt coupée du reste du faubourg d’abord par les voies ferrées vers Kehl (1905) puis vers le port sud (1932), et ensuite, dans les années 1920, par l’instauration de la zone non aedificandi (non constructible) qui fait le tour de Strasbourg (la fameuse « ceinture verte »), d’abord pour des raisons de défense, ensuite dans une visée hygiéniste.
Même si les règles d’urbanisme se sont assouplies en 1990, cette ceinture verte garantit encore à la Musau son caractère semi-rural, avec de vaste prés et aménagements verts. Des jardins familiaux ont été créé en 1933 à proximité du Ziegelwasser « pour le bien-être, l’hygiène et l’éducation de la population », tandis que d’autres s’y sont ajoutés ces dernières années le long de la voie ferrée, à l’occasion de la réalisation d’un nouveau lotissement de 51 logements, construits par le promoteur privé Immobilière des Quais (27 lots) et le bailleur social Habitation Moderne (24 lots).
Le cul-de-sac du champ captant du Polygone
Même la cité Ampère et ses 11 immeubles rénovés en 2011 par CUS Habitat (près de 20 millions d’euros injectés et l’école Ampère rénovée) ne parviennent pas à altérer le calme presque champêtre des lieux. Et ce, du fait que la Musau est un cul-de-sac, fermée au sud par le terrain d’aviation civile du Polygone et le champ captant qui assurait encore il y a peu, et sous haute protection, l’approvisionnement en eau potable de près de 80% de l’agglomération.
Tout au bout de la rue de la Musau, au n°84 que l’on ne peut atteindre qu’en sonnant à l’interphone devant un lourd portail, se trouvent d’ailleurs le service de l’eau de l’Eurométropole. Seules les rues Guynemer et Ampère assurent au quartier des issues, assez confidentielles, vers l’ouest (Neuhof) et l’est (le port).
L’école de la Musau n’est pas à la Musau
A noter encore, pour éviter toute confusion, que les trois écoles successives dites « de la Musau » ne se situent pas dans les limites, certes floues, du quartier : la première, ancienne propriété d’un prêteur royal rue de la Ménagerie, est toujours une annexe de l’école actuelle. La seconde – abritant aujourd’hui le collège Louise-Weiss – rue du Fossé-Riepberg, est le premier bâtiment construit à Strasbourg en 1906 par l’architecte Fritz Beblo (Bains municipaux, église Sainte-Madeleine à la Krutenau, ponts dans la Neustadt…). Et l’actuelle école, rue Saint-Aloïse, a été conçue en 1934 pour accueillir les élèves de la cité Risler. C’est principalement des écoles Albert-Legrand et Ampère que dépendent les petits Musauviens d’aujourd’hui.
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