Pour la première fois depuis que leur utilisation est légale, une préfecture a décidé de permettre aux forces de l’ordre l’utilisation de deux drones pour surveiller le Marché de Noël, tous les jours pendant un mois, et venir « en appui » à son dispositif de sécurité.
Trois avocats dont les cabinets sont situés dans le périmètre de la Grande-Île de Strasbourg ont déposé en recours en référé-liberté contre l’utilisation de ces drones. Ils estiment que les captations vidéos pourraient porter atteinte au secret professionnel qu’ils doivent à leurs clients. La procédure en référé permet d’obtenir une décision rapide, mais qui n’est pas définitive.
Leurs conseils Me Nathalie Goldberg, Orianne Adreini et Florence Dole ont plaidé lors d’une audience tenue jeudi 23 novembre que ces techniques de vidéosurveillance dans le cadre du marché de Noël répondent à une logique « liberticide » et opposent « convivialité et sécurité ». « Ce sont des avocats qui pensent à leurs clients, mais les médecins ou les journalistes pourraient aussi se poser des questions sur ce dispositif », assène Me Florence Dole.
Dans sa décision d’autoriser le dispositif, la juge des référés a estimé jeudi 23 novembre que les conditions de mise en place de vidéosurveillance par drones étaient réunies et participaient à une sécurisation plus efficace du Marché de Noël.
« La juge a également souligné, en réponse aux craintes soulevées par les requérants de détournement des images enregistrées, qu’en dehors de ces objectifs de maintien de l’ordre, l’utilisation des images à d’autres fins était strictement prohibée, à l’exception de la découverte, de manière fortuite, d’une infraction pénale dont la gravité imposerait un signalement au procureur de la République. […] La juge n’a pas retenu d’atteinte grave et manifestement illégale à la vie privée ou au secret couvrant la profession d’avocat. »
Communiqué du Tribunal administratif de Strasbourg, jeudi 23 novembre
Une durée d’autorisation inédite
« La durée autorisée de survol de drones, de 11h30 à 21h entre le 25 novembre et le 23 décembre est sans précédent », a expliqué Me Nathalie Goldberg pendant l’audience.
« Lors des manifestations pendant lesquelles les drones ont déjà été utilisés, les manifestants savaient quel secteur était surveillé et pouvaient choisir en conséquence de participer, ou non, aux protestations. Cette fois-ci, l’usage des drones concerne un périmètre extrêmement large (toute la Grande-Île, la gare et ses abords, NDLR) et s’immisce dans le quotidien des habitants de ce secteur, tous les jours, pendant un mois. Cela constitue selon nous une atteinte au droit à la vie privée et familiale, pourtant consacré par l’article huit de la Convention européenne des droits de l’Homme. »
Me Oriane Andreini
Depuis le décret d’application de la loi sécurité globale, paru le 19 avril 2023, six finalités permettent aux forces de l’ordre de demander l’autorisation de capter des images de vidéosurveillances embarquées sur des drones. Parmi elles, « la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés », « la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique » ou encore « la prévention d’actes de terrorisme ».
Selon le code de la sécurité intérieure, le recours aux drones doit être proportionnel et représenter une nécessité absolue pour atteindre le but recherché. « Quelle est la plus-value de l’utilisation des drones dans le dispositif de sécurité de 2023 ? Qui pourra consulter les images ? Comment sont-elles stockées ? », questionne Me Goldberg.
Les dérives potentielles listées par les requérants
Au fil de l’audience, les conseils des requérants ont illustré les dérives qui pourraient découler de la captation d’images par des drones :
« Des images aériennes permettent d’étudier non seulement les flux de personnes, mais aussi d’identifier des comportements d’individus, donc d’obtenir des renseignements sur un individu en fonction de ses déplacements. D’autant plus que la préfecture interdit aux visiteurs de se dissimuler le visage. »
Me Florence Dole
Interrogé par la magistrate, Me Laurent Gabalda, conseil de la préfecture du Bas-Rhin, a précisé la hauteur de vol des objets et le cadre de leur utilisation :
« Ils doivent voler à 120 mètres de haut au moins, 300 mètres au plus. En gros, on ne voit que des cranes sur les images. De toutes façons, les drones sont là pour porter assistance aux forces de sécurité au sol. Ils permettront une intervention plus rapide. »
Afin de prendre sa décision, la juge des référés a demandé à la préfecture des éléments supplémentaires permettant d’estimer la précision des images qui pourraient être capturées. Dans sa décision, elle estime que dans les conditions d’emploi, les visages ne seront pas reconnaissables sur les vidéos captées. Me Goldberg a précisé vouloir plus d’information sur le logiciel de traitement des images, supposément supprimées 48 heures après leur captation si aucune autorité judiciaire n’en a demandé la conservation.
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