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Donner du sang, contempler des œuvres et voir des gens, des « moments volés » au Musée d’art moderne

200 personnes étaient inscrites à la collecte de l’établissement français du sang ce lundi 12 avril. Au-delà de l’acte citoyen, les donateurs ont apprécié cette petite parenthèse pleine d’œuvres d’art et de rencontres.

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Donner du sang, contempler des œuvres et voir des gens, des « moments volés » au Musée d’art moderne

« Quand je vois les gens agglutinés au Cora, je pense toujours au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg (MAMCS). Ici, c’est beaucoup plus spacieux. Je n’attends que la réouverture. » Catherine Mog est ravie ce lundi 12 avril. Médiatrice culturelle depuis 25 ans, cette guide-conférencière souffre de voir son établissement culturel favori fermé depuis la fin du mois d’octobre 2020. Mais ce lundi, le MAMCS accueille une collecte de l’Établissement français du sang (EFS). Avec enthousiasme, Catherine accompagne les donateurs au milieu des tableaux de Claude Monet, Alfred Sisley ou encore Henri Matisse.

Catherine accompagne les donateurs au milieu des tableaux de Claude Monet, Alfred Sisley ou encore Henri Matisse. Photo : Rue89 Strasbourg

« Pourquoi ne peut-on pas prescrire une visite au musée ? »

Première arrivée devant le portail du musée, Florence entre dans l’établissement à la recherche d’une « stimulation intellectuelle ». Lassée de lire et d’enchaîner les séries Netflix, l’infirmière de 44 ans a donné de son sang avant de contempler l’œuvre monumentale de Gustave Doré, « Le Christ quittant le prétoire ». Devant cette peinture de neuf mètres de haut sur six de large, la soignante aux urgences pédiatriques éprouve une sensation agréable : « Ça me détend de m’asseoir dans un musée, j’ai l’impression de voyager en dehors de mes quatre murs. »

Devant l’oeuvre monumentale de Gustave Doré, « Le Christ quittant le prétoire » Photo : Rue89 Strasbourg

Avant de s’allonger le bras tendu aux côtés d’une machine de prélèvement, Florence s’est nettoyée les mains avec du gel hydroalcoolique. L’infirmière a aussi reçu un masque chirurgical neuf avant de patienter devant un marquage au sol indiquant chaque mètre de distance. Après avoir rempli un formulaire et suite à un échange avec un médecin, la soignante a donné 500 millilitres de son sang. De quoi sauver trois vies, comme l’avance l’EFS, grâce aux plasma, globules rouges et plaquettes qui seront transfusés séparément. Le dispositif en place pour respecter les mesures sanitaires rassure la soignante :

« Je trouve dommage qu’on ne puisse pas accéder aux musées en dehors de cet événement. Avec le masque et la jauge appliquée ici, je ne vois pas le problème. Des gens ont le droit de faire du sport sur prescription, pourquoi ne peut-on pas prescrire une séance au cinéma ou une visite au musée ? »

Dans le couloir du MAMCS, transformé en centre de collecte de sang temporaire. Photo : Rue89 Strasbourg

Du sang, de l’art et du lien social

Même volonté de briser la monotonie en période de restrictions sanitaires chez Paul. Ce cadre commercial pour un fournisseur pharmaceutique télétravaille depuis plus d’un an. Cet habitant du centre-ville de Strasbourg a surtout souffert du deuxième confinement puis du couvre-feu. Pour Paul, cette collecte de sang est apparue comme l’occasion de « faire d’une pierre trois coups » : se montrer solidaire, découvrir un musée et voir du monde.

Au-delà du don du sang et de la contemplation des œuvres, de nombreuses personnes sont venues renouer le lien social. Pour Florence, « ce qui manque le plus, ce sont les relations humaines. » Alors l’infirmière se félicite d’avoir mangé la collation offerte par l’EFS avec une autre donatrice. Médiatrice culturelle, Julie décrit un public particulièrement réceptif cet après-midi : « Globalement, tout le monde est content d’être abordé alors que d’habitude, les visiteurs ne cherchent pas forcément le contact humain. » Au milieu des œuvres de Gustave Doré, Eugen Schönebeck ou encore Myriam Mechita, la guide s’exclame :

« Quel plaisir de revenir ici en face des tableaux. Ça me tient beaucoup à cœur de partager l’amour de l’art en discutant sur cette chose indicible que nous fait l’art dans un espace où la place des œuvres et la lumière nous permettent d’entrer dans un état de contemplation. »

« C’est comme un moment volé qu’on vit là »

Un gros sac à dos dans la main droite, Basile a dévoré des yeux les tableaux d’Henri Matisse et Claude Monet. L’étudiant en médecine a bu les paroles de la médiatrice Catherine Mog, présentant les sculptures de François-Ruppert Carabin. Elles sont à la fois classiques comme un visage de femme portant une coiffe alsacienne, mais aussi subversives avec deux chats en pleine copulation. Cet assistant de recherche d’origine belge adore se confronter à la sensibilité d’autres personnes par l’art. Cet après-midi, il s’amuse aussi face à ce musée transformé en centre de collecte de sang : « C’est très rigolo, on dirait que c’est un prétexte pour un acte de résistance. C’est comme un moment volé qu’on vit là. »

Devant les sculptures de l’artiste alsacien François-Ruppert Carabin. Photo : Rue89 Strasbourg

Le musée, une porte ouverte au retour à la création

Dans le long couloir principal du musée, la directrice du MAMCS, Estelle Pietrzyk, ne cache pas son plaisir mêlé d’étonnement face au personnel médical en blouse blanche. Avec son téléphone portable, elle photographie les douze donateurs allongés le poing fermé, détournant souvent le regard du tube où passe leur sang. Après avoir vu l’exposition « L’Œil de Huysmans : Manet, Degas, Moreau » fermer un mois après son inauguration, elle se félicite de voir son musée retrouver « un rôle dans la cité, grâce à une opération citoyenne et solidaire. » Mais l’ancienne conservatrice décrit une autre responsabilité pour les établissements culturels en période de pandémie :

« Au fil de l’exposition, les médiatrices vont décrire des œuvres réalisées dans un contexte pesant. Certains artistes historiques ont connu les guerres, la crise économique ou la grippe espagnole. Ils ont eu une pulsion créatrice intéressante à observer pour nous aujourd’hui. C’est aussi le rôle du musée d’ouvrir une porte vers un retour à la création. »

Après avoir donné son sang pour la première fois, Chloé profite d’une autre salle ouverte, pleine de peintures impressionnistes, souvent des paysages. L’étudiante en musicologie de 18 ans s’attarde face à une œuvre d’Alfred Sisley, “Les Coteaux de la Celle, vue de Saint-Mammès”. De quoi s’évader pour cette musicienne frustrée par le manque de concert, de cours en présentiel et de répétitions : “Cette collecte au musée, c’est génial. Ça montre que l’on peut toujours faire quelque chose même dans un établissement fermé. Même si la jauge est limitée, ça donne de l’espoir. C’est déjà ça.” 

Un acte de solidarité

D’autres donateurs effectueront une visite bien plus rapide au MAMCS dans l’après-midi. Ingénieure en génie climatique, mère de deux enfants, Charlotte n’a qu’une heure de libre : « Autour de moi, certains ont un besoin de culture. Mais pour moi, là c’est difficile, je me sens submergée de choses à faire qui ne sont pas forcément les plus agréables. »

Marie, 28 ans, connait déjà les œuvres de la collection permanente. Vendeuse, au chômage partiel en ce moment, cette photographe indépendante a surtout souhaité « accomplir un acte de citoyenneté maintenant que j’ai enfin le poids requis pour donner mon sang ». Face à une Alfa Roméo accidentée, œuvre de l’artiste plasticien Bertrand Lavier, le sens de son don de sang se renforce : « Mon frère a eu un accident de voiture le week-end dernier. Heureusement il n’a pas eu besoin de transfusion. »

Les donateurs prennent leur collation devant l’Alfa Roméo accidentée, intitulée « Giuletta », de l’artiste plasticien Bertrand Lavier. Photo : Rue89 Strasbourg

À l’EFS : « On espère bien réitérer l’opération ! »

Dernière étape avant la donation, des médecins interrogent le donateur sur ses antécédents médicaux. Un problème cardiaque les mettraient en danger, tout comme une maladie infectieuse mettrait en danger le destinataire du sang. Éric Hetzel vante une collecte réussie : « Lors d’une collecte classique, dans un village, on a 50 donneurs en une après-midi. Là, aujourd’hui, ce sont 200 personnes qui sont inscrites. »

Responsable de l’Etablissement français du sang (EFS) dans le Bas-Rhin, Sophie Reuter se félicite du succès de l’opération. Pour la médecin strasbourgeoise, “permettre aux donneurs d’avoir un accès exclusif au musée a clairement joué un rôle”. La réussite de la collecte vient à point nommé :

« Avec le covid, les collectes en entreprise et dans les établissements scolaires ont été annulées. La réserve nationale est donc insuffisante. Nous avons 90 000 poches disponibles contre 110 000 nécessaires. On espère bien réitérer cette opération pour accroitre la contribution du Grand Est à la réserve nationale !” 


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