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« On aimerait que la police cherche avec nous » : dix jours après la disparition d’Enzo, la Cité de l’Ill se mobilise

À la Cité de l’Ill, une trentaine de personnes se sont mobilisées mercredi 12 avril au matin pour tenter de retrouver Enzo. L’adolescent de 17 ans n’a pas donné signe de vie depuis la soirée du 2 avril, où il a plongé dans la rivière l’Ill pour échapper à un contrôle de la brigade anticriminalité.

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Battue Enzo

Sous une fine pluie et un ciel couvert, Didier attend sur le parking du stade de la Thur, au bout de la Cité de l’Ill. Il a revêtu sa parka jaune fluo et des basket tout terrain pour pouvoir chercher Enzo toute la matinée, même s’il ne le connaît pas. L’habitant de Schiltigheim, ancien pompier et militaire, a un petit-fils du même âge. « Faut qu’on le retrouve le gamin, il a peut-être fait une connerie mais peu importe, personne ne mérite ça », estime-t-il fermement.

Le 2 avril après 23 heures, Enzo circule dans un véhicule déclaré volé, accompagné de deux de ses cousins. Des agents de la bac le repèrent, « décident de procéder à son contrôle », précise la Procureur de la République dans un communiqué daté de mardi 11 avril, avant que les jeunes prennent la fuite, sortent de la voiture rue de la Doller et se dispersent. Ses cousins s’enfuient à pied, Enzo saute dans l’Ill pour « tenter de rejoindre l’autre rive malgré le courant ». Pour les secours « rapidement dépêchés sur les lieux » selon le parquet, Enzo reste introuvable et une enquête pour disparition inquiétante est ouverte. « Les investigations se poursuivent pour déterminer les circonstances de cette disparition et retrouver l’adolescent », conclut la Procureure.

La mère d’Enzo a déposé plainte contre X le 8 avril pour « non-assistance à personne en danger » qui vise « le policier ayant vu son fils se jeter à l’eau sans lui porter secours » – selon ses déclarations et le communiqué du parquet.

Une trentaine de personnes mobilisés

Pour l’instant, la police nationale n’a pas fait circuler d’appel à témoignage dans le cadre de la disparition car « les enquêteurs n’en ont pas fait la demande », précise la communication de la direction départementale de la sécurité publique du Bas-Rhin, à Rue89 Strasbourg. Les personnes réunies mercredi matin ont en fait répondu à l’appel de l’association Icared, créée après la disparition de Sophie Le Tan en 2018.

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Frédéric, Didier et Khadidja repèrent les abords de l’Ill au niveau du stade de le Thur à la Cité de l’Ill en attendant que la battue commence. Photo : CB / Rue89 Strasbourg

« La famille [d’Enzo] nous a contacté il y a quelques jours, on a diffusé un avis de recherche et organisé la battue », explique Khadidja Arratbi, présidente de l’association, téléphone à la main. « Ils voulaient chercher tout de suite car pour eux l’attente est insupportable ».

La présidente fait tout de suite référence à une affaire similaire qui l’a marqué, à Strasbourg. En 2002, deux adolescents surpris en train de cambrioler un entrepôt ont sauté dans l’eau au Port du Rhin pour échapper à la police. L’un d’entre eux, âgé de 17 ans, est décédé deux heures après. Didier garde en mémoire des évènements de 2005, où deux jeunes – Zyed et Bouna – sont morts après s’être cachés dans un transformateur électrique à Clichy-sous-Bois – eux aussi étaient poursuivis par la police.

L’appel pour la battue a finalement réuni une trentaine de personnes mercredi 12 au matin. Parmi les bénévoles venus tenter de retrouver Enzo, Constance est venu accompagnée de sa chienne. Lana-Piranha est une malinoise de huit ans formée à la « recherche utilitaire sur personne disparue ». Elle attend l’arrivée de la mère d’Enzo pour lui faire renifler un habit et tenter de pister son odeur dans les environs du cours d’eau. Constance habite le quartier depuis plus de 40 ans et lorsqu’elle a vu passer l’appel pour la battue, elle a tout de suite décidé de se mobiliser. « Il faut absolument être là pour soutenir la famille et les aider à chercher, ça peut arriver à n’importe qui ».

« On est une grande famille »

Dès 10 heures, la famille arrive petit à petit au parking du stade de foot. Les sept oncles et tantes se sont déplacés ainsi que la mère d’Enzo, accompagnée de cousins et de cousines. « On est une grande famille », sourit l’une d’elles, capuche de fortune sur la tête. « C’est pas la première fois qu’on cherche dans le coin, mais c’est la première fois qu’il y a un chien », précise un oncle. Tous se saluent, entre eux mais aussi avec les bénévoles venus là sans connaître la famille. Les mercis fusent et l’émotion plane.

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Lana-Piranha est une chienne malinoise de huit ans, formée à la « recherche utilitaire sur personne disparue ». Photo : CB / Rue89 Strasbourg

Manon et Selen se tiennent un peu en retrait. Les adolescentes habitent la Cité de l’Ill et n’ont pas école. « Bien sûr qu’on est venues, il faudrait que tout le monde soit là », tonne Selen. « Mon frère s’appelle Enzo (une coïncidence), ça fait dix jours que tout le quartier nous demande comment il va », poursuit Manon. Dans le quartier, « on ne parle pas trop de la disparition, sauf à la boulangerie », estime Manon qui a deux théories. « Soit il se cache parce qu’il a peur, soit il est resté accroché dans l’eau, il y a beaucoup de caddie et des trucs au fond ici », explique-t-elle en baissant la voix.

Peu avant 10h30, la battue commence. Une bénévole distribue des gants de plastique et Lana a senti un vêtement d’Enzo, contenu dans un sac en plastique vert. Elle s’élance sur le sentier longeant l’Ill, suivie de toute la famille de l’adolescent disparu. Un peu en retrait, un oncle soupire. « J’aimerais voir les policiers et les pompiers chercher avec nous », glisse-t-il. L’homme est traumatisé et peine à comprendre ce qui se passe. Son meilleur ami se tient proche de lui pour l’aider à faire face à la dizaine de journalistes présents sur le parking. « J’espère le retrouver vivant, ou juste avoir une trace de lui. Là, on a rien pour se raccrocher, je me force à manger et sa mère fait des crises d’angoisse », poursuit-il.

« Évidemment qu’il a eu peur de la police »

Jamais Enzo n’est resté si longtemps sans donner de nouvelles à ses proches. « Au moins sa petite soeur et son frère, ils sont très proches, ça ne lui ressemble pas », explique un autre oncle en suivant le groupe, lunettes de soleil sur la tête. Tout en évitant les flaques, il revient sur les circonstances de la disparition. « Évidemment qu’il a eu peur de la police, on a toujours peur de la police même si on n’a rien fait, surtout si elle vous poursuit » lance-t-il. « C’est pas normal ce qui s’est passé ».

L’homme dit avoir fait dix ans de prison. « Donc c’est pas ça qui lui faisait peur, il sait que la prison, on en sort », poursuit-il, « je ne vois pas pourquoi il se cacherait encore aujourd’hui ». Toutes et tous se demandent pourquoi personne, le soir même, n’a aidé Enzo à sortir immédiatement de l’eau. Pendant ce temps, un petit bateau de la protection civile parcourt l’Ill, sans s’arrêter.

Après une centaine de mètres de recherches, Lana marque une longue pause au bord de l’eau. « Il faut passer de l’autre côté de la rivière », estime une bénévole. Le petit groupe retourne au parking au pas de course et embarque en voiture. Une fois passé de l’autre côté de l’Ill, à cinq minutes de route, tout le monde ressort, guidé par Constance et son chien.

« On ne peut pas se raviser »

À travers une prairie aux hautes herbes, la mère d’Enzo mène la marche, suivie par les oncles qui appellent Enzo dans plusieurs langues. Certains ont les chaussures qui s’embourbent et le bout des doigts fripés. Entre les jardins privatifs et les barrières qui empêchent d’accéder à l’eau, le groupe se disperse. Lana ne suit plus de piste mais la famille continue de chercher. « On ne peut pas se raviser », explique la cousine tout en tenant une branche pour s’engouffrer dans un sous-bois.

Vers midi et demi, certains bénévoles retournent à leurs voitures. « Ça fait deux heures qu’on cherche, le chien est fatigué, il faut revenir une autre fois », estime l’un d’eux. Sous son parapluie transparent, Élisabeth acquiesce. Elle habite la Cité de l’Ill depuis sa naissance, en 1965. « On en parle surtout sur les réseaux sociaux, de la disparition », explique-t-elle.

Battue Enzo
Pour se rapprocher de l’eau sur la berge opposée au stade de la Thur, le groupe de bénévole passe à travers un champs aux hautes herbes. Photo : CB / Rue89 Strasbourg

Sa soeur Raymonde, 53 ans, espère que la mobilisation va continuer mais que les commentaires haineux, vont s’arrêter. « On lit partout que c’est bien fait pour lui, ceux qui écrivent ça n’ont aucune humanité », assène-t-elle. « C’est ingrat de juger quelqu’un sans le connaître, ça arrive à Enzo aujourd’hui mais ça peut arriver à n’importe qui demain, je suis écoeurée par tant de méchanceté », complète Élisabeth. « Quand on voit que des internautes traitent Enzo de racaille, on se rend compte que certaines personnes sont déshumanisées », poursuit Frédéric, vice-président d’Icared.

L’association ne sait pas encore quelles seront les prochaines actions pour soutenir la famille, mais est prête à se mobiliser à nouveau pour continuer de chercher Enzo. La famille continue les recherches de côté, et espère avoir rapidement des nouvelles de l’enquête.


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