Les juges n’apprécient pas que leurs tribunaux servent d’arènes politiques. Mercredi, la présidente du tribunal correctionnel de Strasbourg, Isabelle Karolak, a rappelé qu’il s’agissait de faire du droit alors qu’elle avait à juger la diffamation sur Facebook d’un militant mondialiste par un militant nationaliste.
Un psychiatre antiraciste face à un militant du Rassemblement National
Psychiatre, Georges Federmann s’est donné pour mission d’accueillir et d’écouter les sans-papiers, les étrangers ou les migrants quelle que soit leur situation, d’une manière générale tous les exclus, dans son cabinet. C’est une pratique difficile, qui a coûté la vie à sa première épouse et qui lui a beaucoup coûté aussi. À 66 ans, l’homme grisonnant et arborant régulièrement un « judenhut », un chapeau pointu imposé aux Juifs entre le XIIIe et le XVe siècle, s’est néanmoins promis de garder cette flamme allumée. Outre ses combats en faveur de la paix en Palestine, il a repris l’engagement de sa première femme au Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP).
De l’autre côté de la barre, Laurent Husser est un militant d’extrême-droite strasbourgeois. Après avoir officié pour la droite locale, il a rejoint le Rassemblement national puis il est devenu assistant d’eurodéputés frontistes. À 50 ans, il est devenu conseiller politique pour le groupe des eurodéputés nationalistes à Bruxelles.
Au niveau des opinion politiques, tout sépare les deux hommes. En novembre 2019, lorsque Laurent Husser découvre dans les DNA qu’un psychiatre de Strasbourg serait le « pivot d’un réseau de clandestins maghrébins« , il est persuadé qu’il s’agit du Dr Federmann. Il publie sur son profil « Georges-Yoram Federmann est d’évidence un passeur… et une crapule. » Interpellé dans les commentaires sur une possible méprise, Laurent Husser réitère : « Vous connaissez beaucoup de psys de 64 ans magouillant avec les migrants ? J’ai eu affaire à lui dans un ancien temps, ce personnage est un militant d’extrême-gauche dangereux. »
Trop tard pour la rumeur
Manque de chance pour le militant nationaliste, l’article des DNA ne parlait pas du tout du Dr Federmann. Comprenant sa méprise, Laurent Husser efface le message plusieurs heures après sa publication mais trop tard, la rumeur a commencé à se propager jusqu’au Parlement européen, où travaille la compagne du Dr Federmann. Le psychiatre strasbourgeois, qui a appris la calomnie dont il était l’objet alors qu’il commémorait la mort de Véronique Dutriez, a porté plainte pour diffamation.
Devant le tribunal, Laurent Husser a reconnu « une erreur » et il a présenté ses excuses au Dr Federmann. Il a cependant contesté le caractère public de sa publication et les effets néfastes qu’elle a engendrés : de nombreux appels au cabinet du psychiatre, une republication sur le profil public de l’eurodéputée frontiste Virginie Joron commentée avec des menaces à l’encontre du Dr Federmann, et des interrogations au Parlement européen auprès de la femme du psychiatre. Pour le militant nationaliste, cette affaire a été instrumentalisée par le MRAP.
Deux militants du mouvement antiraciste ont été cités comme témoins. Cyril, 38 ans, a ainsi expliqué qu’il suit les personnalités politiques strasbourgeoises, et qu’il prend régulièrement des captures d’écran des propos tenus, afin de constituer « un historique » en cas de besoin. Alfred, 72 ans, a vérifié l’historique de la publication diffamatoire avant d’en informer le Dr Federmann.
« Qu’est-ce qui vous embête chez M. Federmann ? »
Interrogé sur son absence de vérification avant sa publication, Laurent Husser a répondu au tribunal :
« J’ai fait un lien qui n’existait pas. Mais des psychiatres strasbourgeois qui militent pour installer des immigrés en France à Strasbourg, il n’y en a pas pléthore. »
Intervenant pour le Dr Federmann, Me Christine Mengus lui a alors demandé « mais qu’est-ce qui vous embête dans la pratique de M. Federmann ? » « On ne va pas rentrer dans les opinions politiques de chacun », rappelle une nouvelle fois la présidente qui passe la parole au psychiatre. Le Dr Federmann note les excuses du militant nationaliste puis déclare :
« Crapule… Passeur… Ce sont quasiment des compliments en provenance d’un adversaire politique. Mais avec cette procédure, je souhaite avant tout protéger la pratique médicale d’un petit groupe de médecins en faveur des exclus. Le contexte politique m’oblige à relever cette attaque. »
Une décision du tribunal le 1er février
Nouveau rappel de la présidente à se garder d’un débat politique. Me Mengus, également membre du MRAP, se pliera à cette nouvelle injonction dans sa plaidoirie en rappelant que les titres de séjour pour raisons médicales sont « extrêmement compliqués à obtenir et ne concernent que des pathologies très graves. » Elle a demandé 5 000€ en réparation du préjudice subi par le Dr Federmann. Pour le procureur de la République, Alexandre Chevrier, « l’imprudence de Laurent Husser sur Facebook » pourrait bien être doublé « d’un brin de malveillance. » Il a requis 2 000€ d’amende.
En défense de Laurent Husser, Me Marion Nass, a contesté le caractère public de la publication Facebook, rappelé qu’aucun constat d’huissier n’avait été dressé et que les propos pouvaient être tenus dans le cadre d’une controverse politique. Elle a demandé la relaxe pour son client. Le tribunal a mis le jugement en délibéré au 1er février.
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