Les déchets industriels situés dans une ancienne mine à Wittelsheim contamineront la nappe phréatique alsacienne s’ils ne sont pas déstockés. C’est du moins ce que les éléments scientifiques à disposition permettent d’affirmer. Reste à savoir dans combien de temps et dans quelle mesure l’eau potable des sous-sols d’Alsace sera polluée.
Entre 1999 et 2002, la société Stocamine, filiale des mines de potasse d’Alsace (MDPA), a stocké 44 000 tonnes de déchets industriels ultimes dans ses galeries. Celles-ci se trouvent à 550 mètres de profondeur, bien en-dessous de la nappe phréatique rhénane, la plus grande réserve d’eau souterraine européenne. Cette réserve d’eau alimente des millions de personnes en eau en Alsace, en Suisse et en Allemagne.
À l’époque, ce stockage était censé être « provisoire », on parle alors de « réversibilité », avec une durée maximale de 30 ans. Cette activité prit fin de manière précipitée à cause d’un incendie.
Contact « inéluctable » dans 70 à 300 ans.
Entre temps, la société MDPA a changé de position et demande maintenant à pouvoir stocker ces déchets toxiques de manière illimitée. Le rapport de l’enquête publique relative à cette demande terminée fin 2016, fait état de nombreux éléments scientifiques. Elle a été réalisée par des commissaires enquêteurs nommés par le tribunal administratif de Strasbourg. Sa conclusion donne un avis favorable au stockage illimité.
Pourtant, le rapport reconnait que le plus probable est que l’eau de la nappe soit polluée un jour :
« Les remarques et avis précédents, et la faiblesse dans l’exploration du champ du possible (possibilités de déstockage) auraient dû nous conduire à donner un avis défavorable au présent projet. Cependant nous avons la certitude que le temps joue contre l’intérêt collectif et que ce rythme de dégradation tant pour les déchets que pour la mine s’accélère. Nous avons trop peur qu’un tel avis puisse conduire à une nouvelle léthargie dans la conduite du dossier. Le déstockage de déchets solubles polluants doit tout de même être réalisé. »
Conclusion de l’enquête publique, p.108/109
Pour le moment, l’option vers laquelle on se dirige est un déstockage partiel des déchets solubles et un enfouissement définitif du reste des déchets, mais l’incertitude règne car l’État revient régulièrement sur sa décision. Malgré l’enfouissement, une contamination de l’eau « est inéluctable » dit l’enquête (p.17). les déchets industriels seront en contact avec l’eau au bout de 70 à 300 ans :
Un jour, malgré la faible perméabilité de la barrière mise en place, l’eau atteindra le lieu de stockage des déchets par infiltration progressive dans les sous-sols. Elle se chargera alors des substances toxiques entreposées. Les parois de la mine évoluent en permanence, ce qui aboutira vraisemblablement à terme à une lente remontée de l’eau vers les puits de la mine, puis la nappe phréatique. C’est en tout cas le scénario le plus probable.
Une étude incomplète
Le rapport de l’enquête publique conclue que si rien n’est déstocké, la dilution du mercure, seul composé pour lesquels les données sont connues, aboutirait sur une non-potabilité de l’eau de la nappe profonde à proximité du site de stockage d’ici 300 ans. Si 56% du mercure restant est déstocké, l’eau alsacienne resterait potable.
En 2017, 24,16 des 25,70 tonnes de mercure, soit 94% des barils présents, sont déstockées. Au total environ 2 000 des 44 000 tonnes sont remontées à la surface. Cependant, il est bien spécifié dans l’enquête que la composition exacte des déchets « ultimes » entreposés n’est pas connue. D’autres substances hautement toxiques sont présentes comme de l’arsenic, du cyanure ou encore de l’amiante, mais dans des quantités inconnues. Certains composants comme le cyanure pourraient être plus présents qu’initialement estimé.
La combinaison de plusieurs d’entre eux peut aboutir à un « effet cocktail », ce qui signifie potentiellement une plus forte toxicité du fait qu’ils agissent en synergie. L’évolution des composés dans l’eau pourrait aussi aboutir à la formation chimique de dérivés plus toxiques. Ces facteurs incertains ne sont pas pris en compte dans les études.
Communes, associations et citoyens prennent position pour le déstockage
Très critiques, les commissaires enquêteurs expliquent « qu’après des promesses fallacieuses, des engagements non tenus, des fautes techniques indiscutables et une très longue inaction dommageable, il est à peine tolérable que le projet présenté soit incomplet. »
Finalement, une étude de faisabilité d’un déstockage total sauf du bloc incendié a été réalisée par le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) et publiée en janvier 2019. Elle met en évidence qu’une préparation du personnel, qu’un équipement adapté et qu’une réorganisation du travail sur le site serait nécessaire. Jean-Pierre Hecht, mineur retraité de Stocamine et porte-parole de la CFDT des mineurs de potasse, affirme que le déstockage total, bien que compliqué techniquement, est faisable. Le montant de l’opération est estimé entre 200 et 300 millions d’euros.
« Nous ne pouvons plus leur faire confiance »
Les associations et collectifs comme Alsace Nature, Destocamine, CCLV et l’immense majorité des citoyens qui se sont exprimés lors de l’enquête publique ont émis un avis défavorable au stockage illimité. De plus, 8 des 9 conseils municipaux des communes concernées ont donné un avis négatif également. Selon l’analyse des commissaires, la confiance envers les « experts » semble être altérée par l’historique des événements.
Daniel Reininger, président d’Alsace Nature, revient sur cette évolution contrariée :
« Lorsque le projet de stockage a été présenté dans les années 90, on nous avait expliqué que celui-ci ne présenterait pas de risques et qu’il était réversible. Après 3 ans d’activité, un incendie a eu lieu. Maintenant, on nous explique que le déstockage est trop compliqué. Nous ne pouvons plus leur faire confiance, notamment pour les conclusions quant à la toxicité potentielle de l’eau… d’autant plus que les études sont incomplètes. »
« On ne peut pas tout prévoir. »
Yann Flory, du collectif Destocamine, est aussi très critique sur les évaluations de la dilution des éléments toxiques dans la nappe :
« On sait très bien qu’on ne peut pas tout prévoir. C’est incroyable de jouer avec le feu à ce point là. On a déjà pu constater à de nombreuses reprises que les « experts » pouvaient se tromper. Le BRGM a reconnu avoir fait des erreurs pour ce qui est de la diffusion de composés dans la nappe. On devrait juste tout faire pour sortir ces déchets de là, et en urgence. »
Des erreurs de prévisions admises par le BRGM
Effectivement, dans un rapport paru en 2016, le BRGM admet des erreurs de prévisions sur un autre élément, l’évolution de la teneur en sel dans l’eau en provenance des mines de potasse d’Alsace :
« Les observations faites en 2013 puis en 2014 s’éloignent sensiblement des prévisions. Ainsi, à fin 2014, les concentrations en chlorures simulées diffèrent significativement des concentrations observées (par exemple, fortes concentrations en chlorures observées à proximité immédiate des terrils, non prévues par le modèle). »
Ce samedi 23 novembre, une manifestation contre le projet d’enfouissement définitifs des déchets de Stocamine est prévue à Wittelsheim.
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