« Il n’y pas de solution ! Donnez-nous des solutions, nom de Dieu !! » Gueulards, les révoltés de la Neustadt s’égosillent sur leurs sièges. Mercredi 29 mars, depuis les tribunes bondées du Palais des fêtes, les huées tombent en cascade contre les représentants de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg. La maire Jeanne Barseghian (EE-LV) en tête. L’objet de leur courroux : les aménagements sur l’avenue des Vosges qui accompagneront le tramway vers le nord de l’agglomération, parce qu’ils limiteront grandement la circulation des voitures. Face à eux, l’exécutif n’en démord pas et assume d’en finir avec cette artère routière, avec l’appui des partisans du projet. Présents eux aussi en nombre, ils répliquent par des salves d’applaudissements nourries. Avec une synchronisation suspecte.
Éruptive, la réunion publique voit deux blocs opposés se répondre de la sorte durant toute la soirée. Il s’agissait du premier temps d’échange depuis l’annonce récente de grands travaux en prélude à la réalisation d’un tram reliant Strasbourg à Schiltigheim. Deux chantiers en particulier concentrent les critiques, pour leur impact sur la physionomie du quartier. Le premier donnera naissance au Parc de Haguenau, un espace vert de 16 hectares s’étalant sur l’actuelle place de Haguenau, une voie d’accès reliant la M35 aux autoroutes ceinturant l’Eurométropole.
L’autre sujet, hautement inflammable, concerne le passage du tram sur l’avenue des Vosges, précédé d’un allongement des trottoirs et le déploiement d’une piste cyclable, à la place de l’actuelle bande cyclable. De facto, la rue deviendrait quasi-piétonne. S’attaquant à l’un des fiefs de la droite locale, l’annonce a eu l’effet d’une déclaration de guerre.
« Pour les familles, c’est un vrai problème »
Une cinquantaine de riverains opposés à ces aménagements s’étaient déjà réunis la veille, entassés sur les banquettes rustiques du Snack Michel pour affûter leurs arguments. À la manœuvre, le conseiller municipal Jean-Philippe Vetter (LR) et la conseillère départementale Anne Tenenbaum (Horizons). « Je suis très surpris qu’Anne et moi, avec 130€ de budget pour les tracts et nos petits bras, on arrive à organiser une meilleure consultation que la Ville », raille Jean-Philippe Vetter.
Durant la dernière campagne municipale, le candidat malheureux de la droite avait fait de l’avenue des Vosges l’un de ses marqueurs politiques. À l’époque, il s’était mis en scène en défenseur des automobilistes, brandissant un panneau « Retour à deux fois deux voies de circulation » en plein milieu d’un terre-plein. Un coup d’éclat largement relayé à l’époque, comme si le sort de cette seule avenue se confondait avec celui de toutes les voitures. Au centre de la pièce principale du Snack Michel, Jean-Philippe Vetter en remet une couche :
« Je conçois que si on est célibataire, sans enfant, qu’on ne se déplace qu’à vélo et qu’on n’est pas sensible au bruit, ça peut être pas mal d’avoir le tram devant chez soi. Mais pour les familles, ou les personnes à mobilité réduite notamment, le manque de stationnement est un vrai problème. »
Les têtes grises présentes dodelinent pour approuver. Venu écouter l’opposition, le conseiller mobilités de la Ville, Pierre Helwig, désapprouve à l’écart. Quelques instants plus tard, il est rejoint par l’adjoint chargé de la mobilité, Pierre Ozenne, qui débarque en plein milieu de la réunion. Silence dans l’assistance. Après un bref moment d’étonnement, l’orateur de droite reprend son discours. Jurant qu’il n’est pas « anti-tram », il dézingue le coût du projet d’extension qui s’élève à 140 millions d’euros pour un résultat qu’il estime inepte et mal préparé.
L’efficience du tracé mis en cause
Présent dans l’assistance, le conseiller d’opposition Pierre Jakubowicz (Horizons) approuve en silence. En aparté, il détaille sa position :
« Pour moi, ce tracé est une erreur. En passant par l’avenue des Vosges depuis la place de Haguenau, le tram fait un trajet en forme de “L”, pour atteindre le lycée Kléber. Ce détour représente une perte de temps de près de 10 minutes. C’est dissuasif pour toutes les personnes se rendant au Parlement européen, au nouveau quartier Archipel ou au Maillon par exemple. »
L’élu se délecte en rappelant ce qu’il qualifie comme « un raté » des consultations publiques précédant la mise en marche du projet. Trois tracés avaient été proposés ; celui longeant les quais Kléber et Finkmatt était majoritaire. Sans qu’un plébiscite ne se dégage pour autant. « Pour moi c’est un tram zadiste, qui est là pour occuper la surface au sol, reprend Pierre Jakubowicz. Ce n’est ni un projet viable en termes de dépenses publiques, ni en termes de réseau, mais ça leur permet d’atteindre leur objectif politique : piétonniser l’avenue des Vosges. » Le conseiller propose son alternative, en poussant pour le passage par la rue Jacques-Kablé, longiligne, directe, mais bien moins peuplée.
Après avoir fini d’échauffer les esprits des résidents conservateurs de la Neustadt, Jean-Philippe Vetter conclut en enjoignant ces derniers à venir en nombre le lendemain au Palais des fêtes.
« J’assume de proposer une transformation ambitieuse »
À en juger au volume des huées, la consigne est donc bien passée. Chaque mention de l’avenue des Vosges déclenche un tollé. À peine Jeanne Barseghian avait elle touché le micro, qu’une bronca démarrait. Suivi tout de suite d’une acclamation de ses soutiens. Face au public agité, elle réaffirme :
« Les travaux sur l’avenue posent évidemment des questions, mais cette voie comporte son lot de problèmes. Tous les jours, je suis interpellée par des Strasbourgeois sur les problèmes de circulation. L’objectif sera de mieux vivre. J’assume de proposer une requalification. On supprime le trafic de transit sur cette avenue pour l’orienter vers d’autres axes. »
Entre partisans et opposants au projet de piétonnisation, il était difficile de départager un groupe majoritaire. Le débat se déporte jusque dans les rangs du public, où l’on parlemente entre voisins de sièges. Habitant l’avenue des Vosges depuis quelques années, Liora a longuement pris à partie la maire :
« J’ai trois enfants, dont un que je dois déposer à l’école avant d’aller au boulot. Avec la voiture, ça me prend quinze minutes, avec le tram ce sera une heure. Désolé, mais mon choix est clair. »
À quelques rangées d’elle, Ariane se fait réprimander par l’une de ses voisines. « On me demande si j’ai des enfants, comme si on n’était pas légitime pour donner mon avis sans eux. » Cycliste aguerrie, elle se réjouit de l’installation prochaine de pistes cyclables plus sûres, le long de l’avenue :
« Je ne suis pas encartée, j’étais juste là pour soutenir la maire, je trouve le projet utile, et c’est bien qu’elle l’assume. »
Après trois heures d’intenses débats, la salle se vide progressivement. Si le tracé du tram reste inchangé, d’autres réunions publiques auront lieu sur les aménagements ultérieurs. Autant d’occasions futures de s’écharper sur le sort de l’avenue…
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