Ils ont profité de la venue de Nicolas Sarkozy, lors de son meeting à Strasbourg le 22 mars, pour faire du bruit. Ils étaient une quinzaine devant le Hall Rhenus avec des masques blancs, du scotch noir sur la bouche et des cordes de pendu autour du cou, pour démontrer l’état des PME suite à « l’étranglement » des banques. A leur tête, Patricia Koch, gérante d’une petite entreprise d’usinage dans le sud de l’Alsace, elle a créé fin 2011 le le collectif Défense PME et fourmille de projets pour populariser son ras-le-bol des politiques bancaires :
« La prochaine étape sera d’organiser une grande manifestation à Paris, avant les élections présidentielles. Nous allons aussi mettre sous séquestre le paiements de nos charges sociales. Les chefs d’entreprises sont prêts à désobéir et à manifester, pourtant ils n’ont pas cette culture. C’est qu’il y a aujourd’hui une grande colère parmi eux.»
« On nous laisse crever ! »
Marie-Christine Molinet, gérante d’un bureau d’études spécialisé dans les économies d’énergies, à Illkirch-Graffenstaden en fait partie. Elle aussi, laisse exploser sa colère : « Quand les banques ont la migraine, l’Etat intervient. Il a su trouver 589 milliards pour les recapitaliser. Nous, les petites entreprises, nous avons le cancer et on nous laisse crever ! ». Le cancer dont souffrent les PME est le manque de trésorerie. Après quatre années de crise, beaucoup ont préféré puiser dans leurs réserves financières et s’exposer à un déficit plutôt que de licencier leurs salariés, d’autres ont été confrontées à des défaillances de leurs clients. Résultat : les bilans se sont dégradés. Et alors que l’activité a repris en 2011 et que les carnets de commandes sont à nouveau remplis, les banques refusent d’accorder des crédits.
Marie-Christine Molinet détaille l’engrenage infernal :
« L’an dernier, j’ai perdu deux clients qui ont laissé des dettes. Cela a suffit pour destabiliser l’entreprise. J’ai dû licencier 3 personnes sur 6 et aujourd’hui mon entreprise est en redressement judiciaire car les banques ne jouent plus de jeu de la confiance, alors que mon carnet de commandes est plein. Elles nous disent : « on vous prête à condition que vous vous portiez garant personnel. Si vous ne le faîtes pas, c’est que vous n’avez pas confiance en votre entreprise ». Mais ce sont eux qui n’ont aucune confiance dans le tissu des PME ! ».
Un carnet de commandes plein ne suffit pas
Même constat du côté de Traenheim, près de Molsheim, où Jean Wickersheimer gère une TPE de 3 personnes, spécialisée dans l’agencement de cuisines :
« La crise de 2008 a laissé des traces. Notre carnet de commandes a reculé de 30%. Aujourd’hui, il est reparti à la hausse et nous aimerions remplacer une machine qui coûte entre 30.000 et 40.000 euros. Mais la banque ne veut pas nous accorder de prêt tant que nous ne retrouvons pas de fonds propres. Du coup, il nous faudra attendre deux ans ».
Un carnet de commandes rempli n’est pas une garantie suffisante pour les banques, surtout si la société possède un bilan négatif. « Le carnet de commandes est important, mais si le chef d’entreprise ne peut pas l’assumer, il court un risque, et le banquier peut refuser de l’accompagner. Car ce dernier est en droit de se demander quel est l’engagement du dirigeant par rapport à ce risque s’il n’a plus de fonds propres ? Il n’est pas logique de demander au banquier de financer les pertes de l’entreprise », affirme Philippe Jeannel, directeur régional de la Banque de France. Et de rappeler des statistiques générales : une entreprise à un niveau de fonds propres très faible ou à rentabilité négative, voit sa cote Banque de France chuter et sa probabilité de défaillance monter à plus de 10% dans les trois ans. Autant de signes qui n’incitent pas les banques à la confiance.
Des TPE pas logées à la même enseigne que les grandes entreprises
Il n’empêche que la situation est pénible à vivre pour ces petits chefs d’entreprises qui se sont beaucoup investis dans leur projet, comme Marie-Christine Molinet :
« J’ai tellement investi dans mon entreprise que j’ai tout perdu : ma maison, mes économies… Car les banques m’ont demandé des cautions personnelles. Et quand mon bureau d’études va fermer, je n’aurai pas d’allocations de chômage et je n’aurai plus de statut. Mon entreprise c’est comme un enfant de plus. Je me suis investie, j’ai sacrifié beaucoup de week-end et de vacances. Ce qui m’arrive est cruel ».
Les TPE et PME paient souvent très cher leurs besoins de financement et leurs découverts bancaires. « Les taux d’intérêt sont exorbitants. Après la crise, en 2009, nous avons subi un découvert bancaire de 37 000 euros. La banque a accepté de nous accorder un crédit mais à un taux de 15% et en demandant une caution personnelle et une hypothèque sur une partie de nos biens privés », témoigne Jean Wickersheimer.
Le directeur régional de la Banque de France, admet qu’en matière de coût des découverts bancaires, les TPE ne sont pas traitées de la même manière que les grandes entreprises. En octobre 2011, le taux d’intérêt pour les crédits d’un montant inférieur à 15 000 euros s’élevait en moyenne en France à 10,22% contre 2,15% pour un montant supérieur à 1,5 million d’euros. « Mais cela s’explique par le taux de défaillance des TPE, qui est nettement supérieur à celui des grandes entreprises », fait-il observer. Quant au problème des prises d’hypothèques et des demandes de cautions personnelles, il affirme qu’elles varient en fonction de l’environnement économique et de la qualité du dossier examiné. « Il existe aussi des substituts aux cautions personnelles comme Oséo ou des sociétés de caution mutuelles. Ces garanties ont un coût, mais elles évitent la prise de garantie sur les biens personnels », rappelle Philippe Jeannel.
Il invite également les dirigeants à rencontrer leur banquier avant que les difficultés n’interviennent. « Au moins une à deux fois par an ». Car une fois que les problèmes sont là, les relations avec les banquiers deviennent tendues et il est parfois trop tard. Trop tard en effet pour Marie-Christine Molinet qui se rêve désormais salariée. « J’ai été tellement fière d’être chef d’entreprise, et aujourd’hui je suis tellement ruinée que, c’est triste à dire mais je n’ai qu’un souhait : que quelqu’un reprenne mon entreprise et que je devienne salariée ».
Pour aller plus loin :
L’analyse de la Banque de France « Les entreprises en Alsace – Bilan 2011 – Perspective 2012 « .
Sur TF1.fr : le reportage en vidéo.
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