Le numérique à marche forcée dans les lycées du Grand Est, quelques enseignants disent « non. » Une cinquantaine de personnes se sont rassemblées sous les fenêtres de l’hôtel de Région Grand Est au Wacken lundi soir pour protester contre le programme « lycées 4.0 » de la collectivité, qui prévoit de remplacer tous les manuels scolaires par leurs équivalents numériques.
« Nous ne voulons pas de cerveaux plats », pouvait-on lire sur un carton repeint en poste de télévision qu’un participant enfile sur sa tête. « Prof, je ne suis pas un numéro IP », clame un autre écran plat dessiné au feutre.
La fronde ne date pas d’hier. En 2017, la Région Grand Est a sélectionné 50 lycées, dont 13 en Alsace, pour tester la numérisation des manuels scolaires. À l’époque, l’expérimentation interrogeait déjà une partie des enseignants et des parents d’élèves.
Après deux ans d’expérimentation et malgré un certain scepticisme, le dispositif doit être élargi à toute les classes de seconde dès la rentrée 2019. Plus de 24 millions d’euros ont été programmés afin de commander 100 000 ordinateurs qui pourront être mis à la disposition des lycéens. Selon Lilla Merabet, vice-présidente de la Région Grand Est en charge du numérique, c’est un gain pour les familles :
« Les livres changent tout le temps, il faut toujours en acheter de nouveaux et cela a un coût énorme. Là, le matériel informatique est pris en charge par la collectivité et c’est une chance notamment pour les familles qui n’ont pas de gros moyens. »
« Dialogue de sourd »
Pour le syndicat FO, représenté par son secrétaire Hervé Gourvitch, tout mégaphone dehors, la décision de généraliser la numérisation des manuels est inacceptable :
« Nous demandons l’arrêt complet de cette expérimentation du numérique dans les lycées. Aucun bilan n’en a été tiré avant qu’elle soit généralisée à tous les établissements de façon autoritaire. »
Beaucoup d’enseignants affirment n’avoir jamais été consultés suite à l’expérimentation et n’ont trouvé personne à qui adresser leurs conclusions. Séverine Charret, responsable au syndicat SNES-FSU, déplore un manque de consultation et un « dialogue de sourds » :
« Au début de l’expérimentation, nous avons demandé à y être associés, nous avons envoyé des lettres, envoyé des interpellations, boycotté des réunions… mais nous n’avons eu de réponses ni de la part de la Région ni de la part du Rectorat. »
Regarder des séries au fond de la classe
D’autres personnes présentes pointent également les risques sur la santé et sur la concentration des élèves. Elles s’attristent également de la disparition du papier. Lilla Merabet tient à rassurer :
« On va vers une dématérialisation des livres. Les élèves auront toujours leurs cahiers et continueront à prendre des notes, à rendre leurs devoirs à l’écrit. »
Les élèves, eux, ont l’air plutôt sceptiques. Louise, élève de seconde au lycée Marie-Curie aborde fièrement un badge Youth For Climate Strasbourg. Pour elle, l’impact environnemental du numérique mérite que l’on s’y attarde d’avantage avant de clamer « que c’est plus écolo que le papier ». Elle pointe aussi un autre risque pour les élèves en possession d’un ordinateur ou d’une tablette:
« Je le sens, beaucoup se mettront au fond de la classe et regarderont leurs séries ! »
Adèle et Guillemette, en première au lycée Marie-Curie, s’indignent :
« Personne ne nous a demandé notre avis. On nous a juste dit : “l’an prochain, vous aurez des ordis !” Mais… non… moi je n’ai pas envie ! Et malgré tous nos arguments, écologiques notamment, on nous l’impose. »
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