Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Des emplois d’avenirs qui ne trouvent pas preneurs

La Mission locale pour l’emploi a encore de quoi financer plus de 800 emplois d’avenir en Alsace. Problème, personne n’en veut vraiment.

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Une réunion de travail chez Novartis... Tout ça a l'air extrêmement sérieux. (Photo Novartis / FlickR / cc)

Une réunion de travail chez Novartis... Tout ça a l'air extrêmement sérieux. (Photo Novartis / FlickR / cc)
Une réunion de travail chez Novartis… Tout ça a l’air extrêmement sérieux. (Photo Novartis / FlickR / cc)


Autour d’une table garnie de viennoiseries, Patrick Roger, conseiller eurométropolitain en charge de l’emploi et de l’insertion le jour, entrepreneur assureur (de la CTS, notamment) la nuit, tente de convaincre plusieurs employeurs de signer des jeunes en emploi d’avenir. Ces contrats, institués par le gouvernement en novembre 2012, qui permettent à des entreprises, à des associations et des collectivités locales de recruter des jeunes sans emploi ni diplômes à moindre coût : 30% d’économie pour les entreprises.

Pour les entreprises, un emploi d'avenir coûte 510,1 euros de moins par mois.
Pour les entreprises, un emploi d’avenir représente une économie de 510,1 euros  par mois.

Vous avez embauché ? Témoignez…

Dans une ambiance digne des alcooliques anonymes, installés dans une salle habituellement dédiée aux enfants du centre socio-culturel du Ziegelwasser au Neuhof (présidé par Patrick Roger, autre casquette), des employeurs qui ont déjà sauté le pas sont invités à témoigner de leur expérience pour convaincre leurs homologues encore récalcitrants. C’est que la situation est urgente, explique Sylvie Schrenck, de la Mission locale pour l’emploi  :

« L’État nous a donné de quoi financer plus de 1 000 contrats d’avenir supplémentaires au cours du premier semestre 2015. Il nous en reste 861 à signer d’ici à la fin du mois de juin. Si nous n’y parvenons pas, ces financements seront perdus et réaffectés ailleurs. »

Pour une fois qu’il y a de l’argent, on ne parvient pas à le dépenser en somme. Tour à tour, le patron d’une entreprise de paysagisme, une représentante de l’Abrapa, une autre du bailleur social d’Illkirch-Graffenstaden, racontent l’embauche des jeunes. Non ce n’est pas trop compliqué, non ce n’est pas trop lourd administrativement, oui certains jeunes posent problème et ont du mal à s’adapter mais une minorité seulement (13,6% des contrats d’avenir signés en Alsace ont été rompus avant la fin), oui mettre en place le programme de formation obligatoire est coûteux et fastidieux. Argument pratique, éthique, économique, tout y passe.

Le contrat d’avenir concurrencé par d’autres contrats aidés…

Mais même après des échanges entre employeurs, dans lesquels « on appelle un chat un chat » et « où on ne va pas se mentir », la directrice des ressources humaines de l’Alsacienne de restauration, le propriétaire de plusieurs restaurants strasbourgeois, qui « accepte la diversité ethnique et sociale en cuisine mais moins en salle », ne semblent pas vraiment convaincus.

Pourquoi s’embêter avec les contreparties (plan de formation, tutorat interne) du contrat d’avenir quand d’autres contrats tout aussi avantageux sont moins contraignants ? La preuve pour Sylvie Schrenck, que trop de contrats aidés tue le contrat aidé :

« Beaucoup de petits patrons, de petites entreprises qui n’ont pas de service de ressources humaines, qui n’emploient qu’une ou deux personnes, sont mal informés. C’est vrai que la multiplicité des dispositifs (alternance, apprentissage, contrat d’insertion, emploi d’avenir, contrat de génération) pour favoriser l’emploi des jeunes peut dérouter les entreprises. Il y a une jungle de mesures et tout ça manque de lisibilité et de simplicité. »

Pas d’embauche en vue, même dans le public

Un argument que reprend volontiers le Medef local par l’intermédiaire de sa déléguée à la formation professionnelle, Stéphanie Ballias, tout en estimant que le profil des jeunes concernés, peu ou pas qualifiés, ne correspond pas aux besoins des entreprises quand celles-ci en ont :

« D’abord, il faut rappeler qu’en Alsace, la crise continue, les carnets de commande sont encore vides. Le BTP par exemple pourrait être intéressé par ces jeunes mais le secteur connait de grosses difficultés et ne prévoie pas d’embaucher cette année. Ensuite, dans l’industrie ou dans le commerce, ce sont des jeunes déjà formés et qualifiés dont on a besoin. »

Mais s’il ne faut pas compter sur le secteur marchand pour signer ces emplois d’avenir, le secteur public rechigne lui aussi. L’Eurométropole devrait embaucher 30 jeunes d’ici au mois de juin, portant son total d’emplois d’avenir à une petite centaine ; les Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) n’en ont pris aucun, tout comme la CTS. Plutôt embêtant car, toutes catégories confondues, Eurométropole et HUS  sont les deux plus gros employeurs du département.

Malgré tout avec un peu plus d’un emploi d’avenir sur cinq en Alsace (21,7 %), l’administration publique reste le plus gros consommateur de ce type de contrat, devant l’hébergement médico-social et social (15,8%) et l’action sociale sans hébergement (12%). Au total, entre novembre 2012 et décembre 2014, 3 608 contrats d’avenir avaient été signés en Alsace, dont 600 à Strasbourg (150 000 au niveau national), majoritairement des CDD d’un an à temps plein (souvent renouvelés) ; quatre sur cinq dans le secteur non marchand (associations et collectivités), selon les données collectées par l’Union régionale des Missions locales.

Si pour ces milliers de jeunes, l’emploi d’avenir permet effectivement de renouer avec la vie active, il est encore loin de garantir le suivi d’une formation, dans près d’un cas sur deux, le jeune n’en a pas encore vu la couleur. De manière générale, le volet formation est le gros point noir du dispositif, car ni les employeurs ni la Région Alsace ne veulent la financer sur leurs seuls deniers.

En effet, selon le Medef Alsace, le coût moyen d’une formation pour un jeune en emploi d’avenir se situe entre 3 000 et 6 000 euros seulement – soit l’équivalent de l’économie réalisée par l’employeur.

De nombreux candidats pourtant disponibles

Si les emplois d’avenir peinent à trouver preneurs, ce n’est pas faute de candidats – la Mission locale suit près de 7 000 jeunes – mais surtout parce que des pans entiers de l’économie n’ont pas le droit d’y recourir. Ainsi, l’industrie automobile (PSA à Mulhouse) ou la grande distribution sont exclues du dispositif, pour ne pas faire concurrence à l’emploi intérimaire ou étudiant notamment, mais aussi « parce que les grands groupes n’ont pas nécessairement besoin d’être aidés dans leurs embauches », souligne Sylvie Schrenck. De fait, l’emploi d’avenir concerne avant tout les très petites entreprises.

Pourtant arrêté après arrêté, la préfecture du Bas-Rhin s’est efforcée de rendre les conditions d’accès moins drastiques et d’élargir le dispositif à de nouveaux secteurs ou à de nouveaux quartiers. Devant l’absurdité de la situation, elle pourrait être tentée de continuer à le faire, en permettant par exemple à un hypermarché de recruter des jeunes issus du quartier dans lequel il est implanté.

Aller plus loin

Sur Rue89 Strasbourg : En Alsace comme ailleurs, le flop du contrat génération


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