Sur le bord du terrain de l’US Egalitaire à Neudorf, Saddam, 17 ans, assiste concentré à la fin du match qui oppose son équipe les Strasbourg Royalls aux Pakistanais du Prince Cricket Club. Les deux équipes jouent leur place en finale du tournoi. « J’aime trop jouer au cricket », explique-t-il en français dans un grand sourire. « On va gagner Inch’Allah. » Le jeune afghan explique qu’il est arrivé en France il y a deux ans et demi. « Je suis venu à pieds. » Après un an passé en foyer, il a obtenu un appartement à Saverne. Il a appris le français au collège et au lycée. « Avec les Pakistanais, on parle ourdou. Sinon on parle français. »
Rompre l’ennui des foyers
Un peu plus loin, des supporters afghans s’enthousiasment pour les dernières minutes de jeu. Saif, le capitaine des Strasbourg Royals, remonte le score à chacun de ses tires emmenant son équipe vers une victoire de plus en plus certaine. Abdel, 28 ans, ne parle pas encore français. Il nous explique en anglais qu’il a été transféré de la jungle de Calais à Strasbourg il y a neuf mois. Dans l’attente de papiers, il n’a pas encore accès à des cours de français pour le moment. Le tournoi de cricket est un rayon de soleil dans son long été.
« On vient supporter notre équipe. Sinon, le reste du temps, on n’a rien à faire au foyer. On s’ennuie beaucoup. »
« On va jouer pour Strasbourg ! »
Exclamations et embrassades sur le terrain, cris de joie sur la touche, les Strasbourg Royalls ont bien gagné leur place en finale. Zazaï, 20 ans, rejoint le banc. Heureux, il a très envie de parler. Le jeune réfugié afghan est lui aussi venu à pied en France.
« Je suis arrivé le 27 février 2014. J’ai traversé 9 pays pour venir, mais je n’ai pas eu à prendre de bateau, heureusement. A mon arrivée, j’étais à l’hôtel et je ne connaissais personne. Des Pakistanais m’ont parlé du cricket. J’ai rejoint l’équipe il y a deux ans. Je me suis fait des amis grâce à ce sport. »
Après un passage en foyer, le jeune homme est lui aussi désormais en appartement et va commencer à la rentrée un CAP d’électricité en apprentissage pour faire ensuite un bac professionnel.
« Bien sûr, j’ai rencontré du monde au lycée, mais en général ce n’est pas facile de rencontrer des français. Beaucoup de gens n’ont pas confiance en nous. On nous prend pour des Talibans. Alors que si on est arrivés ici, c’est justement parce qu’on a tous fui les Talibans. »
Pour la finale le 6 août contre les United Friends, tous les joueurs ont invité les éducateurs de leurs foyers ou anciens foyers.
« On va jouer pour Strasbourg ! Si on gagne, on va faire la fête. »
Débuts à Hautepierre
Quelques jours plus tard Saif, le capitaine du Strasbourg Royalls, nous rejoint pendant sa pause dans un café strasbourgeois. Le pachtoune est cuisinier depuis 5 ans. En ce moment, il travaille dans un restaurant de sushis. « J’ai appris le français en travaillant », assure-t-il. En Afghanistan, il était berger. Arrivé à Paris en mars 2010, il a fait partie du premier convoi de demandeurs d’asile afghans amené à Strasbourg l’été suivant.
« Nous étions 22 personnes. On nous a installés dans un foyer rue de Soultz. »
L’été 2011, Saif fonde avec ses acolytes une équipe de cricket, les Afghan Brothers.
« On a commencé à jouer sur un terrain à Hautepierre. Les Pakistanais avaient déjà une équipe de gens qui habitaient depuis longtemps à Strasbourg. A l’époque, nous n’avions pas d’argent pour le matériel. On jouait avec une simple balle de tennis. Lors de notre premier match contre les Pakistanais on a enfin pu jouer avec une hardball. Mon équipe a presque perdu, mais à la fin j’ai remonté le score et on a gagné. Après cela on a décidé d’acheter du matériel. On s’est tous cotisés, 30 euros chacun, et on a passé commande à un ami qui se rendait au Pakistan : on a pu avoir deux ou trois battes, et des protections. »
De 4 à 10 équipes en six ans
A partir de cet été-là, la tradition s’instaure : Indiens, Sri Lankais, Pakistanais et Afghans se rencontrent chaque été. Les matchs se jouent à Hautepierre et sur le terrain de L’US Egalitaire.
« Dans mon équipe, tous n’avaient pas de papier. On n’avait rien, mais on jouait au cricket. C’est un sport très populaire là d’où l’on vient. Les Afghans et les autres réfugiés d’Asie centrale habitent dans des foyers. Ils restent chez eux et ne voient personne. Il faut sortir, se rassembler. »
Au fil des années le tournoi grossit à mesure que de nouveaux réfugiés arrivent à Strasbourg. Quatre équipes de cricket existaient à Strasbourg en 2011. Six ans plus tard, elles sont dix. Le tournoi de cricket a débuté il y a 3 ans.
« Avant, c’était un ami bangladeshi qui s’en occupait. Cette année, j’ai pris la responsabilité. »
Rentrer dans la légalité
Entre temps, le tournoi est devenu officiel, sous la tutelle du Club neudorfois US Egalitaire. L’été dernier, en plein tournois, Anne-Marie Kleemann, la présidente du club, interpelle le capitaine des Afghan Brothers en action sur le terrain de son club, sans autorisation. Elle leur apprend qu’ils occupent illégalement le terrain et leur proposent d’intégrer les joueurs dans son club et de faire les démarches pour les équiper et obtenir les autorisations d’utiliser les terrains.
Pas facile pour les jeunes réfugiés d’accepter de payer une licence à 80 euros. Tous n’ont pas encore de papiers ni ne travaillent. La plupart d’entre eux échelonnent alors leur paiement sur plusieurs mois. Les autres équipent ne souhaitent pas faire partie de la nouvelle section cricket de l’US Egalitaire. Mais toutes profitent des autorisations pour les terrains pendant le tournoi. Les Afghan Brothers, quant à eux, ont changé depuis le nom de leur équipe pour les Royalls Strasbourg. « On aimerait faire découvrir le cricket à Strasbourg », assure Saif. Pour l’heure, impossible pour lui de garantir des créneaux réguliers pour enseigner son sport au sein du club, malgré les nombreux Strasbourgeois déjà intéressés.
« Je travaille tous les dimanches, j’ai dû négocier dur avec mon patron pour avoir quelques dimanches de libres pendant le tournoi cet été. »
Une équipe pour l’exemple
Grâce à l’US Egalitaires, les Strasbourg Royalls ont obtenu cette année une subvention de la mairie pour s’acheter des équipements complets commandés au Pakistan. Le club leur a aussi fourni des chaussures et des tenus à l’effigie de leur équipe. Sur son maillot noir ciglé de son nom, Saif a choisi le numéro 67 :
« 67 comme Strasbourg. J’ai appris beaucoup ici. J’ai envie de rester ici, c’est chez moi maintenant. »
Pour Anne-Marie Kleemann, la démarche d’intégrer les Strasbourg Royals dans le club est sa première expérience d’accueil d’étrangers réfugiés.
« C’est une façon d’accueillir l’autre à travers le sport. Tout sportif qui a envie de pratiquer son sport doit pouvoir le faire la tête haute et pas illégalement. Si on ne commence pas à structurer, on ne pourra jamais faire quelque chose d’officiel. On veut leur montrer que l’on peut accepter le cricket en France et qu’en structurant un sport on peut arriver à le développer. Les Strasbourg Royalls donnent l’image d’une équipe. J’espère que leur exemple fera comprendre à tous les autres l’intérêt de prendre une licence. »
Saif voit encore plus large. Grâce aux réseaux sociaux, il est entré en contact avec d’autres équipes de réfugiés, notamment dans le Nord de la France. Cet été, il a organisé deux matchs amicaux avec le Strollers cricket club d’Illkirch qui rassemble des Africains du Sud, des Anglais, des Pakistanais et des Indiens plus fortunés et plus âgés que ses coéquipiers. Prochain objectif : trouver des sponsors pour pouvoir se déplacer et rencontrer des équipes d’autres villes.
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