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Derrière la manif, la recomposition de la droite alsacienne a débuté

Toute la droite appelle à manifester contre la fusion de l’Alsace avec la Lorraine et la Champagne-Ardennes ce samedi. Toute ? Oui toute, même si les raisons sont différentes. Car derrière cette unanimité de façade, des premières escarmouches pour le leadership de la droite alsacienne ont eu lieu.

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Réunion des "grands élus" de la majorité alsacienne, mardi soir au Sénat (Photo blog d'Éric Straumann)

Réunion des "grands élus" de la majorité alsacienne, mardi soir au Sénat (Photo blog d'Éric Straumann)
Réunion des « grands élus » de la majorité alsacienne, mardi soir au Sénat (Photo blog d’Éric Straumann)

Elle revient de loin la manifestation « pour l’Alsace unie » de ce samedi 11 octobre. Avant que l’ensemble des élus de droite en Alsace n’appelle à y participer, il aura fallu des pétitions, des initiatives isolées, des prises de positions des chambres de commerces… Au final, le résultat est spectaculaire : tout scepticisme vis à vis de cette manifestation équivaut à un ostracisme immédiat, pour trahison.

Rappel des faits. Début juin, le président (UMP) du conseil régional d’Alsace Philippe Richert et leader de la « majorité alsacienne », rencontre son homologue lorrain, le socialiste Jean-Pierre Masseret. Photos au musée Lalique à Wingen-sur-Moder, serrages de mains, avec le message, « puisqu’il faut fusionner, discutons-en ensemble et imaginons la grande région de l’Est du futur. » Mais l’initiative est très très mal reçue par une partie de l’UMP alsacienne, à la fois par conservatisme, par opposition au gouvernement et par attachement à un particularisme alsacien.

Le député (UMP) du Haut-Rhin, Jean-Louis Christ, prend position dès le 4 juin puis qualifie l’initiative de Philippe Richert sur Facebook de « trahison d’un Narcisse de la région ». Deux cadres de l’UMP du Bas-Rhin, Geoffroy Lebold et Stéphane Bourhis, créent un collectif « Non à la fusion Alsace-Lorraine » qui connait immédiatement un certain succès auprès des sympathisants de droite, des régionalistes et même un peu à gauche.

Éric Straumann, député (UMP) du Haut-Rhin, se souvient de cette période :

« C’était un moment compliqué. Avec Laurent Furst (UMP), on s’est battus contre la fusion de l’Alsace et de la Lorraine à l’Assemblée nationale dès mai. On sentait bien que c’était un leurre. Tous les parlementaires alsaciens de droite étaient déjà unis contre le projet de réforme territoriale du gouvernement. Philippe Richert avait une position plus compliquée à tenir, puisqu’en tant que président d’un exécutif, il préférait agir que subir. »

Les volte-face du gouvernement ont plombé Philippe Richert

Une position compliquée que certains à droite sont bien décidés à lui faire payer. Puis le 15 juillet vient la carte des régions des députés socialistes, incluant la Champagne-Ardennes dans une très grande région à l’Est de la France. La position de Philippe Richert n’est plus tenable.

Le dimanche suivant, Jean Rottner, le maire (UMP) de Mulhouse, lance une pétition en ligne sur « l’avenir de l’Alsace » intitulée « arrêtons de subir – prenons notre destin en main ». Succès immédiat, en trois jours, elle récolte 24 000 signatures, elle en affiche aujourd’hui 54 000. La pétition, en proposant de « se rassembler » pour « organiser un référendum » sur l’avenir de l’Alsace fait de Jean Rottner le chef de file de la contestation au projet du gouvernement, en recyclant le projet de conseil unique d’Alsace initié par Philippe Richert.

Voyant cela, Philippe Richert comprend qu’il a raté un virage dans son positionnement, bien aidé par les revirements du gouvernement qui ne lui a pas facilité la tâche. Ironie, c’est avec une proposition soutenue à bout de bras par Philippe Richert pendant deux ans, le conseil unique d’Alsace, que la pétition de Jean Rottner progresse dans l’opinion. Le maire de Mulhouse revient sur cette initiative :

« Après les annonces du gouvernement, qui veut passer en force, il fallait reprendre l’initiative. Je veux être un élu à l’écoute des citoyens, c’est ma façon de changer la manière de faire de la politique. Les élus ont tout à gagner à se laisser porter par le dynamisme populaire, pour trancher ensuite. Et au delà du succès de cette pétition, ce qui m’a marqué, ce sont les quelque 2 500 lettres de soutien et de propositions qui ont accompagné les signatures. »

Reprise en main durant l’été

Le lendemain, Philippe Richert réunit les parlementaires de droite et leur annonce qu’il les rejoint dans leur opposition au gouvernement. Les 20 élus cosignent une déclaration d’opposition à la réforme territoriale et proposent que l’Alsace ressuscite le conseil unique d’Alsace, rejeté par référendum en avril 2013. Dans le Haut-Rhin, Éric Straumann mobilise le conseil général et neutralise son président (UMP) Charles Buttner. Le 22 septembre, les trois assemblées territoriales alsaciennes votent comme une seule la relance du conseil d’Alsace.

Mais ce n’est pas assez. Le réseau consulaire est mis à contribution. Ça tombe bien, la chambre de commerce et d’industrie de la région, la chambre des métiers et la chambre d’agriculture sont toutes présidées par des élus ou des proches de la « majorité alsacienne ». Le 1er septembre, elle annoncent une position commune de refus de la réforme territoriale et une semaine plus tard, appellent à manifester ce samedi 11 octobre.

Mais ce n’est toujours pas assez pour reprendre la main. L’office pour la langue et la culture alsaciennes (Olca), présidée par Justin Vogel, autre élu UMP du conseil régional, est lui aussi impliqué dans la mobilisation et appelle le 29 septembre son réseau à manifester. Puis pour faire bonne mesure, Philippe Richert ajoute des trains supplémentaires et des tarifs préférentiels pour aller manifester avec le TER, financé par la Région Alsace.

Cette fois, c’est bon, Philippe Richert peut à nouveau apparaître au centre de la mobilisation, lors d’une conférence de presse du collectif « L’Alsace ma région », à la Maison de la Région le lundi 6 octobre. Ouf.

Le résultat est spectaculaire. Outre les régionalistes, toutes les composantes de la droite alsacienne seront au rendez-vous ce samedi, même Jean-Louis Christ :

« Je vais venir manifester à Strasbourg. Ne pas y aller serait une faute qui ne manquerait pas d’être remarquée. Je fais mon devoir de patriote même si je suis embarrassé par les discours méprisants vis-à-vis des Lorrains ou des Champenois qu’on a entendus ici ou là et qu’on risque d’entendre samedi. »

Première à Strasbourg pour Jean Rottner

Pas de risque ! Les prises de paroles ont été bien verrouillées. Au programme : les présidents des chambres économiques, Éric Straumann, Jean Rottner, Elsa Schalck de l’UMP de Strasbourg et pour conclure… Philippe Richert. Ce sera la première prise de parole publique de Jean Rottner à Strasbourg, une vraie victoire pour celui qui est exclu du cercle des « grands élus » de la « majorité alsacienne », composé par les parlementaires et les présidents de collectivités selon la définition de Philippe Richert :

« Clairement, je pense qu’on pourrait inclure les maires et présidents d’agglomération dans ce cercle. Je suis quelqu’un de patient, je ne m’impose pas mais en tant que maire d’une grande ville alsacienne, je suis incontournable. J’ai de l’ambition pour Mulhouse et je veux pouvoir la porter en Alsace et à Paris. »

Voilà qui est clair. De son côté, Philippe Richert revient de loin :

« Je ne regrette pas d’avoir tenté de travailler avec le gouvernement. L’avenir des régions, échelon essentiel pour l’avenir du pays et en Europe, est un sujet trop important pour être laissé aux querelles partisanes. Et en tant que président de collectivité, j’ai une obligation de dialogue. Une partie de la droite ne l’a pas compris mais ce qui a été le plus gênant dans cette histoire, ce sont les engagements du gouvernement qui ont varié en permanence. Ce que nous défendons avec le conseil d’Alsace, c’est ce que le gouvernement veut faire pour 2020 ou 2022. Nous ne sommes pas sur une opposition de principe à la réforme des régions, contrairement à Nicolas Sarkozy. »

Le président du conseil régional aimerait créer un « mouvement régional » qui mettrait de la distance entre lui et l’UMP, dont les accents droitiers commencent à le gêner aux entournures dans la perspective des futures élections régionales en 2015 ou 2016. Pas facile, d’autant qu’il trouvera sur son chemin… Jean Rottner, premier élu UMP à accueillir Nicolas Sarkozy en Alsace, le 19 novembre, dans le cadre de sa campagne de reconquête de l’UMP. Membre de la nouvelle garde rapprochée de l’ancien président, Jean Rottner entend bien mobiliser une « majorité alsacienne » plutôt de centre-droit et surtout un brin choquée par les affaires de corruption au sein du parti et celles directement liées à Nicolas Sarkozy.

Mis à part Jean Rottner et Laurent Furst, député UMP du Bas-Rhin, très peu d’élus d’envergure de la « majorité alsacienne » se sont prononcés en faveur de l’ancien président. Ce sera la prochaine bataille au sein de la droite alsacienne.


#Éric Straumann

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