Le Général de Gaulle, figure incontournable de l’Histoire de France. Mais qui connait l’homme derrière l’éternel képi des manuels scolaires ? C’est à cette question répond en partie Le Crépuscule. En décembre 1969, André Malraux vient rendre visite à son ami Charles de Gaulle, retiré dans sa demeure de Colombey-les-Deux-Églises après le désaveu du référendum d’avril 1969.
Il en tirera un livre, Les Chênes qu’on abat…, publié en 1971, quelques mois après la mort du Grand Charles. Cet ultime échange apparaît comme un testament adressé à la nation. Charles de Gaulle y revient sur sa vie au service du pays, avec mélancolie, amertume et parfois humour.
Trouve-ton un homme derrière le général ?
Ce dialogue intime, près de la mort, fait éclater la sempiternelle figure d’un général à la confiance inébranlable, d’un chef d’État stoïque face au chaos de l’Histoire. Libéré de ses tâches et de ses devoirs qui semblaient corseter l’homme dans sa fonction, il fait part de ses doutes.
La plume de Malraux sublime les paroles et le texte est d’une grande qualité littéraire. C’est un moment d’intimité publique, soigneusement poli et destiné à la présentation.
Le titre de la pièce est, comme celui du livre de Malraux, tiré du poème d’éloge funèbre que Victor Hugo dédie à Théophile Gauthier : » Oh! Quel farouche bruit font dans le crépuscule, Les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule! » Le spectacle de Lionel Courtot prend l’aspect d’un panégyrique à la mémoire du président français. La scénographie est pensée pour grandir l’homme. Des lumières mourantes nimbent le lointain d’une aura crépusculaire, tragique et sublime.
Philippe Girard porte idéalement la grande stature de Charles de Gaulle. Sur la vaste scène dépouillée, il occupe les rectangles de lumière comme une statue commémorative. Il est parfois difficile de se détacher de l’impression de faire face à une figure historique. La fascination qu’exerce le général demeure inaliénable.
Le commentaire est lancé vers le futur de la France
À l’heure où, dans la bouche de responsables politiques, se revendiquer du gaullisme ne mange pas de pain, Le Crépuscule recadre les valeurs d’une idée dont le temps a émoussé le souvenir. En ayant reposé toutes ses responsabilités politiques, Charles de Gaulle ne peut s’empêcher d’imager l’avenir du pays qu’il a servi toute sa vie. Il y applique les leçons tirées de son expérience. Ses commentaires, qui portent jusqu’à un siècle, mordent l’actualité.
John Arnold incarne André Malraux dans une attitude d’observateur documentaliste. Sa façon de lancer le général sur des sujet, de poser les questions, lui donne des airs de Socrate. Il fait accoucher les paroles de l’homme et guide sa pensée. Il consigne ces mots, conscient de leur valeur. C’est alors intéressant d’essayer d’appliquer ce discours à notre époque. Où le général s’est-il trompé ? Où a-t-il eu raison ? Et, dans ce dernier cas, comment a-t-il pu voir si loin ? En s’interrogeant sur le caractère prévisible de notre situation actuelle, Le Crépuscule invite à effectuer nous-même ce travail d’anticipation.
Ce témoignage est précieux, et l’interprétation est talentueuse. Mais il est important de ne pas oublier tout ce qui ne peut être dit, ici, sur Charles de Gaulle et ses actions. La parole du général dans les mot de Malraux marque un point de vue qui ne peut être le seul audible. Le Crépuscule permet de recommencer à penser l’histoire. Une critique du gaullisme, et de ses conséquences, redevient possible avec une mémoire ainsi rafraichie.
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