Le Fort Kléber, situé dans la commune de Wolfisheim, accueille une cinquantaine d’artistes dans une trentaine d’ateliers. Mais depuis 2023, une mise en demeure de la préfecture oblige la municipalité de Wolfisheim à mettre aux normes les locaux. Faute d’argent, leur avenir est menacé. « On nous a dit qu’on devait partir d’ici septembre », souffle Dorota Bednarek, artiste plasticienne qui y occupe un espace depuis mars 2020.
Un « havre de paix »
Dans les ateliers, des artistes visuels mais également des musiciens, une école d’aïkido et de théâtre y mènent leurs activités. Entouré d’un parcours de santé, d’animaux dans des enclos, d’un centre équestre et d’un jardin des cinq sens, le fort est un lieu de vie multifonctions pour les Wolfisheimois. Et pour les artistes :
« Travailler ici, c’est être dans un havre de paix. Il y a des arbres, des animaux et le silence. C’est précieux pour une artiste d’avoir des endroits si tendres. C’est merveilleux pour la création, je ne sais pas où je pourrai aller s’ils ferment. »
Dorota Bednarek, artiste visuelle
Car le loyer payé par Dorota Bednarek est de moins de 200 euros par mois. Avant, elle louait un espace à la Meinau. « Je payais l’équivalent d’un deuxième loyer d’appartement, j’y mettais 500 euros par mois avec les charges », soupire-t-elle. Dans un milieu déjà précaire, où vivre de son art est « une vraie bataille », le faible loyer des ateliers du Fort Kléber permet aux artistes de se concentrer sur leurs œuvres.
Loyer faible pour artistes précaires
D’autant plus que contrairement à d’autres ateliers municipaux, le bail est tacitement reconduit si tout se passe bien entre l’artiste et la Ville. Un gage de stabilité avec un loyer à faible coût, dont certains artistes ont pu profiter pendant près de 20 ans.
Ce faible loyer permet même à certains de se payer, pour la première fois de leur carrière, un atelier à eux. C’est le cas pour Iñès Wartel, artiste et autrice qui a pu louer un espace et sortir son art de son salon. « Avant je faisais mes œuvres chez moi, mais on ne travaille pas vraiment bien dans sa maison, on pense à autre chose, il y a les enfants, on évite d’utiliser des matériaux trop odorants », explique-t-elle. C’est en arrivant au fort, il y a plus de sept ans, qu’elle s’est mise à peindre sur des toiles grand format :
« Et ici, on se croise, on collabore, ça crée une diversité et une émulation. On partage l’espace avec un photographe, c’est riche en échanges. On organise des ateliers de méditation, on voit les musiciens… Si je rentre dans mon salon, je serai seule à créer dans mon coin à nouveau. »
Les deux artistes n’en veulent pas à la commune de Wolfisheim. « On sait qu’ils n’ont pas assez d’argent, que la mairie fait ce qu’elle peut », souffle Iñès – dont le mari est conseiller municipal.
Les écoles ou les artistes ?
Devenue propriétaire du Fort Kléber en 1996, la mairie de Wolfisheim n’a pas les moyens financiers de mettre aux normes les ateliers. « Après avoir reçu la mise en demeure, nous avons déjà dépensé entre 30 et 60 000 euros rien que pour faire les expertises relatives aux rénovations, pour pouvoir se projeter », détaille Laurence Meyer, adjointe municipale et ancienne membre de l’association des amis du Fort Kléber :
« En tout, il faudrait environ 1,7 million d’euros rien que pour mettre aux normes. Ça concerne le système électrique, la ventilation, les sorties de sécurité, les portes coupe-feu et les sanitaires. Car le fort est classé comme un établissement recevant du public. Et pour cette somme, on ne fait que le strict minimum. »
Laurence Meyer semble attachée au fort mais voit aussi les investissements de sa commune qui sont nécessaires pour la majorité des habitants. « Nous avons financé le complexe sportif, la salle polyvalente, là on va rénover les écoles… On ne peut pas prendre tout cet argent pour le bénéfice de 50 artistes lorsque le reste profite à des centaines de personnes », regrette-t-elle, consciente que l’arbitrage peut être difficile à entendre pour les premiers concernés.
Avec un budget d’investissements de 2,2 millions d’euros pour 2024 (et près de 5 millions de fonctionnement), la commune de Wolfisheim a tranché, les artistes devront partir. « Nous allons tout de même devoir faire des travaux sur l’extérieur du Fort sur des infiltrations d’eau dans les murs, pour pouvoir continuer à utiliser le parc qui l’entoure », précise l’adjointe. Pour les évènements particuliers, « on peut imaginer que le maire prenne des dérogations afin de l’utiliser ponctuellement sur des animations ». Elle n’exclut pas que la mise aux normes se fasse progressivement pour l’intérieur mais rien, pour l’instant, n’a été décidé en ce sens.
Aussi, le bâtiment n’étant pas classé comme historique et n’ayant pas « de servitude d’utilité publique », la municipalité n’a pas trouvé de programme qui permettrait de financer la mise aux normes. « S’il appartenait à l’armée, ça serait peut-être différent », imagine Laurence Meyer. De son côté, Iñès Wartel a monté un dossier auprès de la Mission patrimoine de Stéphane Bern, qui rénove des bâtiments remarquables. « On ne sait jamais », dit-elle.
Refus de privatisation
Laurence Meyer le concède, des investissements privés seraient les bienvenus pour aider à la mise aux normes. Mais hors de question pour l’adjointe de penser à le vendre où à louer le site à des compagnies privées :
« Le fort est un lieu de vie, il y a le marché de Noël, le festival Wolfi jazz, des personnes qui se baladent dans le parc… Il est impensable qu’une entreprise puisse y restreindre l’accès. Nous sommes très attentifs aux conflits d’usage et notre mot d’ordre se résume ainsi : s’il a été construit pour la guerre, désormais le fort vit de l’art et de la musique. »
Attachée à l’utilisation du fort par le public, l’adjointe au maire sourit à l’évocation d’un concert caritatif pour rassembler les fonds nécessaires aux rénovations : « C’est une bonne idée mais on risque d’être encore loin des 1,7 million dont nous avons besoin. »
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