Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Démocratie participative : les habitantes de la cité du Neuhof conservent un précieux bus

Dans le plan initial de réorganisation des transports publics de la zone Neuhof-Meinau, l’Eurométropole et la CTS ont envisagé de supprimer la desserte de la cité du Neuhof à la rentrée 2023. La concertation a permis d’infléchir ce plan, au bénéfice des femmes, premières usagères.

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Démocratie participative : les habitantes de la cité du Neuhof conservent un précieux bus

Il n’est pas encore 6h et la nuit enveloppe l’arrêt Kiefer, sur la ligne du bus 14, qui emmène les habitants du Neuhof vers le centre-ville. La journée s’annonce pluvieuse. Comme chaque matin, aux pieds des barres d’immeubles, en plein cœur de la cité, Danijela attend de s’embarquer pour un trajet de près d’une heure jusqu’à Illkirch-Graffenstaden, où elle travaille comme couturière aux ateliers du théâtre national de Strasbourg. La jeune femme vient d’emménager dans le quartier et se veut enthousiaste :

« J’habite à deux minutes de mon arrêt, c’est très pratique. »

À 5h30, les premiers usagers prennent le chemin de leur lieu de travail. Parmi eux ce jour-là, on ne compte pratiquement que des femmes au départ de l’arrêt Kiefer. Photo : Pascal Bastien / Rue89 Strasbourg

Elle et les autres usagères de ce petit matin ont pourtant bien failli perdre leur précieuse station desservie toutes les quinze minutes. En septembre 2023, le plan de circulation des bus de la zone Meinau-Neuhof va connaître une réorganisation d’ampleur. En mars dernier, lors d’un atelier de démocratie participative au Stockfeld, l’Eurométropole avait présenté le projet de la Compagnie des transports strasbourgeois (CTS) de supprimer la ligne 14 au profit de lignes de bus renforcées desservant les bords de la cité. Avec seulement 1 250 montées et descentes quotidiennes selon une enquête de mobilité réalisée en 2019, le bus 14 n’était pas assez fréquenté pour la CTS.

L’idée était de renvoyer les usagers des actuels arrêts Saint-Christophe, Hautefort et Kiefer à la marche ou au vélo pour rejoindre les arrêts Rodolphe Reuss du tram C et de la future ligne de bus renforcée L8, ex-ligne 24 reliant le quartier du Stockfeld au centre-ville, ou alors la future ligne renforcée L7 reliant le Port du Rhin au Baggersee.

L’arrêt Kiefer est celui par lequel le bus entre au centre de la cité du Neuhof. Photo : Pascal Bastien / Rue89 Strasbourg

Compliqué avec les tout petits

Zdenka habite juste à côté de l’arrêt Kiefer. Elle doit prendre son poste tout à l’heure à la Kibitzenau :

« J’ai une fille de trois ans. Maintenant que je travaille tôt le matin, c’est ma mère qui l’emmène à l’école Reuss, à dix minutes à pieds ou trois arrêts d’ici. Sans bus, avec des tout petits, c’est très compliqué à pied. »

Zdenka n’était pas informée de la tenue des ateliers de démocratie participative. Mais elle était présente cet été quand des élus et des sondeurs de la CTS sont venus demander aux habitants des environs leurs avis sur une possible suppression de l’arrêt Kiefer. L’arrêt de tram Rodolphe Reuss est certes à 5 minutes à pieds de celui-ci, mais à plus de 10 minutes des habitations les plus éloignées :

« On a tous répondu que ce serait compliqué. Mais on ne peut rien faire de plus de toute façon. »

Zdenka rappelle que le bus est essentiel pour les mamans avec de jeunes enfants. Photo : Pascal Bastien / Rue89 Strasbourg

Les inquiétudes des usagers ont cette fois été prises en compte. Pendant l’atelier de quartier au Stockfeld en mars dernier, des associations ont identifié le problème. Deux mois plus tard, fin avril, une assemblée de quartier au sud du Neuhof, confirmait aux habitants présents le projet de suppression de la desserte au cœur de la cité. L’Association des résidents du grand Neuhof a alors lancé une pétition et rassemblé plus de 1 000 signatures contre la suppression de la ligne de bus 14. D’autres associations ont cherché un scénario alternatif aux côtés des élus de quartier en concentrant leur attention sur Kiefer, le point annoncé par les habitants en colère comme le plus essentiel.

Visites de terrain

Suite à cette assemblée de quartier virulente, les deux élus de quartier des parties nord et sud du Neuhof ont réalisé une tournée à vélo pour tester le scénario d’une suppression des dessertes au centre de la cité. Au début de l’été, élus, représentants de la CTS et associations ont réalisé ensemble une visite sur site, qui a démontré l’importance de maintenir l’arrêt Kiefer. Lucette Tisserand, conseillère municipale référente du nord du Neuhof raconte :

« Cette visite sur le terrain a permis de lever les doutes qu’avait encore la CTS sur le maintien de Kiefer. Nous avons réalisé notre propre comptage pour voir d’où venaient les gens qui prenaient le bus et évaluer le temps de trajet des personnes. Il en ressortait bien que Kiefer était essentiel. Prolonger une déviation de la L7 jusqu’à l’arrêt Hautefort aurait demandé de détruire des immeubles, c’était impossible. Mais c’est sûr que si il n’avait pas été décidé de maintenir Kiefer, il y aurait eu une levée de boucliers. »

Lors d’un atelier de quartier du Stockfeld fin juin, l’Eurométropole a finalement communiqué aux habitants que le décrochage jusqu’à l’arrêt Kiefer de la future ligne renforcée L7, qui passera toutes les 8 minutes, est acté. Le cœur de la cité sera toujours desservi en 2023.

Véronique s’apprête à monter dans le bus 14 pour rejoindre son poste de monteuse-câbleuse en électronique à Illkirch. « Sans bus, les personnes comme moi, à mobilité réduite, comment elles font ? », interroge-t-elle en s’appuyant sur sa canne. (Photo Pascal Bastien / Rue89 Strasbourg)Photo : Pascal Bastien / Rue89 Strasbourg

Compromis trouvé avec les associations

Il aura tout de même fallu le concours actif de plusieurs associations particulièrement vigilantes pour parvenir à modifier le tracé de la future ligne. L’association des usagers des transports urbains de Strasbourg (Astus) s’était invitée au fameux atelier de quartier sur les mobilités constitué au Stockfeld, le vieux Neuhof. De là, elle a demandé à prendre part à la réflexion concernant le nord du Neuhof, qui, lui, ne dispose pas d’atelier de quartier pour l’heure, et invité l’association Agate Neuhof, qui représente des habitants de la cité en question, à se joindre à elle. En parallèle de contacts directs avec les services de l’Eurométropole, les deux associations ont étayé leurs arguments sur le terrain. François Giordani, président d’ASTUS, salue la concertation :

« Nous avons été associés par la nouvelle municipalité à notre demande en tant qu’experts mobilité et avons accéléré l’entrée dans la boucle de l’association d’habitants du secteur. Nous ne sommes pas encore partout. Mais sur ce cas, nous avons pu réagir en amont, en co-construction, avant que le projet ne soit bouclé. Les représentants des habitants ont été entendus. »

La L7 devrait circuler de 5h à minuit

Il se satisfait aujourd’hui du compromis trouvé, même si la cité ne bénéficiera plus d’un accès direct au centre-ville :

« Au niveau de la cité du Neuhof, nous avons attiré l’attention de l’EMS sur le problème que posait la disparition des arrêts Kiefer et Hautefort. La zone de pertinence pour qu’un arrêt soit accessible à tous est d’un rayon de 400 mètres. On n’y était pas. De là, nous avons rencontré les services de l’EMS qui ont proposé une déviation de la L7 jusqu’à Kiefer. L’arrêt Hautefort entrait alors dans la zone de pertinence, à équidistance de trois arrêts.

Astus et Agate ont fait une première tournée dans le quartier pour interroger les gens. Il en ressortait que beaucoup étaient ouverts à une solution intermédiaire. Certes la zone n’est plus reliée directement au centre-ville mais elle gagne en fréquence et en amplitude de desserte, et on l’espère en temps de trajet, puisque l’objectif est aussi que les lignes aient à terme la priorité aux feux rouges. La nouvelle L7 circulera de 5h à minuit. Cela nous paraît équilibré. Bien sûr, nous restons vigilants sur tout nouveau changement dans le projet d’ici la rentrée 2023. »

Sans voiture ou sans permis, au cœur du Neuhof, les femmes comptent sur leur bus pour aller travailler. Photo : Pascal Bastien / Rue89 Strasbourg

« Même en étant prévoyante, il m’arrive d’être en retard »

Pour Danijela, le chemin jusqu’à Illkirch-Graffenstaden sera plus court puisque la future L7 la conduira directement au Baggersee, lui évitant un détour chronophage jusqu’à la Kibitzenau, où elle fait pour le moment un changement. Le trajet d’une heure d’Hatice, auxiliaire de puériculture à Schiltigheim, sera par contre toujours aussi long. Un premier changement à Rodolphe Reuss s’ajoutera même à ceux d’Étoile Bourse et Homme de Fer.

Aujourd’hui, la mère de famille ne rentrera pas avant 20h chez elle, après sa journée de travail, ses courses, et son cours de conduite. Elle espère avoir son permis et en attendant, elle a abandonné l’idée d’utiliser le vélo, trop fatiguant. Sans compter qu’elle s’en est déjà fait voler trois dans son quartier. Pourtant, prendre le bus ne lui facilite pas la vie et la perspective qu’une nouvelle ligne prenne le relai de la 14 en empruntant le trajet de l’actuelle ligne 27 la laisse méfiante :

« Déjà comme ça, les horaires ne sont pas fiables. C’est à prendre en compte dans son temps de trajet et même en étant prévoyante, il m’arrive d’être en retard à mon travail quand même. »

Une question de sécurité

Pour Hatice comme pour les autres usagères de ce petit matin, la proximité du bus est avant tout une affaire de sécurité, et donc de liberté de mouvement, surtout à la nuit tombée :

« Pour une femme, circuler seule dans le quartier n’est pas sûre quand il fait nuit. Quand je rentre le soir, j’appelle toujours mon mari. Il surveille à la fenêtre. Si je devais rentrer à pied depuis la station de tram, à dix minutes de marche de chez moi, je lui demanderais de venir me chercher, c’est sûr. Je ne veux pas croiser de bandes de jeunes seule. »

Pour Hatice, entre deux changements, le trajet matinale en bus est aussi un moment privilégié. En ce moment, elle en profite pour lire un livre sur son portable. Photo : Pascal Bastien / Rue89 Strasbourg

Marina, agent de production à Lingolsheim, à une heure de bus, confirme :

« Je n’ai pas de voiture. Je n’ai que les transports en commun. Comment je ferais sans cet arrêt quand je travaille d’après-midi ? Il n’y a pas de sécurité ici ! » 

Les élus de quartier assurent que l’expérimentation en cours d’arrêts à la demande en soirée sur l’actuelle ligne 14/24 va être reconduite à la fois sur la future L8, qui remplacera la ligne 24 et sur la future L7 qui pénètrera la cité au point de l’arrêt Kiefer. Selon eux, le dispositif n’a été jusque-là que très peu mis à profit et il demande encore des améliorations pour inspirer confiance aux femmes, premières concernées. Le Neuhof est l’un des derniers quartiers de Strasbourg à ne pas bénéficier de bus de nuit.

Marina utilise le bus pour aller travailler mais aussi pour sortir en centre-ville. Comme tous les matins, le trajet vers Lingolsheim sera son « temps calme » de la journée, pour écouter de la musique. Photo : Pascal Bastien / Rue89 Strasbourg

Il est déjà 7h30. À l’arrêt Kieffer, les travailleuses ont laissé place aux lycéennes et aux étudiantes. Dans le bus 14 qui s’arrête en sens inverse, des groupes d’hommes en gilets jaunes se dirigent vers les usines du Port du Rhin.


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