Depuis plusieurs années, les apiculteurs voient disparaître chaque année la moitié de leurs abeilles. En France, entre 1995 et 2005, plus de 400 000 ruches ont disparu sur 1,3 million, 1 500 apiculteurs ont dû cesser leur activité. Le phénomène, toujours inexpliqué, est appelé syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles. Mais les insectes pollinisateurs semblent avoir trouvé leur réserve : la ville.
Jean-Claude Moes, apiculteur dont la ferme est au Neuhof à Strasbourg, explique les raisons :
« En ville, il y a des ressources mellifères quasiment en permanence. Les jardins, balcons, parcs… Tous ces espaces verts et fleuris offrent une grande diversité de nourriture pour les abeilles, avec des périodes de floraison différentes, ce qui étend d’autant plus leurs capacités de régénération. Par ailleurs, la température moyenne est supérieure de 2 à 3° en ville qu’à la campagne, et a fortiori en montagne. Au final, les cheptels urbains sont en bien meilleure forme à l’automne que ceux des ruches implantées en forêt ou en plaine. »
Autre avantage de la ville, la politique « zéro phyto » du service des espaces verts. Les colonies sont donc bien moins malades et plus résistantes que celles exposées aux insecticides et aux engrais. Du coup, Strasbourg compterait environ 200 apiculteurs amateurs, formés par plusieurs associations dont l’Asapistra (Association apicole de Strasbourg), dont le président est Jean-Claude Moes, et la Société d’apiculture de Strasbourg 1869.
La Ville a mis à la disposition des associations et des apiculteurs amateurs des terrains pour poser leurs ruches : sur le parc du Glacis, à l’entrée de Cronenbourg, à Neuhof-Châtelet, à la ferme Bussierre et près du parc de Pourtalès. Il y a aussi des ruches d’Asapistra sur les toits des mairies de Schiltigheim, Lampertheim et Fegersheim.
Le miel béton est… excellent
Évidemment, le « miel béton » produit n’a pas la saveur édulcorée du miel d’acacia ou celle boisée du miel de sapin. Par essence, le miel produit est forcément polyfloral mais il est excellent et surtout, il coûte moins cher à produire. Une ruche moyenne de 40 000 abeilles implantée en zone urbaine peut fournir jusqu’à 50 voire 80 kilos de miel par an, contre une trentaine en zone rurale. Qui plus est, il mêle de nombreux parfums, issus des pollens de thym, coquelicot, tilleul, myosotis, châtaignier, et d’autres espèces décoratives rares et délicates. Au final, certains miels urbains ont été primés lors de concours agricoles…
Pour Nadine Soccio, apicultrice amateur à Holtzheim, l’apiculture de loisirs pourrait être aussi « utile qu’avoir trois poules dans son jardin » :
« C’est du boulot, mais dans le cadre d’une association, on s’entraide et on mutualise le matériel, comme l’extracteur ou la cuve pour faire fondre les vieilles cires… A Benfeld, une miellerie a même été construite. Mais c’est un vrai plaisir de pouvoir produire son propre miel même si à chaque printemps, on reçoit un coup de massue lorsqu’on constate la disparition d’une ruche sur deux. »
Régie par le Code rural, la pratique de l’apiculture urbaine est relativement libre et chacun peut poser une ruche sur son toit ou dans son jardin, à condition de ne pas l’installer à moins de 25 mètres d’un hôpital ou d’une école, de l’entourer d’une haie protectrice d’au moins 2 mètres de haut et de respecter un espace de 5 mètres vide de tout trafic pour que les abeilles puissent prendre leur envol. Il convient aussi de déclarer la ruche à la direction des services vétérinaires.
Les abeilles ne seront pas sauvées par l’apiculture urbaine
Pour autant, la ville n’est pas l’avenir de l’abeille selon les spécialistes. Pour Michel Kernéis, président de la société d’apiculture de Strasbourg, l’urgence est de restaurer la biodiversité à la campagne :
« Du point de vue de l’abeille, les campagnes, et c’est particulièrement vrai en Alsace, sont devenues des déserts. A cause de la monoculture du maïs, 60% de la plaine d’Alsace est inutilisable. Il est urgent de renaturer l’espace rural, en aménageant des prairies, en variant les cultures et en réduisant l’usage des produits phytosanitaires. L’apiculture urbaine, c’est un bol d’air un peu plus varié pour les abeilles, mais certainement pas un remplacement. Par ailleurs, on risque de saturer rapidement l’espace disponible. Une abeille parcourt deux à trois kilomètres autour de sa ruche, on est déjà aux limites du possible je pense. D’autant que les maladies progressent, et que si on installe trop de ruche, une concurrence va s’installer qui pourrait précipiter les contagions. »
Jean-Claude Moes partage cet avis, arguant que la pratique professionnelle impose des contraintes incompatibles avec l’apiculture urbaine :
« Un professionnel a besoin de place, et de zones à polliniser spécifiques : acacia, sapins, châtaigniers, etc. C’est impossible en ville. Du coup, seules les associations d’amateurs peuvent produire quelques kilos de miel, en s’occupant de quelques ruches. Mais c’est beaucoup de temps et d’investissement, c’est pour ça que cette pratique ne remplacera jamais l’attention régulière d’un professionnel sur ses ruches. »
Car les colonies européennes ont besoin de beaucoup d’attention et de recevoir des médicaments contre les multiples périls qui les guettent dont les plus fréquentes sont le varroa, un parasite et la loque américaine, une affection du couvain qui détruit les larves. L’ennui étant que ces maladies sont très souvent contagieuses entre les abeilles, et qu’elles se propagent vite.
Aller plus loin
Sur Arte.fr : Le mystère de la disparition des abeilles
Projection – débat « Des abeilles et des hommes », lundi 12 novembre à 20h au Star Saint-Exupéry, 18, rue du 22 Novembre à Strasbourg. Une soirée organisée par la société des lecteurs de Rue89 Strasbourg avec Jean-Claude Moes, Nadine Soccio et Michel Kernéis. Voir notre article de présentation de la soirée.
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