Musica porte la curiosité gravée dans son code artistique. Les œuvres de cette nouvelle édition sont bien éloignées de toute approche académique, des canons et des références. Le directeur Stéphane Roth et son équipe entendent bien contrarier toute velléité de certitude pour plonger leur festival dans une remise en question féconde. Par là, l’artiste retourne à la nature brute et à une musique viscérale.
Des artistes qui doutent de tout, sauf de leur inventivité
Le compositeur Alexander Schubert a beau porter le patronyme d’un pilier du répertoire, il dynamite allègrement le cadre du concert classique. Dans Asterism, les limites du spectacle sont redessinées sur une scène déroutante, forêt primordiale et futuriste plantée dans une boite noire. Coproduite avec le théâtre du Maillon qui l’accueille dans sa grande salle, la performance débutera le vendredi 17 septembre au coucher du soleil et durera 35h et 34 minutes, évoluant sans cesse. Ce cadre accueille le public au milieu de projections virtuelles et de musiques flottantes, comme autant de mystères à déchiffrer. La performance hallucinée sera accessible en continu, et à plusieurs reprises avec le même billet, par créneaux. L’occasion de découvrir au fil du temps plusieurs facettes de cette dimension parallèle de poche.
Le festival chahute une idée reçue de l’art : celle du créateur certain de sa maîtrise. Prenant le contre-pied de cette confiance, les artistes de Musica ébauchent leurs partitions. L’expérimental est l’enjeu, et il n’y a pas de méthode fixe ou de cap à suivre. Les spectacles mélangent les techniques et les arts, à l’image de Shel(l)ter, dimanche 19 septembre au théâtre de Hautepierre. Les musiciens y soufflent dans de grands coquillages alors que la vidéo d’un conte nébuleux démarre sur une plage amnésique.
Les contes et le fantastique imprègnent la programmation
Ce n’est pas le seul spectacle aux allures de fable, puisque la Passion de la petite fille aux allumettes renvoie directement au récit du conteur danois Hans Andersen, en clôture le dimanche 10 octobre au temple Saint-Étienne. La pièce réunit un chœur d’enfants, plusieurs solistes et des percussions. Une ambiance de veillée au coin du feu portée par l’Opéra National du Rhin, qui poursuit sur cette lancée avec La Reine des neiges, dimanche 19 septembre. Ces associations de magies et d’aventures proposent une évasion plaisante, en même temps qu’un regard plus global sur un monde en mutation.
Cette saveur du fantastique imprègne la programmation. Elle s’accorde parfaitement avec l’errance assumée des artistes. Dès les Ouvertures du festival, le 16 septembre aux Halles Citadelle, les mots viennent à manquer. Le métissage que propose Roomful of Teeth hésite entre composition classique et folklore cosmopolite. Quant à Horse Lords, leurs multiples influences résultent en une musique inclassable qui évoque de nombreuses couleurs sans jamais se décider. Dans la grande habileté de tous les artistes se distingue un même jeu de funambule, heureux d’avancer à tâtons.
De cette démarche découle la grande accessibilité de Musica. Là où pourrait naître une intimidation surgit plutôt une invitation. Si le doute existe chez les artistes et c’est une joyeuse débandade des normes et des cadres formels. Dans ce laboratoire pétillant, toutes les fantaisies sont permises, même l’idée d’une composition pour cinquante violons munis de haut-parleurs ou celle d’un orgue d’église amplifié électroniquement à l’extrême.
Création collective aux Halles
La musique qui surgit dans de tels dispositifs dépasse le cadre d’un simple concert. Signal supra-sensoriel, elle vient secouer son audience jusque dans sa chair. Les vibrations du corps constituent un langage trouble, rarement sollicité. Il faut noter la présence cette année de Christine Sun Kim. Sourde profonde de naissance, elle a construit sa musicalité en explorant différents modes d’expression, notamment visuels. Avec Deaf, not mute, mardi 21 septembre, l’artiste part de l’incapacité des sous-titres de cinéma à transmettre la musique. Aux commandes d’un orchestre assourdi, elle déroule une partition atypique affichée sur un grand écran. Le spectacle sera accessible aux personnes sourdes et malentendantes, avec une traduction en langue des signes françaises réalisée sur scène. Une performance qui rejoint l’engagement du festival pour l’accessibilité de sa programmation.
Musica, c’est aussi la rencontre avec des sonorités rares, parfois lointaines. La musique qui résonne dans les régions polaires est l’honneur dans Tumik & Katajjaq, vendredi 24 septembre. Association d’une fresque documentaire et d’une démonstration de chants inuits, le spectacle est une portion vive d’un territoire singulier. Mais les sonorités méconnues se cachent également au plus près de nous. Devenir imperceptible, vendredi 1er octobre se pose en loupe des mouvements les plus légers, dans un paysage sonore de bruissements. Présenté avec le TJP Centre Dramatique National Strasbourg-Grand Est, la performance va à contre-courant d’une musique démonstrative. Au lieu de se distinguer, l’artiste cherche à disparaitre dans l’hésitation cotonneuse des sens.
Les Halles Citadelles, lieu de rendez-vous emblématique
Sonic Temple, samedi 2 octobre, sera également de retour, pour une troisième version composée de treize complices et autant d’instrument et machines. Aux Halles Citadelles, le rendez-vous emblématique de Musica pose cette année le jeu d’une fabrique de sons collective, mécanique et fervente.
Il ne faut pas manquer les ateliers de pratique intergénérationnels. Parents et enfants sont conviés à s’essayer au chant de gorge dans la yourte des Halles Citadelles samedi 25 septembre, à découvrir différentes ambiances sonores de nature ou à fabriquer des instrument en matériaux verts. Le parcours Mini Musica propose 17 œuvres jeune public et 12 ateliers d’éveil musical. Ces moments accueillent les enfants, soit avec leurs parents, soit pendant que ceux-ci assistent à un concert.
Cohérent de bout en bout avec son enthousiasme pour la quête musicale posée comme une fin en soi, le festival encourage son public tenter la pratique. Après tout, il n’y risque rien que la surprise.
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