Benjamin (Benoît Magimel) souffre d’un cancer incurable. À 39 ans, il a l’impression de n’avoir rien vécu et de ne rien laisser derrière lui. Avec sa mère (Catherine Deneuve), il va devoir affronter cette idée inacceptable d’une mort annoncée. Pour les accompagner, le docteur Gabriel Sara, dans son propre rôle. Admiratif du travail d’Emmanuelle Bercot, ce médecin, directeur d’une unité de chimiothérapie à New-York lui a proposé, suite à une projection de la Tête haute en 2015, de lui faire découvrir sa démarche philosophique auprès des malades. La réalisatrice va passer une semaine avec l’équipe de Gabriel Sara dans ce qu’il appelle « les tranchées du cancer ». De cette rencontre est né ce film où chacun, soignants, malades, proches, se retrouvent pour faire face.
Benoît Magimel est magistral, en prof de théâtre cabotin et charmeur, soudain en prise avec ses histoires familiales mal réglées. On est heureux de le retrouver en pleine forme, prêt à débattre du sens de la vie et du cinéma, avec Emmanuelle Bercot.
Rue89 Strasbourg: Le personnage joué par Benoît Magimel, Benjamin, est pris en charge dans une clinique exceptionnelle, qui vous a été inspirée par les méthodes d’accompagnement de malades du cancer du docteur Gabriel Sara, un médecin new-yorkais, qui joue ici son propre rôle. Pourtant, cela n’est pas dit explicitement dans le film. Pourquoi?
Emmanuelle Bercot: Effectivement, cet hôpital n’est pas du tout contextualisé, c’est un lieu rêvé en quelque sorte et c’est volontaire. Le film est très documenté mais n’est pas un documentaire. J’ai pris le parti de transcender la réalité. Ce qu’on y voit est exceptionnel et l’on se dit : « ah mon dieu, si ça pouvait être comme ça. »
Evidemment quand on connaît l’état de l’hôpital public, ça peut dérouter et j’ai totalement conscience que les gens ne sont pas soignés ainsi, en réalité, les malades ne sont pas du tout accompagnés. Avec ce film, je voulais montrer une médecine qui prend le temps d’établir une réelle relation avec le patient pour l’aider dans un moment tellement important. Le docteur Sara est un médecin extraordinaire, mais il n’est pas le seul, il faudrait seulement qu’il y en ait de plus en plus.
Dans la première scène du film, la mère, interprétée par Catherine Deneuve, est omniprésente, puis au fur et à mesure du cheminement de Benjamin face à sa maladie, la relation mère-fils passe au second plan. Est-ce que c’était écrit ainsi dans la scénario ?
Emmanuelle Bercot : Non, le film n’est pas le scénario. Je voulais travailler à nouveau avec Catherine Deneuve et Benoît Magimel, et traiter de l’idée d’une mère qui perd un enfant. Et le film est parti sur autre chose, comme parfois cela peut arriver. Au montage, l’expérience métaphysique vécue par Benjamin dans les sept derniers mois de sa vie a pris le dessus. Le projet a atteint une autre destination.
Benjamin juge très durement sa vie, il a l’impression de n’avoir rien accompli et ressent beaucoup de colère, de frustration. Mais il se passe quelque chose de très beau, dans ces quelques mois avant sa mort, il recrée une nouvelle vie. Vous pensez que c’est la force de l’être humain, de pouvoir créer de la beauté, même dans les pires situations ?
Benoît Magimel: Oui je pense qu’on en est capable. Ce que j’ai compris, moi, grâce à ce film, c’est que lutter, être toujours dans le combat, c’est épuisant. Cette colère est légitime face à l’injustice de sa maladie et elle est difficile à abandonner car elle vous maintient en vie, elle donne l’impression d’être toujours du côté de la vie. Mais finalement, c’est quand Benjamin renonce au combat, qu’il est disposé à voir les choses autrement et à regarder de façon apaisée le temps qu’il lui reste à vivre.
Emmanuelle Bercot : Je pense que faire face à la vérité, c’est toujours mieux. Benjamin trouve une grande force pour arriver à faire face à sa mort.
Le docteur Sara encourage Benjamin à faire la paix avec sa vie, il appelle cela « ranger le bureau de sa vie ». Est-ce que depuis votre rencontre avec Gabriel Sara et ce film, vous avez réglé vos comptes avec vos ex et votre famille ?
EB: Déjà, on ne nous a pas annoncé qu’il nous reste sept mois à vivre ! Mais c’est vrai que c’est exactement le genre de phrase facile à dire, mais très difficile à faire ! Moi je ne suis pas sûre de vouloir régler tous mes dossiers.
BM: ça c’est une histoire d’égo…
EB: (Elle rit) C’est vrai que c’est très égoïste parce qu’on laisse les gens avec ces dossiers non réglés. En tout cas, j’ai appris beaucoup avec ce projet. Les cinq mots que le docteur Sara donne à dire avant de mourir (Pardon, je te pardonne, je t’aime, merci et au revoir), j’aimerais pouvoir les dire, mais avec combien de personnes je vais y arriver, ça je ne sais pas…
BM: Qu’est-ce qu’on a de mieux à faire ? Dire au revoir…
Benoît Magimel, comment sort-on d’un tel rôle?
BM: Mon personnage se rend compte qu’il a toujours voulu faire plaisir aux autres et qu’il n’a pas vécu pour lui. On se pose tous la question : est-ce que j’ai assez vécu ?
EB: Est-ce que j’ai assez donné ?
BM: Je vois les choses autrement depuis le film, j’ai l’impression de savoir mieux ce que je veux vraiment. Je me suis demandé : qu’est-ce que je vais laisser derrière moi ? Des films ? Tu parles ! Pour moi l’important, c’est ma descendance.
EB: Et qu’est-ce que tu fais des gens qui n’ont pas d’enfants ?
BM: Ce que je veux dire c’est qu’on continue d’exister uniquement dans le souvenir des autres, de ses proches, de ses amis. L’autre jour, quelqu’un m’a dit : « Mais vous, vous êtes éternel, par vos films ! » Je ne le pense pas du tout !
EB: Mais t’as envie d’être éternel toi ?!
Ils rient.
Chargement des commentaires…