Après la mobilisation face au drame des attentats de janvier 2015, qui a pu donner une image d’unité, et après les dernières échéances électorales, où en est la relation entre le citoyen et le politique ?
Décision par la ministre de l’environnement d’abandonner l’écotaxe, retour sur la décision d’arrêter la centrale nucléaire de Fessenheim, sentiment grandissant de mensonge dans la communication politique : face à ces constats, élu local à Saint-Pierre près de Barr, je souhaite partager une réflexion générale sur l’exercice du pouvoir et la responsabilité qui devrait lui être associée.
Exercer un pouvoir sans assumer crée de la violence
L’activité humaine en société semble devoir s’organiser à travers l’exercice d’un certain nombre de pouvoirs, parmi lesquels le pouvoir politique. Ce pouvoir, qui consiste à prendre des décisions pour le bien collectif, est confié par les citoyens à des femmes et hommes à travers une élection que de nombreux peuples ont la chance d’exercer de manière démocratique, c’est à dire libre et égalitaire.
La concession de ce pouvoir a une contrepartie, qui consiste à assumer les responsabilités qui lui sont attachées, notamment celles liées aux conséquences des décisions prises. Car suivant un principe de psychologie, l’exercice d’un pouvoir sur l’autre sans porter les responsabilités correspondantes conduit à exercer une forme de violence envers cet autre. Si en vertu d’un pouvoir que l’on m’a confié, je prends une décision affectant la vie de l’autre sans son accord, je ne peux pas au même moment demander à cet autre de porter la responsabilité des conséquences à ma place. Et je ressens de la violence quand on me fait porter les conséquences d’une décision à laquelle à aucun moment je n’ai été invité à prendre part.
Certes, il faut du courage pour s’exposer publiquement et prendre des décisions, et le politique est d’une certaine manière évalué à travers l’élection suivante. Mais cette échéance ne couvre pas à mon sens la responsabilité réelle de décisions importantes, prises en dépit du bons sens, et dont les citoyens portent seuls les conséquences.
La violence de l’abandon de l’écotaxe
Prenons l’exemple de la décision d’abandonner l’écotaxe, qui est ressentie par le citoyen que je suis comme une violence qui lui est faite. Car les citoyens contribuables seront bien les seuls à en assumer les conséquences : ils paieront le démantèlement des infrastructures déjà réalisées, les indemnisations nécessaires, l’entretien accru du réseau routier dû à l’accroissement du trafic en France, l’absence de recettes fiscales, et ils subiront les conséquences d’une pollution accrue.
À Saint-Pierre où je vis, cette situation est aggravée par un projet d’aire poids-lourds entre deux villages, une situation unique en France. Non seulement on peut penser qu’un tel projet ne serait pas envisagé si une solution fiscale équilibrée était trouvée avec nos voisins allemands, mais de plus les habitants seront bien les seuls à en porter les conséquences, alors qu’au fond d’eux-mêmes ils n’y sont pas favorables.
Revenir sur la promesse d’arrêt de la plus vieille centrale nucléaire française sans même appuyer cette décision sur une analyse sérieuse, éprouvée et partagée, est un autre exemple où je sens que l’on m’impose un risque dont je n’ai aucun moyen de porter la responsabilité en tant qu’individu.
Les enquêtes d’utilités publiques ne sont pas assez ambitieuses
La violence ressentie par le citoyen à travers ces décisions auxquelles il ne peut prendre part, alors qu’elles engagent sa vie, nourrit le sentiment d’injustice du citoyen et sa défiance envers le politique.
Certaines procédures – comme l’enquête d’utilité publique – sont prévues par la loi, mais ne présentent pas dans leur réalité pratique l’écoute nécessaire à la prise en compte des avis citoyens. Dans ces procédures, on observe souvent une information insuffisante du public, voire un désintérêt de ce dernier, motivé par la croyance que « les jeux sont déjà faits ».
L’enquête d’utilité publique propose au mieux, quand elle est conduite avec l’ouverture nécessaire, une consultation susceptible d’ajuster certaines variables du projet. Elle ne constitue pas un outil permettant réellement aux citoyens de remettre en cause un projet. Les décisions sont donc souvent mises en œuvre sans prendre en compte l’avis citoyen sur le fond.
Or, maintenir une décision au seul motif qu’elle a été prise et que l’on ne peut revenir en arrière n’est pas acceptable. Dans notre quotidien à tous, il nous arrive de reconsidérer une décision pour tenir compte d’un nouveau contexte, d’informations ou d’avis nouveaux. Reconnaître que des circonstances ont changé, être capable de reconsidérer une décision publique sont des postures réclamant courage et humilité, qualités que le politique gagnerait à développer.
A contrario, que dire de la capacité accordée à une personne d’annuler une décision que des centaines, voire des milliers d’autres ont préparé, engageant dans le même temps des ressources parfois énormes dans cette préparation ? Afin de sortir de cette spirale négative, il me paraît souhaitable de développer un mode de gouvernance différent.
Partager la responsabilité, partager les décisions
Comment imaginer que la personne au pouvoir, qui a pris une décision importante engageant la vie des citoyens, est en mesure d’en assumer pleinement les conséquences ? Comment la ministre de l’Environnement pourrait-elle indemniser l’État des milliards d’euros gâchés par l’abandon de l’écotaxe ? Comment imaginer qu’elle puisse assumer seule les conséquences effroyables – non chiffrables – d’une catastrophe nucléaire, même si sa probabilité est infime ?
La seule manière raisonnable d’envisager l’exercice d’un pouvoir sans violence est donc de faire participer le citoyen aux décisions importantes, afin qu’il puisse lui aussi naturellement se sentir responsabilisé à en accepter les conséquences, sans avoir le sentiment qu’on lui a fait violence.
En finir avec le modèle paternaliste
Le monde ancien proposait un modèle aristocratique, où l’on pensait que chaque chose devait être à sa place en vertu d’un ordre établi. Ce modèle donnait sa légitimité au pouvoir d’un seigneur tout comme il considérait naturelle et juste la situation d’une personne asservie. Nous avons depuis évolué vers un modèle républicain, où chacun doit pouvoir jouir des mêmes chances, tout en étant prêt à se sacrifier pour un idéal national.
Or, comme l’explique le philosophe Luc Ferry quand il décrit l’évolution de la pensée humaine à travers les âges, nous sommes désormais entrés dans une société principalement en quête d’amour. La meilleure preuve de ce changement est l’amour que nous portons à nos enfants, et le besoin que nous avons désormais à préparer un avenir qui tienne compte d’eux.
L’adoption d’un modèle de gouvernance plus participatif permettrait d’intégrer ce besoin profond. Comme le décrit le sociologue Jean Viard dans son entretien auprès des Dernières Nouvelles d’Alsace le 28 octobre 2014, « les politiques pensent agir au nom de l’intérêt général en faisant des projets “pour” les gens, alors qu’aujourd’hui, il faut faire des projets “avec” les gens ».
En renonçant au modèle paternaliste pour développer ce dialogue, les politiques se donneraient les moyens de rétablir une forme d’éthique – au sens premier de « respect bienveillant » de l’autre – dans une pratique démocratique aujourd’hui en décalage avec son temps.
Quitter le modèle paternaliste requiert une maturité citoyenne
Pour qu’un modèle participatif ait une chance de réussir, il est nécessaire que le citoyen fasse preuve d’une maturité suffisante en étant prêt à prendre part aux décisions importantes qui auront des conséquences sur sa propre situation.
Un exemple d’application peut être trouvé chez nos voisins suisses qui proposent, entre autres, le référendum pour associer la population aux décisions importantes. D’autres voies innovantes ont été imaginées, comme l’assemblée citoyenne proposée par Étienne Chouard.
Il me semble que le politique, en proposant un système différent, a la possibilité de devenir l’acteur premier de ce changement. Dans le contexte actuel, il dispose d’une opportunité unique pour développer une relation d’adulte à adulte avec le citoyen, afin de construire une confiance nouvelle dans sa relation avec le citoyen.
Pour réussir sa mutation structurelle, une piste pour la classe politique pourrait être de sortir de la « politique métier », en faisant évoluer l’exercice du pouvoir politique vers une mission à durée déterminée, par exemple limitée à deux mandats. Cette évolution permettrait d’éviter la concentration du pouvoir entre les mains d’une seule personne pendant un temps excessif, et donc de favoriser un partage naturel du pouvoir avec le citoyen dans les prises de décisions significatives.
L’absence de changement pose la question de la réalité du pouvoir politique
À travers cette réflexion, c’est aussi la réalité du pouvoir politique qui est posée. Quel pouvoir effectif reste-t-il aux élus pour résister à la toute-puissance du/des systèmes dans lesquels nous vivons aujourd’hui et aux groupes de pression qui semblent influencer chaque prise de décision importante ?
Avant de répondre à cette question, il me semble qu’il serait souhaitable d’avoir d’abord emprunté ce chemin différent que j’ai tenté de décrire pour l’exercice d’un pouvoir respectueux, inspiré par une éthique sincère de la responsabilité.
Ce chemin consiste à inventer un nouveau modèle de démocratie participative. Il permettra de rétablir entre le politique et le citoyen un lien de confiance aussi précieux qu’indispensable, et de créer ainsi les conditions d’une dynamique nouvelle et vertueuse pour notre société.
À un moment où domine une relation peu transparente entre le politique et les détenteurs d’autres pouvoirs, notamment économique, il est temps pour le politique de prendre soin de sa relation avec le citoyen, qui seul lui donne sa légitimité. Car c’est ensemble que le citoyen et le politique arriveront à faire face aux défis de demain.
David Weber
Conseiller municipal
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