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Dans l’utilisation des rares terrains de sports collectifs, les filles cèdent la place aux garçons

La Ville de Strasbourg souhaite favoriser la mixité dans l’usage des infrastructures sportives. Rencontrés au parc de la Citadelle et au Neudorf, des sportifs expliquent pourquoi il sera compliqué de progresser…

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Dans l’utilisation des rares terrains de sports collectifs, les filles cèdent la place aux garçons

Le scénario se répète. Le matin comme en après-midi ou en soirée, et même en période de beau temps, rares sont celles qui investissent les espaces sportifs du parc de la Citadelle de Strasbourg. Minoritaires sur les terrains de basketball, de football ou à utiliser les agrès, les filles et les femmes sont pourtant bien présentes dans les parcs pour d’autres activités sportives. En 2015 selon l’INSEE, 45% des femmes âgées de 16 ans ou plus résidant en France métropolitaine, « déclarent avoir pratiqué au moins une activité physique ou sportive au cours des douze derniers mois », contre 50% d’hommes. Mais pourquoi n’utilisent-elles que très peu ces infrastructures ouvertes à tous et toutes ?

« Personne n’interdit aux filles de venir »

« C’est juste qu’elles n’ont pas envie », tente de justifier Zen, un jeune homme de 20 ans, assis sur l’un des panier de basket accessible au milieu du parc de la Citadelle. « Il n’y a pas de problème, » dit-il alors que sous ses yeux, aucune fille ne foule le terrain. De l’autre côté du parc, là où les grands terrains de basket sont en travaux, même réaction d’un autre jeune homme : « Personne n’interdit aux filles de venir », expose-t-il, adossé contre la rembarde du terrain de foot, occupé à regarder jouer ses camarades, tous masculins.

Terrain de football, proche de celui de basketball fermé pendant les travaux, au parc de la Citadelle, Esplanade, Strasbourg Photo : AM / Rue89 Strasbourg / cc

« Faut avoir le niveau »

« À la Citadelle, c’est le niveau qui compte. Pour s’y faire accepter, il faut savoir jouer sérieux », prévient Younes, collégien venu s’entraîner au terrain de basket du Neudorf, au 92 avenue du Rhin, dont l’accessibilité est en sursis. Son ami, Wisseme, plus concerné, déplore :

« À cause du sexisme, il n’y a pas beaucoup de filles qui jouent au foot, au basket. Donc il y a un peu moins de niveau. En plus, pour celles qui en pratiquent, elles ne peuvent pas s’entraîner suffisamment à plusieurs. Et même si elles en font en club, ça ne suffit pas. »

Pour Younes, il suffirait de laisser un panier libre sur le terrain pour des entraînements ou pour des débutants, ce qui éviterait de se gêner.

Pauline, 14 ans, est du même collège et a l’habitude, selon ses horaires de cours, de venir sur le terrain du Neudorf pour jouer au basket. Toujours ouvert, le terrain abrite sur son sol garçons et filles qui selon elle, jouent ensemble :

« Ici, il n’y a pas de problème. Ce sont souvent des mecs qui occupent le terrain mais on se connaît quasiment tous, il suffit de demander. À la Citadelle, c’est un peu plus compliqué. Le public n’est pas le même, les personnes sont plus âgées. Il faut venir à plusieurs et un peu s’imposer. Si je suis seule, que je m’entraîne, et qu’eux veulent faire un match, je dois me décaler et changer de panier. »

Pauline, collégienne et joueuse de basketball, au terrain du quartier Neudorf. Photo : AM / Rue89 Strasbourg / cc

Des terrains féminins d’un côté et masculins de l’autre ?

Comme toutes les fins d’après-midi, les terrains de basket et de foot du parc de la Citadelle sont remplis. C’est ce qu’Andréa, 21 ans et Maria, sa mère, en pleine promenade, constatent en venant y marcher ou utiliser les agrès. La mère de 50 ans n’en revient pas :

« Si les filles viennent, c’est toujours déjà trop plein. Elles doivent aller sur les autres terrains. Il en faudrait un réservé aux filles, pour compléter celui déjà occupé qui n’est finalement que pour les garçons ».

Cette réponse « n’est pas possible », explique Owusu Tufuor, adjoint à la maire, en charge des Sports :

« Les infrastructures ne peuvent pas être genrées. Ce serait une forme de discrimination. Il s’agit plutôt d’accompagner les sportives par des actions pour favoriser leur pratique et les faire accéder à ces équipements. »

Owusu Tufuor entend « promouvoir la pratique au féminin » par des événements, mais il n’a pas été en mesure de citer lesquels. La venue de l’équipe féminine de basket dans le cadre du championnat d’Europe féminin de 2021 est « l’occasion » de rénover un terrain et d’en d’ajouter deux-demis, indique-t-il.

« Ils sont déjà là en groupe, même moi je me sentirais pas de demander à jouer »

Timoure, un adolescent du groupe, dans le brouhaha général, avoue que « quand il y a des filles qui viennent sur le terrain de foot, ou à côté, tout le monde bombe le torse, roule des mécaniques et fait des trucs avec ses pieds qu’on ne ferait pas habituellement. » Gabriel, 17 ans, rétorque rapidement : « On ne voit presque jamais de filles seules. Elles sont tout le temps ou avec un coach ou avec des garçons ». Si la crainte de subir des remarques désobligeantes ou déplacées s’immisce dans les parcs, elle n’est que le symptôme d’un problème plus vaste, l’expression du sexisme dans l’espace public. Andréa par exemple, se sent intimidée face à des groupes qu’elle désigne comme des « jeunes de cité ».

« Matériellement tout convient », commente Adam, âgé de 22 ans, en désignant les agrès qui font face au city stade. Une pratique individuelle à laquelle plus d’hommes que de femmes s’adonnent. « En général ils sont quand même pas mal utilisés par les filles. Après, je sais que certains parcs mettent des barres à tractions sur plusieurs niveaux, y compris certains où on peut mettre les pieds au sol, pour qu’ils soient plus accessibles. Parce que c’est difficile, mais ça ça l’est pour les deux sexes ! », reconnaît-il. Mais pour les terrains multi-sports, les solutions lui paraissent moins évidentes :

« Les garçons sont tous déjà là en groupe. C’est intimidant. Même moi je ne me sentirais pas très confortable pour demander à jouer. Si c’est un groupe de filles en revanche, elles trouveront leur place. »

S’imposer aux agrès

Depuis deux ans, Justine, lycéenne de 17 ans, vient trois fois par semaine s’entraîner sur les agrès. « L’accès est libre pour tout le monde mais je vois rarement des filles, constate la jeune femme, je me demande si c’est parce qu’elles ont plus tendance à courir que s’arrêter pour faire de la muscu ou des exercices. »

Justine, lycéenne de 17 ans, aux agrès du parc de la Citadelle, Esplanade, Strasbourg. Photo : AM / Rue89 Strasbourg / cc

Justine confie :

« Au début, je ne venais pas aux infrastructures, ou qu’avec mon frère qui a quatre ans de plus que moi, parce que ça m’est arrivé plusieurs fois de recevoir des remarques. Du coup, je n’étais pas à l’aise de venir seule. Ça me procurait un sentiment de protection et de sécurité. Maintenant je m’en moque un petit peu et ça ne m’arrête plus. Moi j’ai toujours aimé faire du sport, mais je n’en faisais pas à l’extérieur parce que ça me faisait peur. Au final, à l’époque, je finissais par le faire chez moi entre quatre murs. C’était dommage. »

Éduquer pour développer l’envie

Et si la pratique sportive féminine dépassait les considérations matérielles et se jouait bien plus tôt ? L’envie de pratiquer tel ou tel sport se constitue dès l’enfance. Comme la docteure Anne Dafflon Novelle l’indique dans son ouvrage « Filles-garçons – socialisation différenciée ?, beaucoup de fillettes s’inspirent de leurs copines pour choisir leur activité sportive. Or, un rapport gouvernemental de 2014 de « lutte contre les stéréotypes » établit que les choix « transgressifs », contre la norme, « sont davantage admis chez les filles que chez les garçons ».

« L’activité sportive choisie par les enfants (ou leurs parents) est souvent en fonction des valeurs qu’elle véhicule : grâce, souplesse, agilité pour les filles ; endurance, rapport de force et esprit de compétition pour les garçons », peut-on lire dans une étude de l’INSEE parue en 2017. Les filles s’orientent moins vers des sports collectifs, mais leur part de pratique sportive avec licence augmenterait selon une étude de 2015 conduite par le ministère de la Jeunesse et des Sports.

Terrain de basketball dans le quartier Neudorf. Photo : AM / Rue89 Strasbourg / cc

Yves Raibaud, enseignant-chercheur géographe à l’Université de Bordeaux, a travaillé sur les problématiques de genre dans l’espace urbain. Il en ressort différentes pistes : la création d’un observatoire public des pratiques, l’organisation de plages horaires différenciées pour la pratique en accès libre, ou encore la répartition de l’argent public dans les différents clubs ou activités de manière équitable en fonction du genre des sportifs.


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