La grande porte d’entrée, élevée au-dessus de deux marches de grès, et la poignée à hauteur du torse saisissent d’emblée le visiteur. On se sent petit et l’on se demande s’il est bien permis d’ouvrir cette porte qui laisse appréhender une immersion dans un monde spectaculaire. À l’intérieur, une girafe et un crâne de baleine décorent le hall. Tout est grand, tout est saisissant. Une pancarte attire aussi le regard. « Le bâtiment dispose d’un défibrillateur. » La collection serait-elle si impressionnante ? Est-ce un avertissement ? Le visiteur, une fois qu’il a franchi la porte, devine qu’il est ici dans un monde entre la vie et la mort, pourvu que ce ne soit pas la sienne…
Marie-Dominique Wandhammer est la conservatrice du musée. La visite commence avec elle deux étages plus haut, devant le cabinet de Jean Hermann, le scientifique qui a initié le projet. Professeur de médecine, de botanique et de philosophie, Jean Hermann a nourri un grand intérêt pour les animaux. À partir de 1760 et jusqu’à sa mort en 1800, il a accumulé plus de 900 oiseaux et 200 mammifères, sans compter reptiles, insectes et coquillages.
Son cabinet, racheté par la Ville en 1804, fut consacré premier muséum d’histoire naturelle de province. Après plusieurs propriétaires et déménagements, la collection compte aujourd’hui près d’1,5 millions de spécimens. Une collection qui attire les érudits du monde entier : l’année dernière, des scientifiques japonais s’y sont rendus pendant deux mois pour étudier la collection marine.
Du lèche-vitrine des années 1893
Le musée déconcerte le visiteur, qui n’ose pas trop se demander comment ces animaux sont arrivés là… Il désoriente aussi par la disposition des salles, en anneaux, avec culs-de-sac et salles contiguës. Les différentes pièces et vitrines sont restées telles qu’elles depuis l’époque où le bâtiment a été construit par les Allemands, en 1893. La disposition historique des lieux en fait un vrai labyrinthe. Les lumières, déclenchées par des détecteurs de mouvement pour diminuer la facture d’électricité, augmentent encore l’impression de confusion.
La disposition de la collection s’est aussi faite au fil de l’histoire, répondant à une logique précise selon les époques. L’idée première que Jean Hermann avait donnée à sa collection était l’étude scientifique et non le plaisir esthétique. Le musée s’est peu à peu éloigné de ce carcan en commençant par donner une place plus importante au diorama, le système de présentation qui fait apparaître le modèle dans son milieu naturel. Qui n’est pas sans poser certains problèmes. La vitrine des animaux d’Alsace par exemple, mise en place à l’époque allemande, ne répond pas aux critères de véracité scientifique. Une « catastrophe » pour Marie-Dominique Wandhammer :
« Ils ont mélangé des animaux diurnes et nocturnes, ont placé des spécimens par famille, par exemple le cerf avec la biche et son faon, mais c’est impossible de voir ça dans la nature. On pense plutôt au film Bambi… C’est une vitrine qu’il faudra changer à terme. »
Pour satisfaire un public plus familial ou scolaire, le musée a aussi installé des vitrines plus ludiques : des coquillages présentés en plateaux de fruits de mer, des sacs en cuir de crocodile.
Des donations de particuliers par milliers
Le souci de véracité est un point d’honneur qu’entend respecter au mieux la conservatrice. Le musée accueille beaucoup d’élèves en sorties scolaires qui viennent découvrir les animaux d’après de vrais modèles. Il serait alors inimaginable pour la conservatrice d’exposer aux enfants un animal naturalisé sans les techniques modernes. Pour répondre à cette volonté de toujours présenter le meilleur modèle aux visiteurs, l’enrichissement de la collection est primordial.
Dans cette perspective, les donations de particuliers sont précieuses. En 2010, 60 000 insectes ont été ainsi récupérés. Le 22 septembre, un artiste lapidaire à Montmorot (Franche-Comté) et son fils ont offert 4 000 spécimens de coquillages, dont des espèces rares, et jugés « en très bon état de conservation » selon la conservatrice. Un butin d’autant plus exceptionnel que les coquillages sont souvent l’objet de ventes aux enchères.
Si les dons sont suffisamment renseignés, c’est-à-dire si le nom scientifique du spécimen, l’année de capture et le lieu de provenance figurent sur la « carte d’identité », ils pourront être avalisés par la Ville et la Commission régionale d’acquisition comme « collection de France ». Ces dons serviront à obtenir de nouvelles données génétiques et approfondir les études sur certaines espèces.
Pas question pour autant d’accepter tout et n’importe quoi. Même si les dons de particuliers témoignent d’une certaine fidélité envers le musée.
« On ne va pas commencer à récupérer tous les écureuils qui décorent les murs des fermes alsaciennes. Ou les grands tétras. Il y a quelques temps, on nous proposait ce genre d’animaux toutes les semaines ! »
D’autant plus que les réserves sont déjà pleines à craquer : 95% de la collection est rangée dans les remises et combles du troisième étage. Mais les réserves regorgent aussi de trésors que le musée ne montre pas au public. Parmi eux, une momie Inca et sa cousine égyptienne qui sont arrivées dans les années 1850. Des modèles qui pourraient être exposés : « Les hommes sont des mammifères comme les autres », remarque la conservatrice à la manière d’un memento mori, cette locution latine qui rappelle aux hommes que la mort est inéluctable.
Un musée qui veut sauver sa peau
Mais pour l’instant, c’est plutôt la survie du musée qui est en jeu… Selon les analyses de l’Observatoire régional du tourisme d’Alsace (Orta) parues en 2011 et 2012, le Musée zoologique de Strasbourg meurt à petit feu. Depuis trois ans, le musée connaît une baisse notoire de la fréquentation : 37 755 visiteurs ont poussé la porte d’entrée en 2010, 32 369 visiteurs l’année suivante. Soit une diminution de 14% des visiteurs en un an. En 2011, le Musée zoologique devenait ainsi le musée strasbourgeois le moins fréquenté, dépassé par le Musée historique jusque-là bon dernier.
Les expositions temporaires sont une bonne façon de relancer l’attraction. En 2009, le succès de l’exposition CHROMAMIX avait ainsi permis d’enregistrer 48 016 visiteurs sur l’année. Pour clore l’année 2012, le musée monte jusqu’au 6 janvier 2013 l’exposition « Croquer à pleines dents ». Et pour attirer les étudiants titulaires de la Carte culture, une soirée « safari » à la lampe torche sera organisée dans les réserves le dimanche 25 novembre (inscriptions à l’Agora, espace culture).
La demande de protection et l’inscription du musée au titre des monuments historiques pourraient aussi booster la fréquentation. On ne viendrait plus seulement voir la collection animale mais également le bâtiment. Selon le code du patrimoine, la procédure de protection peut être initiée par la demande de « toute personne y ayant intérêt », comme une association. C’est à ce titre que les Amis du Vieux Strasbourg avaient formulé une demande de protection en 2003 pour faire face à d’éventuels travaux par l’Université de Strasbourg, propriétaire du bâtiment.
Leur dossier mettait en valeur la qualité du bâtiment et la galerie des oiseaux de Jean Hermann. Lorsque le Plan campus a débuté, initié en 2008 par le gouvernement Fillon pour faire émerger de grands pôles universitaires, le dossier a été présenté à la Commission régionale du patrimoine et des sites, l’instance qui doit donner son avis dans les procédures d’inscription des monuments historiques. Le dossier n’a pas été avalisé, les monuments historiques ayant décidé de ne pas statuer avant de savoir quelle serait la teneur exacte des travaux. Le dossier, en panne sèche depuis, pourrait être relancé.
Y aller
Musée zoologique de Strasbourg, 29 boulevard de la Victoire à Strasbourg, arrêt Tram Universités.
Horaires d’ouverture : lundi, mercredi, jeudi et vendredi de 12h à 18h ; samedi et dimanche de 10h à 18h.
Chargement des commentaires…