À quoi ressemblerait Jésus s’il se réincarnait aujourd’hui ? Peut-être à un psychiatre à l’écoute des exclus comme Georges Federmann. Depuis des dizaines d’années, le Dr Georges Yoram Federmann ne se trouve utile qu’entouré des misérables. Lorsque les quais de Strasbourg se couvrent de tentes pour abriter les SDF, il est là avec un collectif hérité du mouvement Don Quichotte. Lorsque des tsiganes ou des roms sont évacués, il place son mètre quatre-vingt dix entre eux et les forces de l’ordre, avec sa bonhomie et son demi-sourire permanent.
Et tous les jours, il accueille dans son cabinet près de l’avenue des Vosges à Strasbourg, sans rendez-vous, tous ceux que la détresse et les accidents de la vie ont brisés, ceux qui n’ont plus aucun papier ni argent, ceux qui n’ont pas la bonne couleur de peau, ceux dont aucun autre psychiatre ne veut. Lui les écoute, inlassablement depuis 30 ans et c’est là que Swen de Pauw a planté sa caméra, pendant 18 mois, offrant au spectateur du « Divan du monde » un point de vue exceptionnel, rare, sur ce qui s’échange entre un malade et un soignant.
« Alors, je vous mets quoi ? »
Cassés, déprimés, acculés… Diane, Gilbert, Karim ou Claudine s’accrochent, tentent d’identifier d’où vient leur mal-être, de mettre des mots sur leurs phobies. Le Dr Federmann ne peut que les aiguiller, c’est à eux de cheminer. Il va jusqu’à demander à ses patients quel médicament ils souhaitent et à quelle dose :
« J’accueille les patients à l’heure qui les arrange. Et la dose qui les soulage, c’est eux qui la connaissent et pas moi. »
Une position pour le moins atypique dans le monde médical. Mais à 60 ans et malgré son expérience, Georges Federmann confesse qu’il ne sait toujours pas si sa méthode est la bonne :
« La psychiatrie, est-ce que c’est de la médecine ou un art martial ? Tu peux être psy pendant 30 ans et être à côté de la plaque pendant tout ce temps, tu ne le sauras jamais. Mais il faut continuer. Pour que les patients vivent, pour que les sans-papiers ne soient pas expulsés, pour Véronique. »
Après le drame, le pardon… et l’angoisse
Véronique était sa compagne, militante engagée en faveur des étrangers, elle a été tuée par balle en novembre 2005 lorsqu’un patient a fait irruption dans le cabinet et a tiré sur elle. Georges Federmann est également atteint par quatre balles mais il s’en tire miraculeusement. Deux jours plus tard, il pardonne au meurtrier, placé en hôpital psychiatrique, et appelle ses amis et soutiens à faire de même.
Très vite, Georges Federmann reprend son travail, il ne change rien à ses habitudes et continue de recevoir au milieu des livres et des articles de presse. Il reprend la signature des certificats médicaux qui retardent d’une semaine, d’un mois, d’un an l’expulsion d’un sans-papier, peut-être suffisamment longtemps pour obtenir un titre de séjour. Mais depuis le drame, il se dit « à bout » et « pris d’une grande lassitude » :
« Chaque jour, à chaque fois qu’on sonne, je crains que ça ne recommence, que quelqu’un vienne finir le travail. Et ce qui me mine, c’est qu’aujourd’hui, je suis encore plus seul qu’il y a 30 ans. Même ceux qui acceptaient de me remplacer pendant mes congés refusent de recommencer. Comment ça se fait ? Pourquoi les médecins ne peuvent plus écouter ? Il est temps je crois de s’intéresser à l’héritage du nazisme dans la formation des médecins ».
Un livre, pour témoigner et partager
D’origine juive, Georges Federmann identifie des héritages du nazisme là où d’autres ne voient que des pratiques autoritaires. Le documentaire de Swen de Pauw ne traite pas cet autre combat du Dr Federmann, concrétisé notamment par son travail pour redonner une identité aux 86 juifs victimes des expériences d’un médecin nazi à l’hôpital de Strasbourg pendant l’occupation allemande.
Le psychiatre développe cette thèse dans un livre, également appelé « Le divan du monde » (édition Golias), dans lequel il revient sur ses années de formation, et le temps qu’il lui a fallu pour se débarrasser d’une culture de compétition et de concurrence acharnée. Pour le Dr Federmann, il n’y a pas assez de compassion chez ses collègues.
Mais qui peut avoir autant de compassion que Georges Federmann ? Dans le film, qui ne s’intéresse qu’aux échanges entre le psychiatre et ses patients, il n’y a aucune mise en scène, si ce n’est les t-shirts bigarrés de Georges Federmann. En une heure et demie, le spectateur entre dans la vie intime de sept personnes et comprend immédiatement leur détresse. Puis, très vite, il comprend également celle du Dr Federmann, dont le métier est de tendre la main, en espérant que ses patients la saisissent pour éviter qu’ils ne sombrent tout à fait.
Il aura fallu des années, l’acharnement de Swen de Pauw, une rencontre avec le producteur strasbourgeois Seppia et l’envie du distributeur, Shellac, pour que ce film voie le jour. Ce sera peut-être pour la profession des psychiatres l’occasion de s’interroger sur leurs pratiques et leurs publics.
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