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Un projet de couvoir à poussins menace la faune et la flore près de Saverne

Depuis 2017, un projet de couvoir à poussins est prévu sur un terrain inondable du Kuhbach près de Saverne. Selon Pascal Irlinger, membre d’un collectif d’opposants, cette future construction, d’une superficie de plusieurs hectares, menace de nombreuses espèces protégées et risque de détériorer d’autant plus la qualité des eaux du terrain.

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faune flore

En octobre 2017, un premier permis de construire a été lancé par les Couvoirs de l’Est pour un projet dans la zone du Kuhbach, près de Saverne, entre Schwenheim et Marmoutier. Cette entreprise est spécialisée dans le domaine de la production de poussins d’un jour. En septembre 2020, les travaux ont débuté sur la zone mais se sont brusquement arrêtés malgré des premiers décaissements de terrain.

Selon un article des DNA datant du 27 septembre 2021, le projet de couvoir a mûri dans l’esprit du promoteur, Joseph Scherbeck, raison pour laquelle un nouveau permis a été déposé le 26 juillet 2021, soit quatre ans après le premier. Le nouveau permis concerne quatre parcelles, « pour une surface totale de 48 152 m2. » En réaction à la relance du projet de construction, Pascal Irlinger, habitant de Schwenheim, a repris l’organisation du collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Kuhbach créé en 2017 :

« Nous demandons l’annulation de ce projet car l’emplacement choisi a un caractère écocide. Ce projet va entraîner la destruction d’une aire de nichage d’espèces d’oiseaux menacés, tels que les vanneaux huppés, de nourrissage et de halte migratoire pour espèces protégées, telles que les cigognes, les aigrettes ou les hérons, ainsi que la détérioration de la qualité des eaux du Kuhbach et l’artificialisation de plus d’un hectare de prairies humides. »

Plan du projet de couvoir à poussins. Photo : Extrait de la demande de permis de construire datant du 2 avril 2021

500 000 poussins par semaine

Selon un article des DNA publié en décembre 2017, l’exploitation prévoyait d’abord de construire un bâtiment de 3 000 m2 pour faire un couvoir. Dans le nouveau permis de construire, la superficie sera finalement de 4 000 m2. Le premier permis de construire mentionnait 500 000 poussins par semaine, là où le nouveau ne donne pas de chiffre.

Un couvoir à poussins se consacre en général à la vente de poussins, destinés soit à l’élevage de poulets de chairs, soit à l’élevage de poules pondeuses. Si ces poussins sont attribués à l’élevage de poules pondeuses, ils sont alors triés et « sexés » avant d’être envoyés aux acquéreurs. Bien que le gouvernement ait décidé d’interdire la mise à mort des poussins destinés à la production d’œufs de consommation, notamment par broyage, un décret datant du 5 février 2022 permet aux couvoirs de passer outre cette interdiction jusqu’au 31 décembre.

Multiples rejets d’annulation de projet

Le collectif pour la zone humide du Kuhbach a signalé à la Direction régionale de l’environnement (Dreal) le 16 août 2021 la « destruction à venir d’habitats d’espèces sur liste rouge ». La Dreal a contacté par la suite les propriétaires du terrain, afin de réaliser une analyse de la zone pour identifier s’il s’agit d’un secteur où vivent des espèces protégées de manière permanente. Cette analyse a été exécutée par le bureau d’études Archimède environnement et mandatée par le porteur de projet du couvoir, mais la préfecture du Bas-Rhin a refusé que la Dreal transmette ce rapport à Rue89 Strasbourg.

Dans un mail en réponse au signalement, la Dreal a rejeté le signalement du collectif, en indiquant que « le milieu étudié ne constitue pas un habitat permanent d’espèces protégées ». La Dreal ajoutait dans sa réponse que le site aurait été inondé qu’en 2021, uniquement en raison des conditions météorologiques particulières de cette période, mais qu’il ne s’agirait pas d’une « zone humide » :

« Au moment du constat réalisé par le bureau d’étude, en septembre 2021, les zones en eau étaient à sec [De plus, l’article 3 de l’AM du 29 octobre 2009] porte sur la protection des œufs, sur la vente et le transport. Il ne concerne pas la protection directe des individus et des habitats. Le document précise également que le site n’est pas favorable à la nidification d’oiseaux arboricoles. L’analyse du bureau d’études porte également sur le caractère favorable ou non du site pour les insectes, les chauves-souris, les amphibiens et reptiles et les mammifères terrestres. Elle précise que le site n’est pas favorable pour ces espèces au regard des modalités de gestion en place et de la nature des habitats présents. »

Attroupement de vanneaux huppés – espèces menacées d’extinction – en juillet 2021, revenus en raison des décaissements. Selon Pascal Irlinger, « cela faisait plus de dix ans qu’ils avaient quitté le secteur. Ils étaient 26 et en halte migratoire. » Photo : Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Kuhbach / doc remis

Benoît est membre du groupe local de l’association Alsace Nature. Il explique pourquoi la mobilisation contre ce projet de couvoir industriel est si tardive :

« Il n’y a pas eu d’enquête publique car ce type d’installation n’est pas classée, c’est-à-dire considérée comme dangereuse. C’est donc uniquement lorsque le permis de construire est affiché que le public est informé et peut éventuellement faire un recours. J’imagine que la Dreal part du principe que ces oiseaux pourront nicher ailleurs. »

Attroupement de grues en halte migratoire dans la zone du Kuhbach. Photo : Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Kuhbach / doc remis

Le 2 septembre 2021, le collectif a envoyé un courrier aux élus les invitant à trouver un autre terrain aux Couvoirs de l’Est. Une vingtaine de jours plus tard, le collectif a réalisé un recours gracieux auprès de la mairie de Marmoutier. Il demandait « l’application stricte de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la Nature et des paysages qui impose, dans un premier lieu, l’étude de mesures d’évitement ». Le recours a été rejeté par la mairie le 26 octobre 2021 qui précisait dans un mail qu’après réexamen du permis, « il s’avère que le projet est conforme aux dispositions d’urbanisme en vigueur ».

Risques d’inondations de plus en plus importantes

Depuis le nouveau permis de construire datant du 26 juillet 2021, seuls quelques boitiers électriques, du gravier pour l’accès et une digue contre les inondations ont été installés. Pascal Irlinger précise que cette artificialisation va à l’encontre des efforts pour lutter contre le réchauffement climatique :

« Les prairies ont un rôle prépondérant de tempérance climatique. Il s’agit aussi de la dernière zone humide fonctionnelle à l’ouest de Strasbourg. Selon les autorisations délivrées, le terrain semble exploitable, car la Direction départementale des territoires du Bas-Rhin (DDT) se réfère à une crue qui date de 1970 et qui ne semblait pas avoir inondé de manière conséquente le terrain. Aujourd’hui on voit que la zone est facilement inondable en période de grandes pluies. De plus, cette activité risque d’être sensible à la grippe aviaire en raison de la zone colonisée par des oiseaux migrateurs. »

Benoît du groupe local d’Alsace Nature dénonce le caractère inondable de cette zone, sans pour autant remettre en question l’expertise scientifique :

« Si l’on construit ce couvoir, on réduit la surface d’expansion des crues. Elles vont devenir plus conséquentes dans le peu d’espace non aménagé par l’homme. De plus, selon le rapport annuel du Syndicat des eaux et de l’assainissement Alsace-Moselle (SDEA) de 2020, la station d’épuration proche du terrain sature en moyenne un jour sur trois, car la quantité d’eaux usées est trop importante, en raison de fortes pluies et de l’augmentation de la consommation et du nombre de ménages dans la région. Ces excès en eaux usées finissent directement dans la nature. Ce projet de couvoir ne va pas arranger la situation de la qualité des eaux de cette zone. »

Extrait du rapport annuel du Syndicat des Eaux et de l’Assainissement Alsace-Moselle (SDEA) de 2020 démontrant qu’il existe en moyenne une surverse tous les trois jours Photo : Document aux données publiques

Un terrain déjà pollué

Selon trois comptes rendus piscicoles réalisés à Lochwiller, Otterswiller et Schwenheim, puis publiés le 11 juillet 2019, la qualité de l’eau de la zone du Kuhbach semble déjà détériorée. Il existe un faible peuplement d’animaux aquatiques dans la région. Les rapports affirment également qu’une « restauration des habitats aquatiques du secteur permettrait d’augmenter les capacités d’accueil des espèces attendues sur ce secteur. »

Benoît affirme qu’Alsace Nature avait déjà signalé cette pollution aux collectivités locales. Il déplore également la pollution diffuse présente dans le cours d’eau du Kuhbach :

« Personne ne fait rien non plus contre la pollution du Kuhbach. En 2018, il y avait déjà un plan d’investissement et de renaturation de la zone, présenté par le SDEA, afin de redonner au cours d’eau une naturalité en lui façonnant des méandres pour réduire sa vitesse et revégéter la zone, mais il s’agit d’une solution palliative. Il faudrait aussi faire en sorte que les exploitations agricoles arrêtent de déverser des produits polluants dans son lit. »

Malgré de multiples tentatives de prise de contact avec l’entreprise, les Couvoirs de l’Est n’ont pas souhaité réagir ni répondre aux questions de Rue89 Strasbourg. La commune de Marmoutier dit n’avoir aucune information sur la construction, mais a simplement confirmé que le projet de couvoir industriel était toujours en cours.


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