Tout auréolé de son bachot qu’il est, l’étudiant peut payer très cher son autonomie. Justine, étudiante depuis deux ans, en sait quelque chose. Ses petits boulots dans une pizzeria puis une galerie d’art, ses APL et sa bourse lui laissaient jusque-là environ 800 euros par mois pour vivre. De quoi garder la tête hors de l’eau quand on compte ses sous et que l’on sait profiter des ristournes qu’offrent le pass campus et la carte culture. Mais après avoir perdu son job alimentaire, cette ex-étudiante en design a dû se résoudre à quitter son petit cocon (12m²) Place d’Austerlitz. Malgré la tuile, elle garde le sourire :
« Franchement, le studio était pas terrible. J’avais tout le temps peur de casser la porte en forçant… En cachant les murs pourris avec des cartes du monde, j’avais presque réussi à en faire un truc un peu joli… Mais après ça, je me dis que mon premier vrai appart payé avec un vrai salaire, je vais vraiment l’apprécier ! »
Sa mère ne pouvait pas l’aider à financer ses études. À 21 ans et malgré une licence arrêtée en cours de route, elle tient bon et prépare sa rentrée à l’école de jeux vidéo de Strasbourg. Mais une tuile peut en cacher une autre : son école n’est pas reconnue, elle ne lui permet pas de prétendre à la bourse du Crous. Un trou de 200 euros de son budget qu’un temps partiel ne pourra pas combler : Justine doit se résoudre à contracter un prêt étudiant. Pourtant, elle fait plus que garder le moral. Elle estime s’en être bien tiré jusque-là :
« Je suis pas morte de faim, j’ai toujours été habituée à faire attention avec l’argent… Il faut dire que je ne mange pas beaucoup à la base. Je dois faire entre 10 et 15 euros de courses par semaine ! »
Heureusement pour Justine, sa mère habite dans le centre de Strasbourg, ce qui lui offre une solution de logement temporaire. Mais pour les « décohabitants », comme les appelle l’Unef, ceux qui quittent le domicile parental pour étudier dans une autre ville, le studio ou la coloc ne sont pas un choix, mais une obligation. Dans l’agglomération strasbourgeoise, il leur faudra composer avec une des plus fortes hausses du coût des études. Selon leurs calculs, Strasbourg est la 13e ville étudiante la plus chère (855 euros par mois).
Mais surtout, elle enregistre la troisième plus forte augmentation de prix sur toute la France, avec 2,18% (contre 2,09% au niveau national, soit le triple de l’inflation). Certes, l’étude de l’Unef tient plus de l’esquisse à la brosse épaisse que du portrait au pinceau fin. Les chiffres obtenus sont une moyenne calculée à partir « profils types » d’étudiants. Comme pour les vagues grand froid, la température annoncée n’est pas forcément celle ressentie par l’étudiant qui habite chez ses parents avec le chauffage, ni par celui-ci qui gèle dans sa studette aménagée sous les combles !
Notons que de son côté l’association étudiante la FAGE a estimé « le coût de la rentrée » qui mêle les dépenses courantes (loyer, transports, alimentation) et exceptionnelles (droits d’inscriptions, achats de livres et de fournitures, assurance, mutuelle…). La somme pour « vivre correctement » est évaluée à 2 329 euros « en province ».
Strasbourg et les transports : un bon élève qui se laisse aller
Cet avertissement lancé à Strasbourg tient surtout à un chiffre : la hausse du coût des transports de 3,91%, la plus forte enregistrée cette année en France (et surtout la plus récurrente). Plutôt que la hausse moyenne des tarifs de 1,61% avancée par la CTS, l’Unef retient l’augmentation de l’abonnement annuel pour un jeune de moins de 25 ans non boursier (256 à 266 euros par an).
Cette augmentation régulière des tarifs jette une ombre sur un tableau plus reluisant : Strasbourg est une des 7 villes étudiantes en France avec Nancy, Metz, Brest, Amiens, Reims et Dijon (non mentionnée dans l’étude de l’Unef) à proposer un tarif solidaire. Les moins de 25 ans, étudiants ou non, paient un abonnement deux fois moins cher que les utilisateurs régulier. Mais en plus, ceux qui ont le moins de ressources bénéficient de tarifs solidaires, entre 3,40 à 13,30 euros par mois. D’après la CTS, 27 000 jeunes Strasbourgeois, étudiants ou non, bénéficient d’une ristourne, dont 12 000 des tarifs solidaires.
Pas si mal, reconnaît l’Unef Strasbourg, mais son président Colin Jude relativise :
« Seulement un quart des étudiants strasbourgeois peuvent bénéficier de ces tarifs solidaires. Même si Strasbourg reste pionnière sur les tarifs solidaires qui datent de 2010, ce sont les premiers à subir l’augmentation des prix. »
Pourtant en matière de Transport, Strasbourg semble remplir les revendications de l’Unef au niveau national, qui réclame dans son rapport « La mise en place de demi-tarifs étudiants dans toutes les villes universitaires afin de garantir aux étudiants des coûts de transports abordables, et le développement de tarif boursiers. »
Mais surtout, l’étude de l’Unef ne tient pas compte dans son étude de la star de Strasbourg : la petite reine. Dans la « capitale du vélo », de nombreux étudiants, à commencer par Justine, ne voient pas l’utilité d’un abonnement au tramway quand la plupart de leurs trajets se font très bien à pied ou en quelques coups de pédales. Les étudiants qui ne souhaitent pas investir dans une bécane peuvent investir dans une location de Vélhop, à partir de 42 euros les 10 mois. Selon la CTS, 570 contrats étudiants sont contractés.
Certains étudiants préfèrent le vélo au tram.
Au niveau régional, l’Unef fixe aussi des objectifs à la région Grand Est : l’accès à une meilleure couverture santé pour les étudiants, notamment via la création d’un pass’ santé comme en PACA ou d’un pass’ contraception en Nouvelle Aquitaine.
L’immobilier : le talon d’Achille
Venons en au principal poste de dépense : le logement. Le loyer moyen pour un étudiant s’établit à 459 euros selon l’Unef qui s’appuie sur les données de Loc Service. Malgré l’effet Air BnB, qui sort des logements du parc immobilier pour les transformer en locations saisonières, et ses CSP+ employées dans les institutions européennes, la « capitale européenne » est encore loin des 824 euros nécessaire à un étudiant parisien pour se loger.
Dans l’agglomération strasbourgeoise, classée en zone tendue, les propriétaires ne peuvent pas augmenter le loyer lors d’un nouveau bail si celui-ci a déjà été augmenté dans les douze mois précédents. Mais rien n’y fait, les loyers des studios ont augmenté de 2,69% en un an, et de 4,7% depuis 2014 (toujours selon les chiffres de l’Unef). En comparaison avec des agglomération de tailles équivalentes, l’augmentation en trois ans à Rennes est de 1,74% (401 euros) et à Nantes de 2,5% (408 euros).
Et pour cause, selon l’Agence de développement et d’urbanisme strasbourgeoise, (Adeus), les étudiants cumulent les handicaps : Même en situation de zone tendue, son étude montre que le loyer au mètre carré est plus cher pour un emménagement récent. Pas anodin, quand on sait que les étudiants ne restent souvent que quelques années et qu’ils peuvent être amenés à changer de logement en cours de cursus. Ils préfèrent souvent s’installer dans le centre-ville, quitte à se rabattre sur les petites surfaces qui sont plus chères au mètre-carré. Ainsi, le loyer médian d’un 1 pièce dans le centre-ville de Strasbourg s’élève à 15 euros le mètre carré, contre 7,9 euros en périphérie. Pour Justine qui cumulait tous ces handicaps, la facture était salée. Son 12 mètres carrés défraîchi situé place d’Austerlitz lui coûtait 330 euros. Certes, c’est largement en dessous des prix avancés par l’Unef à Strasbourg, mais son loyer atteignait 27.5 euros au mètre carré, presque le double du loyer médian relevé par l’Adeus !
Pour son prochain logement, Justine compte franchir le pas de la coloc et s’excentrer. Elle cherche aussi un nouveau travail. C’est un passage obligé pour près d’un étudiant sur deux selon l’Unef. Elle espère concilier un emploi régulier avec son faible volume d’heures de cours. Autre cas, autre stratégie : Grégoire, étudiant en droit des affaires, préfère se limiter aux jobs d’été. Sur son temps libre, il est aussi président de l’Asef, une association strasbourgeoise qui distribue des colis alimentaires aux étudiants contre une somme symbolique. Il n’est pas contre l’idée de travailler, mais ce n’est pas une solution à long terme à ses yeux :
« Si vraiment tu es en galère, tu travailles pendant quelques mois, quitte à faire une pause dans les études, tu te prends un job à temps partiel, très bien. Mais ce n’est pas tenable de cumuler les études et un job. Quand tu fais ça, tu n’es jamais à 100% dans ton job, et jamais à 100% dans tes études. Au boulot tu penses à ce qu’il te reste à faire pour la fac, et quand tu es à la fac, tu penses à finir plus tôt parce qu’il faut enchaîner avec ton job. J’ai vu des connaissances rater leur master en essayer de tenir leur job. »
Des annonces gouvernementales qui inquiètent
Dans son local situé au Centre Bernanos, L’Asef distribue chaque mercredi entre 250 et 300 colis alimentaires par semaine aux étudiants, jusqu’à 350 durant les semaines de pointe. Aucune condition de ressource n’est demandée, les étudiants doivent simplement fournir un certificat de scolarité et une photo. Un service bienvenu, mais fragile. La banque alimentaire qui fournit l’association, a relevé ses frais de participation cette année. L’Asef a dû faire passer le prix du panier de 1 à 1,50 euro. Une décision difficile, mais nécessaire pour Grégoire :
« On a eu très chaud cette année. C’était ça ou mettre la clé sous la porte. On ne pouvait pas augmenter la cotisation de ceux qui viennent déjà bénévolement, ça n’aurait presque rien rapporté de toute façon. »
Plus fort que Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée Nationale, Grégoire chiffre à sa manière les 5 euros d’APL retirés chaque mois aux étudiants : trois paniers de course de l’Asef, qui permettent de tenir, grosso modo, jusqu’à la fin de la semaine à partir de mercredi (rajoutez un café à la machine avec les 50 centimes restant). « Donc non, ce n’est pas rien comme on a pu l’entendre ici et là. Pour certains, ça fait toute la différence. »
Pas mal, mais l’Asef fait mieux. Via GIPHY
L’Asef n’est pas la seule association à connaitre des sueurs froides. En cette rentrée, l’association étudiante alsacienne Afges et ses partenaires ont appris, atterrés, la fin des contrats aidés décidée par le gouvernement. Rien que dans le réseau de l’Afges, 25 postes financés en partie avec de l’argent public, indispensables à de nombreuses associations, y compris des cafétérias étudiantes, sont supprimés. Une surprise aussi soudaine que désagréable pour le président de l’Afges Bastien Barberio :
« On a été prévenus du jour au lendemain qu’il n’y avait plus de budget pour les contrats aidés. On risque de devoir augmenter les tarifs ou de diminuer les horaires d’ouverture pour pouvoir survivre. Au final, ce sont les étudiants qui seront pénalisés. Sur le campus de médecine par exemple, il n’y a pas de restaurant universitaire à proximité, la cafétéria étudiante qui permet de se restaurer pour pas cher, c’est un vrai service qu’on peut rendre grâce aux emplois aidés. »
Les premières conséquences ne se font pas attendre : l’espace de coworking et l’épicerie que l’Afges devait ouvrir dans la salle du minotaure de la résidence universitaire de Gallia est reportée, faute de visibilité budgétaire pour l’association.
Avec Louise Gerber
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