8h10, au coeur de l’Elsau, à l’ouest de Strasbourg. Johanna Dauchy sort de son immeuble de onze étages. Elle tient deux de ses enfants par la main. Son fils aîné, Sadeck, se rend seul au collège. Son petit frère Denckan porte des lunettes et un bonnet enfoncé jusqu’aux sourcils. Il a sept ans. Leux, sa soeur, arbore un sourire radieux. C’est son anniversaire aujourd’hui : elle vient d’avoir six ans. Tous ensemble, ils se rendent à l’école Martin Schongauer, située à cinq minutes de là.
Animatrice scolaire à temps partiel à Kœnigshoffen, cette mère de famille de 31 ans ne perd pas une minute car elle doit faire des courses au supermarché Lidl, à 3 kilomètres de là, avant d’aller travailler.
« Le supermarché n’est pas la seule chose qui manque ici »
Un sac à main noir sur l’épaule droite, un sac de course dans la main gauche, Johanna attend le tram à l’arrêt Martin Schongauer, sur la ligne B. Le premier passe mais elle ne s’y engouffre pas. Les passagers sont collés contre chaque porte tant les rames sont bondées. Habituée de ce trajet, Johanna sait que le prochain sera moins rempli. À 8h35, l’animatrice scolaire entre dans le tramway.
Dans la rame, un couple et une femme attendent, un cabas à roulette à leurs côtés. Johanna sort son téléphone portable. Grâce à l’application Hopla, elle cherche l’heure de passage du bus qui la mènera dans le quartier de Kœnigshofen. L’ancienne vendeuse à Paris apprécie la qualité des transports en commun strasbourgeois mais ils ne compensent pas l’absence d’un supermarché dans le quartier de l’Elsau :
« Je me suis installée à l’Elsau quelques mois avant la fermeture du dernier supermarché du quartier. Comme tout le monde, j’ai longtemps pensé qu’il allait rouvrir après quelques semaines mais on a dû se faire à l’idée que non. Surtout que ce n’est pas la seule chose qui manque ici : il n’y a plus de distributeur automatique de billets ici, et la mairie de quartier n’ouvre que deux jours par semaine. »
« Je dois faire des courses quatre à cinq fois par semaine »
À 8h42, Johanna sort du tram. De l’autre côté le bus 50 démarre, le long de la rue d’Obernai. Il faut patienter jusqu’au suivant. Pendant ce temps, Johanna sort une liste de courses de sa veste. Il y a une dizaine d’articles à acheter : huile de friture, salade, concentré de tomates, Nutella… Johanna décrit l’organisation hebdomadaire qui régit le remplissage de son frigo :
« Je dois faire des courses quatre à cinq fois par semaine. Je ne peux pas porter tout ce dont on a besoin pour la semaine en une seule fois. J’ai déjà essayé : j’ai fini par appeler mon frère pour qu’il m’aide à ramener les sacs. Ils étaient bien trop lourds pour moi. Alors je m’occupe souvent des achats en sortant du travail, je vais au Simply. Mais au moins une fois par semaine, je dois aller au Lidl de Koenigshoffen le matin. Il y a certains achats que je ne peux faire que là-bas. »
Le bus arrive quelques minutes plus tard. Il passe devant le Musée Vaudou puis sous le pont de l’autoroute A351 avant d’entrer dans le quartier de Koenigshoffen. Johanna sort à l’arrêt Charmille, situé à deux minutes à pieds du supermarché. Sur le chemin, elle prend le bon côté de ce long trajet pour faire ses achats :
« Avec toutes ces courses à faire, je me dis que je fais un peu d’exercice physique… (sourire) J’ai arrêté d’aller en salle de sport il y a deux ans parce que je n’avais plus le temps. Pour moi, la situation est gérable. Mais pour les personnes âgées, ça doit être beaucoup plus difficile. »
Le poids des courses : « environ 8 kilos »
Une fois dans le Lidl, Johanna accélère le pas. Comme elle, une vingtaine de femmes font leur courses. Quatre d’entre elles tirent un cabas d’une main et dirigent une poussette de l’autre. Seul un enfant qui chantonne trouble le bruit de fond du système d’aération et des congélateurs. Johanna place une salade dans son sac rempli. Lorsqu’elle le soulève pour se diriger vers la caisse, son souffle est brièvement coupé par le poids des courses.
Johanna choisit de payer par carte. Le liquide manque pour l’habitante d’un quartier sans distributeur bancaire. L’animatrice scolaire jette un coup d’oeil à sa montre. À 9h10, elle sort du supermarché. Sa silhouette penche un peu à gauche. Le sac pèse « environ 8 kilos », selon elle.
La famille : un soutien important
Dans le bus, Johanna sort son téléphone. Elle écrit un message à sa sœur. Sa famille est un soutien important au quotidien :
« J’ai dit à ma sœur de déposer des documents à la Caf. Je n’ai pas la possibilité d’y aller l’après-midi, à cause du travail. Le matin, il y a toujours trop de monde. Heureusement qu’elle est là. Elle cherche aussi les enfants à l’école deux fois par semaine. Parfois, il arrive aussi que je demande à ma mère de me ramener deux ou trois affaires le week-end. »
Station Musée d’Art Moderne, l’Elsauvienne soupire. Il faut attendre huit minutes avant le passage du prochain tram vers le quartier. Pendant ce temps d’attente, le tram en direction du centre-ville passe deux fois. Une fois dans la rame, Johanna s’assied, jambes et bras croisés.
Après la liste de courses, celle des tâches ménagères
Johanna arrive devant chez elle à 9h40. Elle salue la femme de ménage devant l’entrée et monte au premier étage à pied. Les escaliers ne sont pas encore secs, signe du passage de la serpillière. Une odeur d’urine flotte malgré tout.
À l’intérieur, l’animatrice scolaire se dépêche. Il faut ranger les courses, faire les lits, un peu de ménage puis le linge. Johanna doit repartir dans moins d’une heure. Après la liste de courses, il y a la liste des tâches ménagères. Le soir, la logique est la même, voire pire, selon elle :
« Je suis à temps partiel donc je dois partir d’ici à 11 heures pour arriver vers midi moins le quart. Le matin, heureusement, j’ai un peu plus de temps. Mais je dois souvent faire des courses le soir, en rentrant du travail. Je termine à 18h15. Mais c’est plus stressant quand je m’occupe des achats le soir parce que j’arrive à la maison vers 19h15. Il faut encore faire à manger, aider les enfants pour les devoirs puis les coucher. »
Avant de quitter les lieux, Johanna tient à montrer les moisissures qui souillent le mur du salon. Un autre problème que l’Elsauvienne a maintes fois dénoncé auprès de son bailleur social, CUS Habitat. Aucune réponse. Seule solution pour Johanna : « On fait avec », soupire-t-elle. Et pour le supermarché, les habitants de l’Elsau font sans, habitués aux promesses qu’il était impossible à tenir.
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